Des vérités de l’économiste ivoirien Nicolas Agbohou sur la Zone franc : « Le Principe de la Fixité Dépouille les Pays de l’Arme Monétaire »

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Des vérités de l’économiste ivoirien Nicolas Agbohou sur la Zone franc : « Le Principe de la Fixité Dépouille les Pays de l’Arme Monétaire »

Il est économiste et a une vision de la zone franc qui tranche avec celle des pro-franc CFA. Lui, c’est Nicolas Agbohou, économiste ivoirien et grand pourfendeur du système monétaire au sein de la zone franc qui appauvrit les Africains et les conduit inexorablement vers le sous-développement. Il montre qu’une monnaie forte comme le franc CFA dessert les populations de la région. Ci-dessous une transcription d’une de ses sorties sur Afriquemédia.

Le principe de la fixité de la monnaie. Lorsqu’on dispose d’un euro, le change donne toujours et toujours 655,957 FCFA. Ce qui ne change pas et on veut faire comprendre aux utilisateurs que c’est une bonne chose. Mais derrière, il y a un élément destructeur. Le principe de la fixité veut dire que les pays concernés sont dépouillés de l’arme monétaire. Normalement, lorsqu’un pays voit son économie évoluer dans un sens ou dans un autre, il peut à tout moment dévaluer ou réévaluer sa monnaie pour se protéger et avoir ses intérêts couverts. L’exemple frappant est celui des États-Unis qui, après le 11 septembre 2001, a fait baisser la valeur de son dollar, ce qui a placé l’euro au-dessus du dollar. Conséquence, les produits français et européens ne sont plus compétitifs, parc que devenus trop chers, bien que le marché américain soit ouvert. Par contre, les Américains pouvaient écouler leurs produits sur le sol européen. Voilà en quoi consiste l’outil monétaire. Par contre avec les pays de la zone franc, cet outil n’existe pas, la parité étant fixe par rapport à l’euro. Mieux, sur le marché de change où il est question de monnaie, règne la loi de l’offre et de la demande. Ce qui veut dire que si l’offre de franc CFA sur le marché est supérieure à sa demande, son coût devrait baisser. En d’autres termes, un euro ne correspondrait plus à 655,957 FCFA, mais à beaucoup plus. Du coup, c’est la France qui gère.

Pour acquérir le franc CFA auprès du trésor français, les pays africains doivent donner en contrepartie des devises. La France puise alors dans les comptes d’opérations des milliards en devises pour faire remonter la demande de franc CFA. Ce qu’on appelle soutenir la monnaie. Les Africains passent plus de temps à gaspiller leurs devises pour soutenir le franc CFA que pour importer les biens d’équipements dont ils ont besoin. C’est la réalité. Le franc CFA étant surévalué, parce qu’arrimé à l’euro, les produits africains deviennent trop chers à payer, donc non compétitifs. Et quand on importe plus qu’on exporte de produits, il se dégage un déficit de la balance des payements. Or, une des conséquences logiques des déficits structurels de la balance des payements est la DÉVALUATION ! Ce qui veut dire –et les Européens le savent, au cas où les Africains sont en train de dormir- qu’il y a une programmation scientifique d’une série de dévaluations du franc CFA, lesquelles dévaluations seront favorables aux Européens.

A supposer qu’un milliard d’euro soit l’équivalent de 656 milliards FCFA en arrondissant, et qui permet d’acquérir 1,312 million de tonnes de café acheté à 500 FCFA le kilo, suite à une dévaluation, et en considérant que désormais, un euro vaut 1000 FCFA et non plus 656 FCFA, le même milliard d’euros donnera désormais 1000 milliards FCFA ; montant qui permettra d’acheter, non plus 1,312 million, mais 2 millions de tonnes de café à raison de 500 FCFA le kilo. Bien sûr après dévaluation. Du coup, la différence entre 2 millions de tonnes et 1,312 million de tonnes donne 688.000 tonnes de café pris gratuitement par jeu monétaire sur le dos des Africains. Et ceci est utile à l’Europe pour reconstruire les pays pauvres de l’Est qui intègrent l’Europe occidentale. Et pendant ce temps, les Africains sont toujours là dans la misère.

Un des inconvénients est la rigueur budgétaire imposée par les Européens aux pays africains de la zone CFA. Le budget se compose de recettes et de dépenses, et l’existence des comptes d’opérations, lesquels sont alimentés de façon prioritaire, tue les économies. Mais on tente de faire comprendre aux pays de la zone franc que c’est ainsi qu’ils vont se développer. L’utilisation du franc CFA est accompagnée d’une rigueur monétaire et budgétaire.

Il suffit de voir l’éducation nationale avec des budgets squelettiques, les hôpitaux qui sont des mouroirs, les bus avec des passagers entassés comme des sardines dans une boîte, etc. Mais on cherche à faire comprendre aux Africains que, parce qu’ils ont une monnaie forte, ils seront plus développés. C’est inexact. Parce qu’il suffit d’ouvrir les yeux.

La Corée du Sud, pour avoir le même euro pour lequel le Nigérien, le Burkinabè ou le Togolais donne 655,957 FCFA, donne 1500 Wons [Ndlr, 1.303 récemment] ; ça veut dire que le Won est deux fois plus faible que le CFA. Mais le revenu par habitant du Sud-coréen qui était de 690 dollars en 1960, est aujourd’hui de 32.000 dollars annuels. Un autre exemple est l’Indonésie qui, pour avoir un euro, débourse 16.500 Roupies indonésiennes [Ndlr, 15.927 récemment] ; et pourtant, le PIB par habitant de l’Indonésien est de 5.100 dollars annuels. Troisième exemple, le Vietnam qui a quitté la zone franc. Pour avoir le même euro, le Vietnamien débourse 29.000 Dong. Mais avec un PIB par habitant de 3.100 dollars annuels. Quand on se rappelle que ce dernier pays a fait dix ans de guerre contre les États-Unis, on soupire. Dernier exemple, l’Iran : un euro équivaut à 35.000 Rials. Avec pourtant un PIB par habitant de 13.200 dollars. Le Rial est 52 fois plus faible que le CFA. Mais qui est au bas de l’échelle ? Le Mali, le Burkina, le Togo, en un mot, les pays de la zone CFA.

En conclusion, lorsque les Africains refusent obstinément et veulent être rattachés à l’euro pour donner un artifice au franc CFA, ça donne un droit de regard des Européens sur les économies africaines au même titre que la France… En définitive, les Africains doivent faire attention parce que tout ce qui est mis en place, si on refuse de réfléchir par soi-même, et qu’on continue à marcher sur ce chemin, on va directement dans le sous-développement, pas sur la voie des pays en voie de développement, mais en voie de sous-développement. Et l’Afrique de demain, ce sont 2 milliards de personnes à nourrir en l’an 2050. Il faut prendre sur soi la responsabilité de réfléchir autrement parce que tout le système qui est mis en place –les comptes d’opérations, la fixité des parités, la libre convertibilité, la libre transférabilité des capitaux de la zone franc vers la France- converge vers un même but : enrichir la France et appauvrir les Africains. C’est ça que les Africains doivent comprendre. Parce que ceux qui sont au pouvoir prolongent un système néocolonial. Tout comme un salarié ne peut pas aller renvoyer l’employeur- c’est la même chose, un ensemble d’éléments liés les uns aux autres et concourant vers un même but. Et quel que soit l’individu qui prend le pouvoir dans ce système, il a un premier devoir, se soumettre à l’employeur, l’Elysée.

Transcrit par Godson K.

Source : Liberté

27Avril.com