Sisyphe, beaucoup se souviendront de cet homme que dépeint l’écrivain Albert Camus dans son essai : « Le Mythe de Sisyphe ». C’est le quotidien d’un homme presque condamné à pousser un rocher jusqu’au sommet d’une montagne et à chaque fois qu’il y arrivait, le rocher dévalait la pente pour se retrouver au pied de la montagne. Sisyphe redescendait pour recommencer. Tellement il croyait qu’un jour il arriverait à fixer son rocher sur la cime de la montagne qu’à chaque fois, il redescendait et recommençait. C’est ce qu’on appelle la philosophie de l’absurde. C’est un cliché analogue à la situation politique au Togo, où l’opposition qui souvent se croyait arrivé au bout de ses peines, se rend finalement compte de son illusion et alors, elle redescendait pour recommencer. Mais jusqu’à quand ?
Dans un registre plus catholique que politique, l’on pourrait dire sous une mine déconfite : « Ite missa est », la messe est dite. Oui, comme le CST, Collectif Sauvons le Togo, dernier regroupement en date de l’opposition togolaise, la messe de requiem de la C14, Coalition des quatorze partis de l’opposition est presque annoncée par les acteurs eux-mêmes. Il faut tout recommencer.
Depuis Octobre 1990, début des revendications démocratiques à nos jours, c’est pratiquement le même schéma, le même tableau qu’offre l’opposition togolaise dans sa lutte, dans ses ligues et dans ses fronts, une forme de cocktail molotov prêt à s’exploser aussitôt que l’on faisait passer dans les environs une bûchette d’allumette.
Du FAR (Front des Associations pour le Renouveau) à la C14, en passant par le COD II, le COD-FOD, le PFC, le FRAC, le CST, etc. plus d’une dizaine de coalitions, de mouvements et de fronts des opposants, ont été formés pour la réalisation de l’alternance et du changement au Togo. Mais que nenni ! L’opposition togolaise dans ses stratégies et dans ses alliances qui ressemblent plus à du vernis, du saupoudrage, de la poudre de perlimpinpin, cette opposition traditionnelle ainsi connue, peine toujours à s’affranchir de l’emprise de ce régime suranné, fortement détesté par les populations togolaises, elles-mêmes lassées du changement politique longtemps annoncé sans jamais être concrétisé.
De cette répétition des faits depuis des lustres, il apparaît en effet, que la plupart des acteurs de l’opposition togolaise ne sont jamais assez sérieux ni conséquents envers eux-mêmes mais aussi envers leurs collègues et pourtant, ils jouent malicieusement le jeu de réunification pour plus ard, montrer leur réelle face de perfides comploteurs. Or, la politique de regroupement impromptu, presque incongru n’aboutit qu’à désorganiser la la vision d’un peuple, à démobiliser le peuple dans sa vision puis à déstabiliser le peuple. Puisque ces hommes et ces femmes cités dans l’opposition dite Traditionnelle (le terme sied, tradition comme absence de modernités, de progressions, une conception figée sans aucun souci de voir ou d’entrevoir d’autres issus), les opposants togolais disionsnous, se présentent aujourd’hui comme des êtres maudits à subir un enchaînement automatique d’expériences absurdes mais ils n’ont cure de renoncer à leurs prérequis, de changer d’approches ou de méthodes, de revoir leurs conceptions de la lutte démocratique pour mieux réfléchir avant de repartir : Le mythe de l’entêtement absurde. Comme Sisyphe, ils espèrent toujours un jour arriver à s’installer au sommet de l’Etat, synonyme de l’alternance et du changement, en poussant éternellement leur rocher de coalitions et de fronts, qui se font et se défont au gré des patrons. Ce sont là les principales causes d’une lutte sans fin.
Pourquoi l’opposition n’y arrive
C’est un questionnement permanent du peuple togolais, préoccupé par l’avenir du pays qui ne peut écrire de belles pages que lorsqu’elle sera libérée de l’emprise des dirigeants actuels qui souvent, montrent leur incapacité à impacter positivement le Togo. Cependant, ceux en qui, ce peuple a mis toute sa confiance et a donné l’onction de réaliser l’exploit du changement, eux aussi donnent souvent l’impression de ne pas être à la hauteur de la tâche confiée. Car, au lieu de faire bloc contre l’adversaire commun, ils passent le plus clair de leur temps à se déchirer, se chamailler, se saboter pour enfin saborder la lutte.
Il y a quelques années, après près de trois ans de cheminement avec le CST, Agbéyomé Kodjo et Aimé Gogué se disent trahis par cette coalition pendant que d’autres les considèrent comme ceux qui ont plutôt trahi la coalition. Avant la création des FDR et après des années de vivre-ensemble au sein de la Coalition Arc-en-ciel, Me Dodji Apévon du CAR a driblé la coalition, non, se défend-il, ce sont ses amis de ladite coalition qui n’ont pas trop bien compris sa vision de la lutte au sein de la coalition. En 2010, Kofi Yamgnane, François Akila Esso Boko et Jean Pierre Fabre étaient tous des membres fondateurs du FRAC, Front des Républicains pour l’Alternance et le Changement. Des années plus tard, ils ont gardé de meilleures relations puisqu’ils ont la même vision : l’alternance.
Mais aujourd’hui, l’inimitié s’est installée entre eux et les rapports se sont détériorés. « Depuis 2015, depuis sa décision calamiteuse d’aller à la présidentielle malgré tout ce qu’il savait (fausses listes électorales, avertissements de l’OIF, CENI instrumentalisée, Cour Constitutionnelle aux ordres… etc.), ce qui a légitimé l’élection de Faure, je n’ai plus eu aucun contact avec lui (Jean Pierre Fabre, ndlr). J’ai pris mes distances », a déclaré Kofi Yamgnane dans une interview accordée en Février 2018 au journal La Manchette. Dans les confidences d’un certain nombre d’acteurs politiques, il en ressort que depuis l’année dernière, le courant ne passe plus entre Jean Pierre Fabre et son « ami » François Boko du fait d’une divergence de vues lors de la facilitation de la CEDEAO, notamment avant le déplacement d’une délégation de la C14 à Conakry en Guinée. Il est clair qu’il serait difficile pour ces hommes de se retrouver pour travailler pour la cause commune.
Le dernier espoir né des mouvements du 19 Août 2017, est la C14 que les leaders actuels de l’opposition ont encore contribué à sa décapitation. Sur les 14 partis politiques qui composent la C14, cinq (05) à savoir le CAR, le MCD, le Togo Autrement, le PNP et Santé du Peuple, se sont déjà à l’écart de ladite coalition, rompant avec la dynamique unitaire observée depuis Août 2017. D’ailleurs dans cette coalition, entre le MCD de Me Tchassona Traoré et le PNP de Tikpi Atchadam, ce n’est pas le grand amour, entre le CAR de Me Yawovi Agboyibo et l’ANC de Jean-Pierre Fabre, c’est le syndrome je t’aime moi non plus, pendant que les petits partis qui gravitent autour des grands, se sentant plus en plus sous-estimés et réduits au statut d’accompagnateurs dans le grand ensemble, se battent crânement pour leur « indépendance ». Aujourd’hui, il est clair que la C14 porte en elle-même les germes de sa destruction puisque c’est une union superficielle, factice.
C’est un bloc fondé sur du sable mouvant, c’est-à-dire sur l’hypocrisie des acteurs. Et si l’on ne doit jamais regretter que de faux amis se séparent, il est tout de même triste de constater que ces attitudes retardent l’échéance de l’alternance et du changement tant souhaités par le peuple. Une situation profite bien au régime et le conforte d’ailleurs dans sa position de prédation et de conservation à vie du pouvoir. Mgr. Kpodzro : « C’est à cause de l’égoïsme insensé et rédhibitoire des leaders politiques divisés par la conquête du fauteuil présidentiel que chacun estime lui être prioritairement destiné que l’alternance tarde à se produire. Chacun se dit effrontément : C’est moi seul qui le mérite, pas l’autre. C’est ce genre de posture résolument prétentieuse qu’affiche les leaders de la classe politique togolaise qui retarde l’avènement de l’élu que Jahvé a choisi pour le peuple dont il écoute les gémissements et les supplications ».
Maintenant, il est temps que chacun puisse assumer ses actes, car demain, il répondra seul devant l’histoire.
Sylvestre BENI
Source : www.icilome.com