Dans un livre récemment traduit aux États-Unis, le journaliste Ronan Bergman revient sur les assassinats ciblés menés par les services secrets israéliens. Principale révélation de l’ouvrage : le rôle de premier plan prêté à l’État hébreu dans l’affaire Ben Barka.
Édito. Je me propose, cette semaine, d’attirer votre attention sur un livre qui vient de paraître aux États-Unis, traduit de l’hébreu. Il a pour titre Prends l’initiative et tue le premier (« Rise and Kill First », en anglais), et pour sous-titre L’histoire secrète des assassinats ciblés d’Israël. Son auteur, un journaliste- écrivain de bonne réputation, Ronen Bergman, dit avoir enquêté pendant sept ans pour rassembler la moisson d’informations qu’il nous livre.
C’est un ouvrage volumineux de 750 pages (notes comprises) dont l’auteur est un Israélien dévoué à son pays mais opposé à certaines pratiques de ses gouvernants. Il confirme qu’Israël – 70 ans et douze Premiers ministres, dont trois généraux – a mis beaucoup d’énergie, fait preuve d’audace et d’inventivité pour assassiner des centaines de personnes, dont de hauts dirigeants civils et militaires, considérées par les dirigeants israéliens comme des ennemis réels ou potentiels de leur pays.
Ces assassinats ont été soit commandités, soit approuvés et autorisés sur une feuille rouge par le Premier ministre en place. Ils ont été ensuite exécutés par le Mossad, le Shin Beth ou Aman, le service de renseignements militaires. Ces trois agences disposent d’unités spécialisées aguerries, de techniques très avancées et de moyens financiers presque illimités.
Beaucoup de succès, mais aussi des erreurs et des échecs, des dommages collatéraux, inévitables malgré les précautions. Les Israéliens ont essayé d’éliminer Saddam Hussein et Ruhollah Khomeyni, en vain, ont raté plusieurs fois Yasser Arafat, avant de parvenir à leurs fins en l’empoisonnant. Ils ont assassiné son adjoint, Abou Jihad, à son domicile, près de Tunis, et ont utilisé pour cet exploit des moyens militaires et aériens considérables.
Si vous êtes un ennemi d’Israël, nous vous rechercherons, vous trouverons et vous tuerons où que vous soyez
Ils ont liquidé des dizaines de combattants palestiniens considérés comme des terroristes, dont l’un en glissant du poison dans son dentifrice. Le monde entier, dont de grandes capitales européennes, sud-américaines ou arabes, a servi de théâtre d’opérations aux services israéliens.
500 assassinats ciblés, 1 000 personnes tuées
Ils ont assassiné des scientifiques et des fournisseurs d’armes, largement pratiqué la torture, utilisé des appâts féminins. Tous les moyens étaient bons pour atteindre le but recherché.
Les services israéliens agissaient sur la base d’une règle simpliste?: « Si vous êtes un ennemi d’Israël, nous vous rechercherons, vous trouverons et vous tuerons où que vous soyez. »
Ronen Bergman atteste qu’Israël a assassiné plus de personnes que n’importe quel autre État et que ses dirigeants successifs ont estimé que c’était là le moyen le plus efficace d’assurer la sécurité du pays.
Il dénombre au XXe siècle, en cinquante ans, 500 assassinats ciblés et 1?000 personnes tuées. Depuis l’an 2000, pour faire face aux intifadas, plus de 800 opérations supplémentaires ont été exécutées.
Relations secrètes avec Hassan II
L’enlèvement puis l’assassinat de Mehdi Ben Barka étaient à ce jour « une énigme enveloppée de mystère ». Le 29 octobre 1965, un policier français avait accosté le leader marocain boulevard Saint-Germain, à Paris, à l’entrée de la brasserie Lipp, avant de l’inviter à monter avec lui dans sa voiture, lui faisant croire qu’il était attendu par une haute personnalité, qui pouvait même être le général de Gaulle.
Ben Barka, habituellement sur ses gardes, a mordu à l’hameçon et a suivi le policier. Aucun de ses proches ne l’a plus jamais revu, et son corps n’a pas été retrouvé.
Mehdi Ben Barka, condamné à mort par nous, doit être exécuté. Nous n’arrivons pas à le coincer. Trouvez-le et tuez-le
Le livre de Ronen Bergman révèle les tenants et les aboutissants de « l’affaire Ben Barka » : les services israéliens, qu’on supposait mêlés à l’affaire mais de façon périphérique, y sont en réalité engagés jusqu’au cou. Les historiens considéreront le récit qu’en donne Bergman comme le plus proche de la vérité.
Le chef du Mossad était alors Meir Amit, qui avait noué des relations secrètes avec les services du roi du Maroc, Hassan II. Hôte d’un sommet de la Ligue arabe, en septembre 1965, à Casablanca, ce dernier prend la lourde responsabilité de permettre au Mossad d’enregistrer les débats et les conversations des chefs d’État dans leurs suites d’hôtel ou leurs villas.
En Israël, les dirigeants sont comblés, considérant que c’était là le plus grand exploit du Mossad. Mais, dès le 30 septembre, l’homologue de Meir Amit, le colonel Ahmed Dlimi, demande, au nom du Maroc, une contrepartie. « Mehdi Ben Barka, condamné à mort par nous, doit être exécuté. Nous n’arrivons pas à le coincer. Trouvez-le et tuez-le. Rendez-nous ce service… »
Comment le leader de la gauche marocaine a été tué
Flattés d’être considérés comme des experts en assassinats ciblés, les Israéliens ne voulaient cependant pas aller jusqu’à agir pour le compte d’un autre pays. Mais ils repérèrent Ben Barka (il se faisait envoyer ses magazines et son courrier à un kiosque à journaux de Genève), organisèrent sa venue à Paris pour rencontrer un cinéaste censé faire un film à sa gloire, fournirent aux services marocains des faux passeports et une planque à Paris, ainsi que du poison.
C’est fini, tout s’est bien passé
Bergman révèle que le policier français qui a embarqué Ben Barka avait été corrompu par les Marocains. Après avoir, grâce aux Israéliens, capturé l’homme qu’ils voulaient exécuter, les agents des services marocains l’ont emmené dans la maison fournie par les services israéliens, l’ont humilié et torturé, plongeant sa tête longuement et à plusieurs reprises dans de l’eau très sale jusqu’à sa mort par asphyxie ou strangulation.
Des agents israéliens, dont Bergman donne les unités, ont ensuite transporté la dépouille jusqu’à la forêt de Saint-Germain. Ils la jetèrent dans un trou profond qu’ils recouvrirent de terre et d’un produit chimique destiné, dès la première pluie, à la dissoudre.
Le 25 novembre 1965, Meir Amit annonce à Levi Eshkol, Premier ministre?:
— « C’est fini, tout s’est bien passé. »
Israël a puissamment aidé les services marocains à exécuter la condamnation (politique) à mort de Ben Barka et, ainsi, a payé sa dette envers Hassan II. Mais le général de Gaulle prit très mal cet assassinat perpétré dans sa capitale à l’instigation de Hassan II. Il rompit les relations diplomatiques avec le royaume chérifien, mais ne s’intéressa pas aux Israéliens, qui n’étaient à ses yeux que « des prestataires de services ».
Source : www.cameroonweb.com