Baisse astronomique de leur valeur, irrégularité, fragile stabilité… En 2022, les monnaies africaines tremblent. État des lieux d’une tendance conjoncturelle, qui pourrait encore se renforcer.
Alors que la pandémie de Covid-19 n’a toujours pas dit son dernier mot et que la guerre en Ukraine dure depuis près de huit mois, l’inflation est considérable et touche, à différents degrés, toutes les économies du monde. Pour l’endiguer de manière radicale, la première économie mondiale a adopté une politique de resserrement monétaire agressive. Fin septembre, la Réserve fédérale américaine (FED) a significativement augmenté son taux directeur – à 3,25 % contre 0,25 % un an auparavant –, ce qui a dopé le cours du dollar.
Cette appréciation impacte l’ensemble des marchés, en particulier les économies les plus fragiles, arrimées de près ou de loin au dollar américain. « Le resserrement mondial mené par la FED entraîne une réévaluation des monnaies, des marchés et des conditions de crédit, notamment dans les marchés émergents », expliquent les analystes de Moody’s à Jeune Afrique.
Alors que la devise ghanéenne vient de se voir décerner par Bloomberg le funeste titre de « monnaie la moins performante du continent en 2022 », comment les autres monnaies africaines ont-elles réagi aux différentes crises et au resserrement de vis de la FED ? Tour d’horizon.
Cédi ghanéen : la situation s’aggrave
Nouveau record pour la monnaie ghanéenne, qui n’a jamais atteint des niveaux aussi bas : depuis janvier 2022, le cédi a perdu 47 % de sa valeur face au dollar américain. Autrement dit : il faut désormais près de 13 cédis pour obtenir 1 dollar aujourd’hui, alors qu’il n’en fallait qu’un peu plus de 6 au 1er janvier. Pour quelles raisons ? Le Ghana est une économie dépendante des importations. De ce fait, le pays achète plus de devises étrangères qu’il n’en perçoit avec ses exportations (balance commerciale déficitaire). Comme l’explique Daniel Adeniyi Sodimu, analyste économique de Afrique subsaharienne chez FrontierView, cela est également dû à une fuite des investissements de portefeuille, « Ayant perdu confiance, les investisseurs étrangers se sont retirés du marché ghanéen ».
D’après les analyses de Bloomberg, le cédi est devenue, en ce mois d’octobre, la devise la plus faible du monde. Une dépréciation qui a par ailleurs accéléré l’inflation, déjà en marche dans le pays. En septembre, l’augmentation générale des prix a atteint 37,2 %. Depuis, l’office des statistiques a modifié la façon de mesurer cet indice. Pour enrayer l’inflation, la Banque centrale ghanéenne a dû augmenter son taux d’intérêt de 10 points de base ; en moins d’un an, ce dernier est passé à 24,5 %. En parallèle, la dette du pays, qui ne cesse de gonfler, a atteint les 38 milliards de dollars. « Toutes les grandes agences de notation ont abaissé la note de la dette souveraine du pays, et ce à plusieurs reprises en 2022 », souligne l’économiste.
Face à ce marasme, et malgré les réticences initiales du gouvernement de Nana Akufo-Addo, les autorités ghanéennes sont, depuis le début d’octobre, en pourparlers avec le Fonds monétaire international (FMI) au sujet d’une aide financière de 3 milliards de dollars. Le 20 octobre, le Fonds a annoncé dans un communiqué avoir « bien progressé dans l’identification des politiques spécifiques qui permettraient de rétablir la stabilité macroéconomique et de jeter les bases d’une croissance plus forte et plus inclusive ».
Naira nigérian : écosystème déséquilibré
Le 18 octobre, Bank of America (BofA) déclarait que la dépréciation du naira allait s’intensifier, car son taux de change actuel par rapport au dollar est bien supérieur à sa juste valeur. Selon cette même source, la monnaie nigériane est surévaluée à hauteur de 20 %. Alors qu’entre décembre 2021 et octobre 2022 le taux officiel de change a augmenté de 10 %, sur le marché noir, il a connu une hausse de plus de 30 %. Il faut près de 436 nairas pour un dollar US au marché officiel contre 745-750 nairas sur le marché parallèle. Une situation instable qui nuit à l’économie et paralyse les investissements.
Le facteur le plus explicatif de cette dépréciation est la hausse de la demande de dollars – dont la valeur ne cesse de croître – ainsi que la politique nationale de change qui crée des distorsions. D’après une déclaration du directeur général du Centre pour la promotion de l’entreprise privée (CPPE), Muda Yusuf, : « Ce qu’il faut, c’est une réforme fondamentale de l’écosystème des changes ». Pour rappel, Abuja applique un régime de change multiple dominé par un taux de change officiel contrôlé et un marché parallèle où la monnaie est librement échangée.
En outre, et comme le rappelle niel Adeniyi Sodimu, les problèmes de production pétrolière du Nigeria (vols des cargaisons et vandalisme des oléoducs) ont « empêché le pays de profiter de la hausse des prix du brut qui aurait dû soutenir la monnaie ». Pour l’expert, la consolidation du naira et de l’économie nigériane plus globalement ne pourra se faire que par la diversification des exportations « en s’éloignant du pétrole et des autres matières premières dont les prix mondiaux sont volatils ».
Dirham marocain : tributaire de la parité euro/dollar
Si la politique de change des banques marocaines et la quantité de devises n’ont pas évolué depuis septembre 2021, le contexte est désormais tout autre. Les taux d’intérêts des banques centrales américaine (FED) et européenne (BCE), qui ne cessent d’augmenter, impactent directement le dirham, qui se déprécie mécaniquement (11 dirhams sont nécessaires pour obtenir 1 dollar américain, contre 8,8 dirhams en 2020). Pour rappel, depuis 2015, le dirham est indexé par rapport à un panier basé à 40 % sur le dollar, et à 60 % sur l’euro.
La balance commerciale du Maroc étant par ailleurs déficitaire, le pays est, lui aussi, victime d’une inflation importée. Ainsi, la Banque centrale a augmenté son taux de référence de 50 points, pour le porter à 2 %.
Ces conditions pèsent lourdement sur l’économie du royaume. D’après le FMI, en 2022 la croissance est quasi nulle (+0,8 %), et le déficit commercial de 56 % contre 23 % en 2020.
Franc CFA : lente dépréciation
Par effet domino, le franc CFA, qui est directement indexé sur l’euro à parité fixe, suit les mêmes variations que la devise européenne vis-à-vis du dollar. À ce jour, il faut compter 672 F CFA pour un dollar, contre 615 F CFA en 2020.
Même si les pays exportateurs semblent être les grands gagnants de cette parité, l’inflation généralisée fait office de contrepoids.
Par exemple, bien que les pays producteurs de pétrole et de gaz, à l’instar du Congo, du Gabon, du Niger, du Cameroun et bientôt du Sénégal, parviennent à tirer plus de bénéfices, la marge supplémentaire est vite aspirée par les besoins de subventions, comme l’a récemment indiqué Abebe Aemro Selassie, directeur Afrique du FMI, dans les colonnes de Jeune Afrique : « Les revenus tirés de la vente du pétrole brut seront absorbés par les subventions ».
D’autant plus que, même si ces pays exportent des barils de brut, ils finissent par importer le produit raffiné en dollar. Pour ce faire, ils sont dans l’obligation d’acheter en devise américaine, ce qui joue en défaveur de leur monnaie.
Dinar algérien : évolution en dents de scie
En l’espace de sept ans, la monnaie algérienne a perdu 35 % de sa valeur face au dollar. Les raisons de cette chute sont diverses. Pour de nombreux experts, la politique de la planche à billets adoptée en 2017 en est en grande partie responsable. Entre 2017 et 2019, plus de 6 500 milliards de dinars (49 milliards d’euros) ont été injecté dans l’économie. L’Algérie étant un grand exportateur d’hydrocarbures, la chute des prix du brut sur les périodes 2014-2016 et 2018-2020 a elle aussi eu des conséquences délétères.
Aujourd’hui, la monnaie algérienne semble reprendre des couleurs, et ce malgré la décision de l’OPEP+ de limiter sa production d’hydrocarbures, mais aussi en dépit des fluctuations euro-dollar (Alger ayant un système de taux de change géré) et du volume des importations. D’après une note de Fitch Solutions datant du 31 août, le dinar devrait s’apprécier à hauteur 136,30 dinars pour un dollar d’ici à la fin de 2022 contre les 141 dinars actuels. « La première appréciation de ce type depuis 2007″, note l’agence de notation, en ajoutant que cette appréciation « ralentira l’inflation », en grande partie importée.
Jeune Afrique
Source : icilome.com