Diaspora/Portrait : Foussena Djagba, figure féminine montante de la résistance à l’étranger

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Les récentes vagues de contestation du régime togolais ont donné lieu à l’émergence d’une nouvelle catégorie d’opposants : ceux qu’on n’a pas vu venir. Si en interne, Tchikpi Atchadam en est le symbole patent, à l’extérieur, d’autres Togolais s’illustrent dans la même catégorie. Parmi eux, Foussena Djagba. Cette femme, méconnue du grand public il y a peu, s’est progressivement imposée, à travers notamment des actions humanitaires et politiques, comme l’une des figures de proue de la résistance contre le régime de Faure Gnassingbé.

Originaire de Dapaong (grand nord du Togo), région la plus pauvre du pays, Foussena Djagba quitte le Togo dans les années 1993 afin de poursuivre ses études au Ghana voisin. Elle intègre l’“Alliance Française’’ d’Accra, d’où elle sort quelques années plus tard nantie d’un diplôme supérieur bilingue en assistance de direction et en communication. Elle occupe successivement les fonctions de Directrice des Opérations (Afrique de l’ouest) dans l’agence sud-africaine “Africa Soccer Television’’ en 2001, et de Manager Générale de “Global Media Alliance’’ (Ghana), organisateur chaque année du “CNN African Journalists Awards’’. En 2008, elle fonde “Zsport International Ltd’’, une agence de communication spécialisée dans le football et dont elle est la directrice générale à ce jour. Désormais, son temps est partagé entre ses fonctions de chef d’entreprise et ses activités politiques, car dit-elle, « Je compte jouer pleinement ma partition dans l’avènement de l’alternance et de la démocratie dans mon pays ». Un engagement qui ne doit rien au hasard, selon elle.

La politique dans les gènes

Si Foussena paraît néo-politique aux yeux du public, elle-même pense avoir toujours eu la politique dans les veines. Et pour cause, elle est la fille de Laurent Djagba, ancien député de Dapaong élu en 1958, questeur de l’assemblée nationale, compagnon de lutte et ami du premier président du Togo Sylvanus Olympio. D’ailleurs il sera aux côtés du président togolais lors de sa première visite à la maison blanche. Sylvanus assassiné en 1963, Laurent Djagba et ses camarades du Comité de l’Unité Togolaise (CUT) poursuivent la lutte, malgré les persécutions dont ils sont l’objet. A son accession au pouvoir en 1967, Gnassingbé Eyadéma tente sans succès de lui faire retourner sa veste pour rejoindre son équipe. Un refus qu’il payera de sa vie, car il sera jeté en prison puis torturé à mort en 1970, dans la fameuse affaire du “complot du 8 août 1970’’. De son père, Foussena n’a aucun souvenir, car elle n’était encore qu’une enfant lorsqu’il a été assassiné.

A ce jour, le corps de Laurent Djagba n’a jamais été remis à la famille, mis à part quelques ongles et cheveux, ramenés par son compagnon de cellule et ami, le docteur Marc Attidépé qui a assisté à la séance de torture qui a emporté Laurent Djagba, et qui en témoignera lors de la conférence nationale. Même sans le connaitre, Foussena pense avoir hérité de son engagement politique et le considère comme son mentor, «car ni corruption, ni prison, sévices et tortures ne l’ont jamais amené à renoncer à ses convictions politiques et idéologiques pour servir la dictature», justifie-t-elle. Mais jusqu’où est-elle prête à aller en politique ? « L’avenir nous le dira », croit-t-elle.

Pour l’instant elle s’investit plutôt dans des lobbies auprès de certains gouvernements africains afin qu’ils aident à trouver une issue heureuse à l’impasse politique que vit le Togo depuis sept mois. Adepte de la discrétion et de l’efficacité, elle ne communique jamais sur ses lobbies, «car il faut travailler dans l’ombre et laisser le succès faire le bruit», pense-t-elle. Outre les lobbies, elle organise depuis le début de la crise togolaise, des manifestations au Ghana en soutien au peuple togolais. En octobre 2017, elle a été interpellée et gardée à vue pendant 4 jours avec 25 autres manifestants, par la police ghanéenne, pour motif de manifestation non autorisée. Un grief que l’intéressée balaie du revers de la main en affirmant avoir respecté toutes les procédures et que la manifestation avait été autorisée. A ce jour, même si Foussena et les autres bénéficient d’une liberté sous caution, les poursuites à leur encontre sont toujours en cours. Ils doivent se présenter devant le juge le 9 avril prochain. Comme nombre d’observateurs, elle pense que tout ceci ne serait que le fruit de manœuvres machiavéliques dont les ficelles sont directement tirées depuis Lomé2 et destinées à l’intimider.

« La marraine des réfugiés »

En septembre 2017, la répression et les expéditions punitives suite aux manifestations de l’opposition ont contraint les populations de Mango (nord Togo) à se réfugier au village ghanéen de Chéréponi (environ 800 réfugiés). Foussena décide de leur apporter du soutien et mobilise la diaspora avec elle. L’apport de la diaspora lui permet d’offrir aux infortunés de Chéréponi, environ 2 tonnes de vivres en novembre 2017. Ce soutien lui vaut chez certains bénéficiaires le surnom de “marraine des réfugiés’’. «Elle ne se contente pas seulement de nous apporter nourriture, couvertures, vêtements ; ou de nous aider à nous soigner lorsque nous sommes malades. Elle prend aussi de nos nouvelles régulièrement. Foussena est plus qu’une mère pour nous.», témoigne Touré, réfugié à Chéréponi. Ce sentiment est partagé par les réfugiés de Dodowa (200 réfugiés) et de Bunkpurugu (35 réfugiés), deux localités du Ghana qui accueillent elles aussi des réfugiés togolais, mais dont les médias ne parlent pas souvent. L’un d’eux nous confie : « Tant que nous sommes toujours réfugiés ici, son soutien nous sera toujours vital ».

Le football, son autre religion

Grande supporter du club anglais Liverpool, Foussena est une adepte du ballon rond. Sa passion pour ce sport naît dans les années 2001 lorsqu’elle occupait les fonctions de Directrice des opérations à “Africa Soccer Télévision’’. Depuis, elle n’a plus quitté ce milieu. Bien au contraire, elle a plutôt pesé de tout son poids pour réformer ce sport au niveau africain. Elle est notamment à l’origine, depuis 2001, de l’augmentation du nombre de prix à la cérémonie de remise du ballon d’or africain (12 prix désormais au lieu d’un seul). C’est aussi elle qui a eu l’idée d’en faire un évènement médiatisé, car ça ne l’était pas avant. Un évènement dont elle sera l’animatrice pendant les trois premières éditions, aux côtés de deux grands noms du journalisme sportif : Mike Glenson et Robert Marawa. Le foot lui a permis de côtoyer d’éminents responsables de ce milieu à l’instar de Sepp Blatter, Michel Platini, Gianni Infantino ou encore Issa Ayatou. Du côté des terrains, Foussena s’est frottée à de nombreuses stars mondiales tels que Drogba, Eto’o, Ronaldinho, Essien, Anthony Baffoe (ancien international ghanéen et actuel SG adjoint de la CAF) qui l’appelle affectueusement «la grande dame du foot africain», et un certain Adebayor, dont la communication a été assurée à une époque par l’agence de Foussena. Elle aide la star togolaise à se faire élire joueur africain BBC 2007 et l’année suivante, ballon d’or africain qu’Adebayor, en signe de gratitude lui dédie le jour de son couronnement à Lagos. Aujourd’hui, tout en se réjouissant de ce qu’elle a pu faire pour booster la carrière du joueur togolais, elle regrette les sorties “hasardeuses et indignes’’ de ce dernier sur la crise politique qui secoue le Togo. Toutefois, plus rien ne les lie depuis plusieurs années.

Optimiste sur l’avenir du Togo

«Mon plus grand rêve c’est de voir le Togo cité parmi les pays émergents d’ici dix ans. Et je pense que nous avons les ressources aussi bien humaines que matérielles pour y parvenir », martèle Foussena. Admiratrice de madame Adjamagbo Johnson, elle croit que davantage de femmes devraient s’engager en politique, afin de casser les vieux codes qui confinent la femme africaine au rôle d’observatrice plutôt qu’actrice. Pour cela, elle compte rentrer dans son pays dès que les circonstances le permettront afin de mettre son savoir-faire et son expérience au service de ses compatriotes … Probablement la naissance d’une leader politique avec qui il faudra compter à l’avenir.

Marcel Akonaro

Source : www.icilome.com