Des thermos ‘amiantés’ et qui donnent le sida ? Psychose sur la toile

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Des comprimés pouvant transmettre des maladies se cacheraient-ils dans les bouteilles isothermes utilisées sur le continent africain ? Celles-ci contiendraient-elles de l’amiante, qui menacerait la santé des consommateurs ? Une psychose sur les réseaux sociaux a poussé des dizaines d’internautes à se filmer en train de briser leur thermos ces dernières semaines. D’où vient cet étrange mouvement de défiance ? Notre rédaction a enquêté pour démêler le vrai du faux.

Ce sont des internautes ivoiriens qui ont alerté notre rédaction à ce sujet cette semaine, en envoyant sur WhatsApp des photos et vidéos de thermos cassés dans lesquels ont été trouvés de petits éléments ronds, blancs ou gris, pouvant en effet ressembler à des médicaments. « On a découvert des comprimés dans plusieurs thermos à Odienné [Côte d’Ivoire], selon quelques indiscrétions ces comprimés seront à l’origine de mystérieuses maladies « , a expliqué l’un d’entre eux.

Côte d’Ivoire, Mali, Kenya… : même vent de panique dans plusieurs pays

Sur Facebook ou YouTube, une simple recherche permet de découvrir des dizaines de vidéos et photos similaires, qui circulent parfois depuis le mois de septembre en Côte d’Ivoire mais aussi au Kenya ou au Cameroun.

Certaines publications en français assurent que ces substances nocives donneraient le sida, le cancer ou encore provoqueraient des accidents cardio-vasculaires… Elles auraient été placées par des « Occidentaux » ou « la Chine » dans les bouteilles isothermes utilisées en Afrique pour en « finir avec l’Afrique ».

« Des comprimés de Sida, diabète, dans les thermos vendus en Afrique noire par la Chine, l’Europe. La Chine est le cheval de Troie des Blancs génocidaires « , peut-on lire en légende de l’une de ces vidéos sur Facebook.

« Une rumeur que j’ai moi-même vérifiée et constatée : à l’intérieur de [mon] thermos, trois comprimés. Dis-nous, les comprimés ça sert à quoi, protéger ou tuer ? » s’interroge un autre utilisateur du réseau social, en accompagnant son message de photos de son thermos cassé.

De l’amiante dans les thermos ? C’est possible

Le 19 septembre, un journaliste kényan assurait lui sur Facebook que ces petits « comprimés » étaient des morceaux d’amiante, utilisés comme isolants entre les parois du thermos. « Ils sont inoffensifs, mais si vous cassez le thermos et vous vous exposez à l’amiante, c’est très dangereux. Surtout si vous écrasez ces ‘comprimés’, que vous les manipulez avec les doigts ou si vous les inhalez : cela peut provoquer de graves maladies comme les cancers du mésothélium, des poumons ou de la gorge »(sic), précisait-il.

Une autre vidéo parvenue via WhatsApp à notre rédaction va également dans ce sens. Doublée en arabe, elle est extraite d’un documentaire qui date d’au moins 2011 (la première occurrence trouvée de ce documentaire sur YouTube est en version allemande et remonte à septembre 2011).

La séquence partagée sur les réseaux sociaux et YouTube depuis au moins le mois de septembre pourrait être à l’origine du mouvement d’inquiétude. Elle se déroule dans un laboratoire en Allemagne et montre un scientifique en train d’analyser un thermos. Celui-ci explique alors avoir trouvé à plusieurs reprises de l’amiante, produit interdit en Europe depuis 2005, dans des bouteilles isothermes importées de Chine. Un journaliste en voix-off poursuit en expliquant que ces produits « amiantés » ont été inscrits dans le système européen RAPEX, qui permet d’alerter sur les produits dangereux présents sur le marché.

Un document RAPEX publié sur le site de la Commission européenne confirme en effet que 18 marques de thermos comportant des fibres d’amiante avaient été signalées en 2012 en Italie, en Allemagne et en Espagne. La majorité d’entre eux avait été fabriqué en Chine. Plus récemment, un document du ministère de la Santé italien daté de mars 2018, indiquait le signalement d’un modèle de thermos importé de Chine contenant de l’amiante.

Au Kenya, où la rumeur autour des « comprimés « dans les thermos a également circulé, une agence gouvernementale a analysé une bouteille isotherme à la fin du mois d’octobre. Le quotidien kényan The Star rapporte que des experts du gouvernement ont confirmé que les petits « comprimés » retrouvés contenaient de la « trémolite », une forme d’amiante. L’un des experts a par ailleurs affirmé au quotidien que cette substance pouvait être cancérigène si elle était inhalée, manipulée ou si elle entrait en contact avec de la nourriture.

En novembre 2017, l’Autorité publique pour la protection du consommateur du sultanat d’Oman avait également annoncé le rappel de certains thermos dans lesquels des traces d’amiante avaient été retrouvées.

Casser son thermos, une expérience qui peut se révéler dangereuse

Est-ce que les « comprimés » que l’on voit sur les images diffusées en ligne sont systématiquement composé d’amiante pour autant ? Non, et il est impossible de le savoir en cassant un thermos.

Nous avons envoyé plusieurs de ces vidéos au Docteur Gunnar Ries, minéralogiste au laboratoire allemand de test CRB Analyse Service, notamment spécialisé dans l’amiante. Il assure que casser soi-même un thermos est dangereux et inutile :

Il est difficile de dire si [« ces comprimés »] sont de l’amiante ou pas sans les analyser en laboratoire. Il est en tout cas évidemment dangereux de casser une bouteille isotherme sans protection. Tant que les substances en amiante sont « enfermées » [entre les parois du thermos], ce n’est pas dangereux. Mais si l’on casse un objet dans lequel se trouve de l’amiante, là il y a des risques.

« On ne repère pas l’amiante à l’œil nu », a également confirmé à notre rédaction Michel Parigot, président de l’association française Andeva (Association nationale de défense des victimes de l’amiante), précisant que seules des législations obligeant l’étiquetage et le contrôle des produits importés permettraient de savoir à l’avance si un produit est potentiellement « amianté ».

Sur le site Asbestos Global, spécialisé sur l’amiante, un article daté de 2016 liste plusieurs thermos signalés comme dangereux en Europe en raison de la présence d’amiante dans leur composition. Dans la plupart des cas, il est cependant indiqué que le risque d’exposition à l’amiante existe seulement si le thermos se casse.

Conclusion : il est donc vrai qu’il existe des risques d’exposition si l’on casse son thermos et qu’il contient de petits morceaux en amiante, utilisés pour l’isolation. Mais aucun risque n’est avéré si le thermos est en bon état.

Des comprimés de « sida, diabète, hypertension » ? C’est faux

Les affirmations publiées également sur les réseaux sociaux, assurant que ces comprimés « pourraient transmettre le sida », causer du « diabète » ou de « l’hypertension » sont en revanche totalement infondées.

L’infection par le VIH (virus responsable du sida) est une maladie transmissible dans certaines circonstances très précises. Le plus souvent, elle se produit lors de rapports sexuels. Le diabète, les cancers ou les maladies cardio-vasculaires sont des maladies non-transmissibles et résultent d’autres facteurs (génétiques, physiologiques, environnementaux et comportementaux) qui sont détaillés sur le site de l’OMS. L’exposition à l’amiante peut cependant être responsable à terme du développement de cancers.

Sur les réseaux sociaux, les rumeurs accusant la “Chine” ou les “occidentaux” d’empoisonner l’Afrique avec des produits dangereux, notamment alimentaires, circulent régulièrement. Notre rédaction a enquêté à plusieurs reprises sur ces sujets.

Source : www.cameroonweb.com