« No justice no peace ». La justice est le fondement de la paix. Dernier rempart qui assure la cohésion sociale, la justice est instrumentalisée dans notre pays pour régler des comptes aux opposants, aux journalistes, aux activistes, etc. Résultante, dans les geôles de l’oppression croupissent depuis des années plusieurs dizaines d’innocents prisonniers politiques que le régime de Faure Gnassingbé rechigne à libérer.
Face à l’injustice que fait subir la justice togolaise aux prisonniers politiques condamnés à mourir au bagne, la plupart ont décidé de se tourner vers les juridictions suprationales à l’instar de la Cour de justice de la CEDEAO avec l’assurance et la certitude qu’au moins à Abuja, siège de la juridiction communautaire, le droit sera dit.
Il y a quelques jours, les personnes arrêtées dans l’affaire dite « Tigre Revolution » ont saisi la Cour de justice de la CEDEAO. L’origine de cette scabreuse affaire remonte il y a quatre ans environ. Fin novembre 2019, une trentaine de personnes, proches du Parti National Panafricain (PNP) et faisant partie ensemble d’un groupe WhatsApp, ont été interpellées et présentées aux médias, ensuite aux diplomates accrédités au Togo.
A en croire le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, Yark Damehame, les personnes interpellées auraient tenté une insurrection armée baptisée « Tigre Révolution » qui aurait été déjouée à Lomé. Le corps du délit exposé était constitué de gris-gris et d’amulettes, des machettes et des couteaux, des tournevis, des flèches etc. Les images de ces armes blanches rouillées existent toujours sur Internet et personne, en toute sincérité, ne peut croire que ces jeunes hommes oseraient une « insurrection armée » face au régime le plus militarisé en Afrique avec de tels outils rudimentaires datant de l’âge de la pierre taillée.
Ça frisait le ridicule. C’était flagrant que c’était une mise en scène grotesque. Pourtant le pouvoir avait présenté ces coupe-coupe rouillés et des fétiches comme des « armes de destruction massive ». Ces individus détiendraient «des armes de guerre comme les AK47, des armes de fabrication artisanale et des armes blanches d’une extrême dangerosité. La mobilisation de combattants s’est faite à Sokodé, au Bénin et dans le Ghana. Ces différents groupes une fois à Lomé, seront renforcés par d’autres guerriers sur place…», avait raconté à l’époque le Directeur général de la Police nationale, Yaovi Okpaoul.
Selon l’Association des victimes de la torture au Togo (ASVITTO), des allégations de tortures et des traitements cruels, inhumains ou dégradants ont été faits sur les personnes détenues au camp GIPN (Groupe d’Intervention de la Police Nationale) où cinq (5) personnes auraient trouvé la mort suite aux mauvais traitements.
Malgré le caractère burlesque de cette supposée insurrection armée, les jeunes arrêtés sont maintenus en prison depuis novembre 2019, malgré des décès dans leurs rangs. Ils n’ont d’autre choix que de porter cette sombre affaire devant la Cour de la CEDEAO dont le délibéré est attendu le 6 avril 2023.
A la suite de « Tigre Révolution », l’Irlandais d’origine togolaise Abdoul-Aziz Goma, arbitrairement arrêté le 21 décembre 2018 et détenu depuis lors dans des conditions désastreuses à la prison civile de Lomé, vient de saisir aussi la Cour de Justice de la CEDEAO le 22 mars 2023. Entre les mains des éléments du Service central de recherches et d’investigations criminelles (SCRIC), Abdoul-Aziz Goma avait subi d’atroces tortures.
En juin 2021, il avait porté plainte justement contre le SCRIC à la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), plainte dans laquelle il raconte les affres qu’on lui avait fait subir. « Arrivés dans l’enceinte du SCRIC, nous avons directement été menottés contre la roue de leur voiture en position de stationnement sous les arbres, d’autres menottés debout contre les arbres. Moi j’étais menotté contre la roue de la voiture et allongé par terre. Les bastonnades, les coups de pieds, les coups de cordelettes, de matraques par-ci et par-là partout sur mon corps m’entrainant de vomissement de sang et de déchirure sur mon corps. Je me suis posé la question de savoir s’il est encore nécessaire pour moi de vivre ? J’ai prié mon créateur de m’ôter la vie que de subir tous ces traitements inhumains et cruels dont je suis victime. Je n’avais pas cessé de pousser des cris de douleurs et des hurlements de douleur toute la nuit sous toutes ces peines, ces mauvais traitements inhumains et cruels et ceci durant toute la nuit », a-t-il témoigné.
Mais son calvaire ne s’arrête pas là : « Les agents de SCRIC aux environs de 3heures du matin, m’avaient détaché de la roue de la voiture contre laquelle j’étais menotté et m’ont attaché debout les bras autour d’un arbre, menotté ; suivirent des coups de cordelettes, des coups de matraques, des coups de bâtons et autres bref les mêmes traitements lorsque j’étais menotté contre la roue de la voiture. Ils m’avaient frappé, bastonné jusqu’à ce que je ne m’écroule évanoui. Ils avaient dû m’arroser d’eau qfin que je puisse reprendre connaissance puisqu’à ma reprise de connaissance, j’étais tout mouillé d’eau. C’était aux environs de 6heures du matin qu’ils m’avaient détaché tout comme les autres. Ils nous avaient tous jetés dans la poussière de leur devanture toujours menottés par derrière. Je vomissais toujours que du sang et je saignais partout sur mon corps ; malgré tout ceci, ils continuaient de nous bastonner, de nous frapper avec des matraques et même leur fusils et nous menaçaient de tirer sur nous. »
« Les agents de SCRIC nous assénaient des coups sur la plante des pieds pendant une très longue durée sans cesse, sur nos tibias, sur les pointes des pieds, sur les orteils, sur les pointes des doigts, des gifles sur les oreilles, c’était vraiment de la torture; tout cela avait duré toute la matinée à la devanture du SCRIC sous le soleil ardent avant de nous ramener sous les arbres vers midi du 22 décembre 2018 ».
Des actes qu’on ne souhaiterait à personne, même à son pire ennemi. Si l’enfer pouvait porter un nom, on sait où le trouver au Togo. Face aux atroces tortures qui lui ont été infligées, Abdoul-Aziz Goma est tombé gravement malade. Il était incapable de marcher correctement et ressentait régulièrement des douleurs articulaires, des crampes continues aux membres inférieurs, une extrême sensibilité des pieds, de graves affections sensorielles à l’odorat, au toucher et à la vue ainsi que de la déshydratation et l’émaciation.
Malgré les incessantes interventions du gouvernement irlandais auprès des autorités togolaises, celles-ci se sont catégoriquement opposées à la libération de ce citoyen irlandais. Lors de la 67e Session du Comité contre la torture de l’ONU tenue à Genève en juillet-Août 2019, le cas d’Abdoul Aziz Goma avait été évoqué. Comme recommandations à l’endroit du gouvernement togolais, le Comité avait demandé entre autres, la libération des 16 personnes arbitrairement arrêtées entre les 19 et 21 décembre 2018 dans l’affaire Abdoul-Aziz Goma, la poursuite des auteurs des actes de tortures et d’arrestations arbitraires dont ils ont été victimes, l’indemnisation de ces 16 personnes arrêtées arbitrairement, la fermeture de la Prison civile de Lomé pour non respect des standards internationaux édictés par l’ONU pour les centres de détention. Mais ces recommandations n’ont jamais été mises en œuvre.
La CNDH n’ayant pas donné non plus suite à sa plainte contre le SCRIC, Abdoul-Aziz Goma a dédidé de se référer à la Cour de justice de la CEDEAO.
Médard Amétépé
Source : 27Avril.com