De Quelles Faims Souffrons-Nous En Afrique ?

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A l’annonce du voyage du président du Sénégal, Macky Sall, Président en exercice de l’Union Africaine (UA) en vue d’une visite à Vladimir POUTINE en Russie, beaucoup d’Africains se sont réjouis. En effet, on pensait qu’il s’agissait de clarifier la position de l’Afrique à propos du conflit Russo-Ukrainien, un certain nombre de pays africains, dont le Sénégal, n’ayant pas voulu, au grand dam de l’Europe et des Etats-Unis, s’aligner derrière l’Europe lors du vote de la résolution de l’ONU (mars 2022) condamnant la Russie. Cette clarification semblait d’autant plus probable que le président Macky SALL devait être accompagné de Moussa Faki MAHAMAT, président de la Commission de l’Union Africaine. D’ailleurs, quelques jours avant son voyage, lors de la visite du chancelier allemand à Dakar le 22 mai 2022, le président Macky SALL avait déclaré : « Nous voulons la paix, nous travaillons pour qu’il y ait un cessez-le-feu », « c’est ça la position africaine ».

Quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous avons appris que les entretiens avec POUTINE avaient surtout porté sur la crise alimentaire qui se profilait à l’horizon pour l’Afrique !

Le président en exercice et le président de la Commission de l’UA se sont donc rendus en Russie auprès de Vladimir POUTINE pour lui demander de tout faire pour que l’Ukraine puisse reprendre les exportations dont l’Afrique dépend. Cela devait permettre d’éviter ainsi une grave crise alimentaire sur le continent car en plus du renchérissement du prix du blé, désormais c’est la flambée des prix des engrais qui menace les récoltes. Cette flambée pourrait provoquer dès cette année un effondrement de 20 à 50% des rendements céréaliers en Afrique, affirme Macky SALL. Bref, si l’UA s’est mobilisée, ce n’est pas tant au nom de principes comme la primauté du dialogue, la recherche de la paix, ou encore le non-alignement, mais juste pour aller, en quelque sorte, confirmer encore une fois son image de continent qui a toujours et tout le temps besoin de l’aide des autres. Et Vladimir POUTINE ne s’y est pas trompé, fier d’être celui vers qui un continent entier accourt pour que ses habitants ne meurent pas de faim !

Mais notre vraie faim, à nous citoyens africains, fiers d’être les filles et les fils de ce continent, est-ce d’abord d’un secours en matière de blé ou d’engrais ? Pourquoi toujours quémander au lieu de tabler d’abord sur nos potentialités et capacités ?

Or cette guerre entre la Russie et l’Ukraine aurait pu nous amener à saisir l’occasion de reprendre notre destin en mains. Car, posons-nous la question, le blé est-il en fait l’aliment de base pour les pays d’Afrique, et surtout d’Afrique subsaharienne ? En effet, nous nous posions déjà cette question dans notre tribune du 20 mai 2022, en constatant que depuis une trentaine d’années les Togolais ont laissé le pain à base de farine de blé, et les pâtes alimentaires à base de blé dur, prendre beaucoup de place dans leur régime alimentaire quotidien : « Après tout, la pénurie de blé ne nous fera peut-être pas autant de mal que cela ? » Et nous recommandions ceci : « de même que les Togolais ont dû changer leurs habitudes alimentaires en 1973-74 pour faire face à la difficulté à se nourrir convenablement en ne gardant que le maïs comme base de leurs repas, il faudra faire preuve d’imagination et surtout de renoncement pour trouver des solutions pratiques pour trouver le pain quotidien. »

La guerre en Ukraine pouvait nous permettre d’opter pour une alimentation qui réponde à une de nos faims les plus importantes : ne pas toujours être dépendants des autres en imitant leurs modes de vie. Mais hélas.

L’Afrique devrait-elle vraiment, par ses représentants, aller supplier POUTINE en Russie pour éviter la famine ? N’y aurait-il pas moyen, pour l’UA, de lancer nos chercheurs sur l’utilisation d’autres engrais que ceux fabriqués en Europe et d’étudier par exemple les moyens traditionnels de fertilisation des sols ? Au lieu de cela, déjà la Banque Africaine de Développement va financer un demi-million de tonnes d’engrais, principalement pour les pays du Sahel, et d’autres programmes de financement d’engrais mais aussi de céréales ont été annoncés par la Banque Mondiale et d’autres agences de développement. Et quel sera le résultat de tout cela ? Encore des dettes ! Et surtout la certitude qu’en cas de pénurie similaire nous en serons encore réduits à quémander, tout en nous endettant davantage !

Au-delà du changement indispensable des habitudes, ce qui serait intéressant aujourd’hui, c’est que la guerre en Ukraine vienne soulager une de nos faims, peut-être la plus fondamentale : LA FAIM DE DIGNITE. Nous voulons en effet restaurer notre dignité en corrigeant l’image d’une Afrique qui n’aurait rien à proposer et qui ne sait que tendre la main.

Pour cela il faudrait avant tout ne pas accepter automatiquement toutes les solutions qui nous maintiennent dans le statut d’éternels assistés. Il nous faut aussi renoncer à la facilité qui nous pousse à choisir la voie habituelle au prétexte que c’est la plus efficace, la plus adaptée. Cela ne devrait pas être difficile car, il est aisé d’en faire le constat, jusqu’à présent les choix dont nous sommes coutumiers ne nous sortent pas définitivement de nos problèmes : l’Afrique demeure toujours le continent le plus pauvre, toujours en queue de peloton, toujours à aider dans un système savamment organisé.

L’Afrique est-elle vraiment incapable de trouver des solutions à ses problèmes ? Pour répondre à cette question, il nous faut passer par un autre exemple que celui de la faim : la lutte contre le terrorisme. La solution pour cette lutte semble être la guerre. Or des Talibans en Afghanistan à Al-Qaida en Irak, puis DAESH en Syrie, d’AQMI au Sahel à BOKO HARAM au Nigéria et au Cameroun, aucune guerre n’a réussi à mettre fin au terrorisme, et on a assisté au retrait sans panache d’Afghanistan de l’Amérique de Joe BIDEN et au départ peu glorieux de la force française Barkhane au Mali.

Le terrorisme exporté à présent en terre africaine ne semble pas céder le terrain devant les armes, au contraire, il semble s’étendre du Burkina au Niger, et maintenant au Bénin et au Togo. Pourquoi continue-t-on alors ce type de lutte ? On commence à se poser la vraie question : est-ce que cela ne servirait pas certains intérêts, au-delà même de ceux des marchands d’armes ?

Notre intention n’est pas de répondre à cette interpellation mais de montrer qu’il faut s’interroger à propos des intérêts en jeu. Cela donne un éclairage tout à fait différent aux problèmes apparemment insolubles. Ainsi est-il de notre intérêt de continuer à être le continent de la faim, de la pauvreté, de l’impossibilité à se développer ? Notre intérêt n’estil pas au contraire de nous projeter autrement que du continent qui a systématiquement besoin de l’aide mais aussi des idées des autres, de nous positionner plutôt comme le continent dont on a besoin ? Notre intérêt n’est-il pas de démontrer que ce dont nous avons besoin c’est d’une Afrique qui gagne, au lieu de donner raison à ceux dont l’intérêt est de voir une Afrique qui perd ?

Au niveau du citoyen, cela ne signifierait-il pas de commencer par compter sur soi-même, avec la conviction qu’on a la force de faire face à ses problèmes et difficultés, avec la certitude que ce qu’il faut aller chercher chez l’autre ce n’est pas la solution mais la solidarité en vue de réaliser la solution qu’on a soi-même choisie ?

N’est-ce pas la voie conseillée par Thomas SANKARA affirmant qu’il faut une certaine folie pour accomplir des changements fondamentaux « Dans ce cas précis, expliquait-il, cela vient de l’anticonformisme, du courage de tourner le dos aux vieilles formules, du courage d’inventer le futur » ?

Maryse Quashie et Roger Ekoué Folikoué
[email protected]
Lomé, le 17 juin 2022

Source : 27Avril.com