Témoignage. L’une des premières images que je garde de mon arrivée en Chine est celle de la gare de Pékin en septembre 2018. Je ne parlais pas le mandarin et mon anglais n’était pas au point. J’étais apeurée, j’avoue. Aussi loin que portait mon regard, je ne voyais aucun Noir. Oui, j’étais bien la seule à avoir une peau foncée et des cheveux crépus. Toutes les têtes se tournaient sur mon passage. J’ai ressenti là ma différence. Alors que j’étais assise à attendre le train, un groupe de personnes âgées est même venu m’entourer, me harcelant de questions auxquelles je ne comprenais rien.
La ville d’Harbin a très tôt conquis mon cœur. Le « Moscou d’Orient », métropole chinoise à l’architecture russe, résonnait d’un calme apaisant malgré ses chutes de température impressionnantes jusqu’à – 35 °C. Arrivée tout droit de Lomé, au Togo, à 26 ans pour préparer un doctorat en biochimie, j’étais horrifiée les premiers jours lorsque tous les téléphones se braquaient sur moi dans la rue. Des inconnus me prenaient en photo simplement parce que j’étais noire. Certains me désignaient à leurs enfants et se mettaient à chuchoter. Les plus courageux, posaient des questions ou voulaient que je pose pour eux. J’ai ainsi provoqué un attroupement de curieux dans une station de ski. Les gens se bousculant pour avoir mon cliché. J’avoue, j’ai presque fini par prendre du plaisir à me sentir comme une star.
« Sauvage »
Si les Chinois ont la même réaction avec tous les étrangers, elle est plus prononcée avec les femmes noires. D’autant que ma chevelure crépue suscite énormément d’interrogations. Souvent persuadés que ce ne sont pas mes propres cheveux. Je ne compte plus les personnes qui les touchent dans la rue. Beaucoup le font sans demander. Parfois, je ne m’en rends même pas compte. Cela peut me faire sourire, mais habituellement ça m’agace. Car c’est une partie de ma personne qu’ils s’autorisent à « peloter ». Demander la permission semble une évidence. Pourtant, j’ai découvert que le Code pénal chinois ne considère pas que toucher le corps de quelqu’un en public est un acte de harcèlement sexuel ou une forme de racisme. Au Togo, ça n’est pas le cas non plus, mais là-bas, personne ne fourre sa main dans ma chevelure sans autorisation.
Je ne crie pas au racisme pour autant. Quoique agacée, je comprends que ces voyeurs ne sont que de grands curieux. D’ailleurs, je me demande souvent si l’acharnement du Noir à se défriser les cheveux, à faire des rajouts, n’est pas une des causes de la méconnaissance qu’ont les gens de nos cheveux. A cause de cela, j’ai décidé de ne plus porter de rajouts et de promouvoir le cheveu crépu.
Ici en Chine, être Noir est à double tranchant : soit on vous prend pour un Américain et vous êtes adulé, soit l’on sait que vous être un Africain, et vous êtes peu considéré. En mandarin, le mot Meiguo désigne les Etats-Unis, dont la signification est « beau pays ». Tandis que le mot feizhou, que l’on pourrait traduire par « sauvage », désigne l’Afrique. S’il n’y a pas de racisme anti-Africains patent, la langue, elle, discrimine.
Mais être une Africaine au fin fond de la Mandchourie, à 350 km de la frontière russe, diminue cruellement mes chances de séduction. Les hommes chinois nous trouvent peu belles car leur société survalorise la blancheur de peau, premier critère de beauté, et la minceur. Pas de chance pour les Africaines aux rondeurs généreuses ! Au Togo, la drague est partout. Dans la rue, il n’est pas rare d’être hélée, comme sur les réseaux sociaux où l’on reçoit des messages appuyés. Avoir été élevée dans un contexte de séduction permanente me fait un peu perdre le nord ici. Tous mes codes sont bouleversés car aucun Chinois ne m’a draguée pour l’instant. Aucun flirt ne fait sonner mon téléphone. Je n’ai même pas d’amis chinois hommes.
Amoureux de circonstance
Alors, aux femmes africaines expatriées, il ne reste bien souvent que la possibilité de relations « Addis-Abeba ». On les appelle ainsi car les vols à destination de la plupart des capitales africaines ont pour escale la capitale éthiopienne, également siège de l’Union africaine (UA). C’est là que survient en général la séparation physique entre ces amoureux de circonstance résidant en Chine. Chacun prendra ensuite son vol de retour vers son pays. Mais même ces relations ont peu d’avenir. Car, réputé entreprenant et bon amant, l’homme africain se croit à la mode et n’a pas toujours envie de s’embarrasser des exigences des femmes africaines qu’il juge trop difficiles.
Aujourd’hui, après quatre mois passés à Harbin, la Chine me conquiert peu à peu. Je suis admirative de sa culture plurielle, de ses travailleurs acharnés qui chaque jour s’usent pour que brille plus haut le drapeau rouge étoilé. Je suis encore plus amoureuse de ma ville. Une ville où la délinquance est presque inexistante. Où je rencontre beaucoup de personnes accueillantes, au grand cœur, fidèles en amitié.
Mais, quelle que soit la direction dans laquelle je regarde, mes possibilités de relations amoureuses restent très limitées. Je ne peux pas faire ma capricieuse. Soit je reste célibataire, soit je collectionne des aventures sans lendemain.
Judith Gnamey
Judith Gnamey est une Togolaise de 26 ans, blogueuse prolixe et doctorante en herbe. Partie réaliser sa thèse de biochimie en Chine, elle s’est retrouvée dans la ville glaciale de Harbin proche de la Russie. Elle partage son temps entre ses études de mandarin et l’écriture d’articles sur la sexualité, la religion ou la politique togolaise. Elle aime se définir avec une pointe de provocation comme « une Négresse qui pense ».
Source : Le Monde Afrique
27Avril.com