Devoir de mémoire : Il était une fois l’assaut contre l’Eglise Catholique Saint Augustin d’Amoutivé

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Crédit/photo : Radio Maria

Le 13 juin 2012, deuxième jour des manifestations organisées par le Collectif « Sauvons le Togo » pour protester contre les méthodes de gouvernance du régime en place. Les forces de l’ordre et de sécurité, dans leur répression sauvage et barbare des manifestants, ont pris d’assaut l’enceinte de l’Eglise Catholique Saint Augustin d’Amoutivé. Fidèles, prêtres, séminaristes et même les élèves de l’école primaire catholique, tous ont été matraqués et gazés sans autre forme de procès. En ce triste anniversaire, le devoir de mémoire nous appelle à reproduire à nos lecteurs ce témoignage de l’Abbé Jean-Claude T. Doh, Vicaire de la paroisse Saint Augustin d’Amoutivé à l’époque. Lecture !

C’est le mercredi 13 juin 2012. Nous venions de célébrer avec grande liesse la mémoire de saint Antoine de Padoue dans une atmosphère chargée de tension, car tout autour de notre église paroissiale saint Augustin d’Amutivé, gravitait une grande foule de manifestants sous le regard inquisiteur de quelques hommes en treillis dont les intentions restaient à déterminer. La suite nous éclairera !

Déjà la veille, nous avions essuyé une pluie de grenades lacrymogènes et nous rêvions d’un lendemain meilleur. Les événements nous contrediront bientôt. En effet, il sonnait environs 9 heures lorsque les premières déflagrations ont retentis sur le boulevard du 13 janvier qui était le théâtre d’une course poursuite digne des cascadeurs hollywoodiens depuis 48 heures. En quelques minutes, toute l’enceinte de l’église fut remplie de gens en débandade poursuivies résolument par des hommes en treillis, armés de lance-grenades, d’armes à feu et de matraques, le visage protégé par des masques à gaz.

J’avais le gaz lacrymogène plein les yeux et les narines. Ma peau brulait et j’avais la gorge desséchée. Je fonce au lavabo de notre réfectoire pour me débarbouiller à grande eau le temps d’entendre les cris et les gémissements des élèves de cours primaire de l’école catholique saint Augustin, victimes d’une folie meurtrières et aveugle qui s’acharnait sur des enfants innocents. Interpelés, une voix répond une voix rétorque parmi les forces de l’ordre qu’ « eux aussi applaudissent les manifestants ».

Quelques minutes plus tard, déterminés à ne pas nous laisser compter la suite de l’histoire, un Père et moi-même, étions debout devant les bureaux du presbytère en train de regarder la scène ahurissante : « des patrouilleurs » comme ils se sont présentés traquaient toute forme de vie humaine à coup de matraques et de grenades lacrymogènes. Dans la vague, ils ont d’abord défoncé notre secrétariat à coup de pieds, y ont tiré une demi-douzaine d’engins explosifs et nocifs avant d’emmener manu-militari notre secrétaire, Monsieur André (qui recevra brutalement un coup de pied dans la poitrine une fois arrivé à la gendarmerie) et sept paroissiens, hommes et femmes, réfugiés dans la Maison de Dieu.

Ensuite, ils ont continué par tirer dans toutes les directions et même à l’intérieur de notre église. Pour preuve on pouvait voir après leur opération coup de point, des dizaines de boitiers de grenades et des douilles de balles tout autour et à l’intérieur de l’église de saint Augustin. Soudain, de cette fumée épaisse et suffocante qui recouvrait tout, surgirent, comme des créatures extra-terrestres, deux agents en masque à gaz qui pointèrent leurs armes sur nous, l’autre prêtre et moi, en nous posant brutalement la question : « VOUS ETES QUI ? JE DIS : VOUS ETES QUI ? ».

Comble d’indignation. Je n’arrive pas à mettre des mots sur mes sentiments et sur ceux de mon confrère, mais tout ce dont je me souviens ce sont nos réponses presque simultanées. Il a dit : « qu’est-ce qui ne va pas avec vous ? » Et moi je demandais : « Et vous alors ? Poursuivre les gens jusqu’ici et tirer vos engins-là ici ? » Avant d’ajouter comme dans un cauchemar : « Nous sommes des prêtres… et ici c’est notre demeure. » Entre temps, au cours d’un nouveau raide pour réquisitionner la voiture d’un avocat, Me Célestin K. AGBOGAN, roué de coup et prévenu dans la matinée, ils (des gars du Service de Recherches et d’Investigations de la gendarmerie) ont confisqué le portable d’un séminariste à qui ils reprochaient de les prendre en photo. L’Evangile est éloquent à ce sujet : « Et le jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises. En effet, quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de crainte que ses œuvres ne soient démasquées. Celui qui fait la vérité vient à la lumière pour que ses œuvres soient manifestées, elles qui ont été accomplies en Dieu » (Jn 3, 19-21). Dans toutes les cultures, les églises et les lieux de culte semblent comptés parmi les terres d’asile et les territoires neutres inviolables.

Pareilles actions nous interpelle tous, qui que nous soyons, où que nous soyons et quoi que nous fassions. Si toute notion de respect de la dignité de la personne et de la vie d’autrui peut être bafouée jusqu’à la sacralité de la Maison de Dieu, à quoi devons nous nous attendre dans notre société ? En novembre dernier le Pape nous adressait ce message si actuel : « les élections constituent un lieu d’expression du choix politique d’un peuple et sont un signe de la légitimité pour l’exercice du pouvoir. Elles sont le moment privilégié pour un débat politique public sain et serein, caractérisé par le respect des différentes opinions et des différents groupes politiques. Favoriser un bon déroulement des élections, suscitera et encouragera une participation réelle et active des citoyens à la vie politique et sociale. Le non respect de la Constitution nationale, de la loi ou du verdict des urnes, là où les élections ont été libres, équitables et transparentes, manifesterait une défaillance grave dans la gouvernance et signifierait un manque de compétence dans la gestion de la chose publique.

Aujourd’hui de nombreux décideurs, tant politiques qu’économiques, prétendent ne rien devoir à personne, si ce n’est à eux-mêmes. « Ils estiment n’être détenteurs que de droits et ils éprouvent souvent de grandes difficultés à grandir dans la responsabilité à l’égard de leur développement personnel intégral et de celui des autres. C’est pourquoi il est important de susciter une réflexion sur le fait que les droits supposent des devoirs sans lesquels ils deviennent arbitraires » (Africae Munus 81-82).

Et de poursuivre à l’intention des chrétiens qui participent activement ou passivement à cet état de chose : « La préoccupation majeure des membres du Synode, face à la situation du continent, a été de chercher comment mettre dans le cœur des Africains disciples du Christ la volonté de s’engager effectivement à vivre l’Évangile dans leur vie et dans la société. Le Christ appelle constamment à la metanoia, à la conversion. Les chrétiens sont marqués par l’esprit et les habitudes de leur époque et de leur milieu. Mais par la grâce de leur baptême, ils sont invités à renoncer aux tendances nocives dominantes et à aller à contre-courant. Un tel témoignage exige un engagement résolu dans « une conversion continue vers le Père, source de toute vraie vie, l’unique capable de nous délivrer du mal, de toute tentation et de nous maintenir dans son Esprit, au sein même du combat contre les forces du mal » (Africae Munus 32).

Je termine ce petit constat par deux choses : cette invective d’Elie : « Combien de temps plierez-vous le genou des deux côtés ? » Et sa prière : « Seigneur, Dieu d’Abraham, d’Isaac et d’Israël, on saura aujourd’hui que tu es Dieu en Israël, que je suis ton serviteur, et que j’ai accompli toutes ces choses sur ton ordre. Réponds-moi, Seigneur, réponds-moi, pour que ce peuple sache que c’est toi, Seigneur, qui es Dieu, et qui as retourné leur cœur ! » (1 Rois 18, 20-39).

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