La déclaration des biens est en souffrance au Togo. La minorité qui a pris en otage le pays, continue de traîner le pas en s’arc-boutant derrière des lois et décrets qu’elle malmène à loisir. Elle fait et défait les lois. Elle peut compter sur une assemblée nationale qui lui est totalement acquise avec des députés qui se déplacent même la main toujours levée.
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Seize mois après sa promulgation, la loi fixant les conditions de déclaration de biens et avoirs des hautes personnalités n’a jamais connu un début d’application. Pire, elle va subir des modifications pour, dit-on, « assouplir la procédure de déclaration ». Comme quoi il y a une peur bleue chez les tenants du parti bleu.
« Le Président de la République, le Premier ministre, les membres du gouvernement, le président et les membres du bureau de l’Assemblée nationale et les directeurs des administrations centrales et des entreprises publiques doivent faire devant la Cour Suprême une déclaration de leurs biens et avoirs au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction.
La loi détermine les conditions de mise en œuvre de la présente disposition », dispose l’article 145 de la Constitution de la IVè République adoptée par le Peuple Togolais le 21 septembre 1992 et promulguée le 16 octobre 1992. Le manque de volonté a fait que la loi devant ébaucher le déroulement de ce processus et la structure habilitée à recevoir les déclarations n’a jamais vu le jour. De Gnassingbé père à Gnassingbé fils, la lutte contre l’enrichissement illicite n’est pas une priorité.
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Mais à la faveur d’une nouvelle modification de la constitution intervenue en avril 2019, l’article 145 a été revu et contrairement à la Cour suprême, c’est le Médiateur de la République qui recevra désormais la déclaration des biens d’une longue liste de personnalités et agents publics : « Le Président de la République, le Premier ministre, les membres du Gouvernement, le Président et les membres du bureau de l’Assemblée nationale et du Sénat, les présidents et les membres des bureaux de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, du Conseil économique et social, de la Commission nationale des droits de l’Homme, les membres du Conseil supérieur de la magistrature, les magistrats des cours et tribunaux, les directeurs des administrations centrales, les directeurs et comptables des établissements et des entreprises publics, doivent faire, devant le Médiateur de la République, une déclaration de leurs biens et avoirs, au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction. Une loi organique détermine les conditions de mise en œuvre de la présente disposition ainsi que les autres personnes et autorités assujetties. Elle précise l’organe qui reçoit la déclaration des biens et avoirs du Médiateur de la République, au début et à la fin de sa fonction ».
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Huit mois plus tard, la loi organique fixant les conditions de déclaration de biens et avoirs des hautes personnalités, des hauts fonctionnaires et autres agents publics a été adoptée par les députés puis promulguée par le chef de l’Etat. Selon son article premier, cette loi organique n°2020-003 du 24 janvier 2020 « a pour but de renforcer la bonne gouvernance, de promouvoir la transparence dans l’exercice des fonctions et charges publiques, de garantir l’intégrité des serviteurs de l’Etat, de lutter contre la corruption et les infractions assimilées, de prévenir l’enrichissement illicite chez les hautes personnalités, les hauts fonctionnaires et agents publics et de renforcer la confiance du public dans les ins¬titutions de la République, les administrations publiques et les pouvoirs publics ».
Mais ce ne sont que des vœux pieux. Les « affairistes » qui dirigent le Togo, ne sont pas pressés de déclarer leurs biens. Quoiqu’ils aient « togolisé » le processus en permettant au déclarant d’établir « une déclaration initiale de patrimoine dans les quatre-vingt-dix (90) jours de sa prise de fonction », ils n’osent pas franchir le pas. Faure Gnassingbé qui a promulgué la loi et qui a juré de respecter et de faire respecter la constitution, s’accommode du statu quo. Mieux, il participe au dilatoire qui, finalement, tue les institutions appelées à faire de la bonne gouvernance une réalité au Togo.
La Cour des Comptes, la Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF), la Haute Autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HAPLUCIA) sont toutes malades, incapables de jouer le rôle qui est le leur. Non seulement le chef de l’Etat nomme dans ces structures des hommes liges, mais aussi il les prive de ressources humaines et financières adéquates.
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Plus d’un an après sa prise de fonction, Faure Gnassingbé n’est pas prêt à déclarer ses biens et avoirs. Son Premier ministre, Mme Victoire Tomégah-Dogbé, qui avait proclamé à sa nomination que son crédo c’est de « gouverner autrement », ne se presse pas non plus. Il a fallu dix mois après la promulgation de la loi organique fixant les conditions de déclaration de biens et avoirs des hautes personnalités, des hauts fonctionnaires et autres agents publics, avant que le gouvernement se rende compte qu’il était nécessaire de revoir les missions du Médiateur de la République. C’était au conseil des ministres du 28 octobre 2020, soit six mois après le début du 4ème mandat du chef de l’Etat (les 90 jours légaux étant forclos), qu’a été « examiné l’avant-projet de loi organique fixant la composition, l’organisation et le fonctionnement des services du médiateur de la République. Ce texte porte essentiellement sur l’organisation et le fonctionnement des services de cette institution pour tenir compte des évolutions des fonctions du Médiateur de la République ».
Et ce n’est que six mois plus tard que ce projet de loi a été adopté par l’Assemblée nationale (30 mars 2021). Le 14 avril 2021, le conseil des ministres a examiné un projet de décret fixant l’organisation et le fonctionnement des services du médiateur de la République. « Ce projet de décret vise à compléter l’organisation administrative des services du médiateur de la République. Il lui permet de jouer pleinement et efficacement son double rôle de médiation entre l’administration et les usagers et de dépositaire des déclarations de biens et avoirs », a indiqué le communiqué. Un projet de décret qui est en instance d’adoption.
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Et Dieu seul sait combien de temps cela va encore prendre. Un mois après, c’est-à-dire le mercredi 12 mai dernier, le conseil des ministres annonce qu’il a « examiné le projet de loi modificatif de la loi organique n°2020-003 du 24 janvier 2020 fixant les conditions de déclaration de biens et avoirs des hautes personnalités. Ce projet de loi qui vise à promouvoir la bonne gouvernance et à lutter contre les conflits d’intérêts, introduit des modifications permettant de préciser et d’assouplir la procédure de déclaration de biens et avoirs ».
Ce projet de loi qui est juste en examen, va être adopté plus tard par le gouvernement qui va, ensuite, l’envoyer à l’Assemblée nationale qui, après étude en commission, l’adoptera. La loi adoptée est alors transmise à la Cour constitutionnelle qui se prononce sur sa constitutionnalité. Après, il faudra revoir le projet de décret et mettre en place toutes les entités susceptibles de recevoir la déclaration des biens.
On est donc loin du bout du tunnel. Ceux qui avaient annoncé que Mme Awa Nana, Médiateur de la République, allait commencer à recevoir les premières déclarations dès février 2021, se sont déjà ravisés. La minorité pilleuse n’est pas du tout pressée.
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Et pour cause. Clairement, les premières personnes, concernées par la déclaration des biens, ont de la démangeaison psychique. Que faire des sociétés écrans et des autres biens dont la gestion est confiée à des comparses ? Ça les turlupine. Le risque de perdre certains avantages est grand. Dans un autre sens, les mêmes personnes vont profiter de ce dilatoire pour dissimuler certains biens mal acquis. C’est cela « gouverner autrement » !
Liberté N°3386
Source : Togoweb.net