Le règne cinquantenaire des Gnassingbé de père en fils crée un nouveau type de Togolais difficile à cerner. Généralement fourbes, hypocrites, ils sont à double visage, abusent de la confiance de leurs compatriotes et des gens de bonne volonté, pour enfin se mettre à la disposition de la dictature dont ils sont en réalité des admirateurs. Le landerneau politique togolais regorge de ces individus qui, dans l’ombre, travaillent à torpiller la lutte contre l’alternance. Très jeunes, ils sont devenus les bourreaux du peuple en mettant leurs expertises au service de la dictature implacable qui asphyxie ce pays depuis des décennies. Justifiant du haut de leurs diplômes d’agrégées ou de professeurs titulaires en droit, ils n’hésitent pas un seul instant à pourfendre les partisans de la démocratie.
Dans le monde académique, ils sont devenus des petits « Mussolini » pour leurs collègues et administrés. Et pourtant dans un passé récent, certains de ces individus s’affichaient comme de farouches opposants au régime des Gnassingbé, à leurs méthodes et étaient même prêts à en découdre avec les armes. C’est une histoire incroyable, mais qui trouve son sens dans le contexte togolais.
C’est l’histoire d’un grand diplômé en droit très en vue aujourd’hui aux côtés de Faure Gnassingbé, au vu de ses responsabilités tant sur le plan académique que de l’expertise qu’il fournit dans l’ombre. Nous sommes en février 2005, Gnassingbé Eyadema meurt subitement. A Lomé, l’armée et les barons du régime organisent un coup d’Etat constitutionnel spectaculaire et inédit pour permettre au fils du défunt, Faure Gnassingbé, de capter le pouvoir. A plus de 6000 km du Togo, en France, quelque part à Poitiers, des étudiants partis pour poursuivre leurs études de droit dans cette ville ne pouvaient pas accepter ce nouveau coup de force du clan Gnassingbé qui jetait un discrédit sur le pays et ses citoyens. L’ambiance était naturellement à la révolte et les discussions surchauffées. Il n’en fallait pas plus pour que la solution extrême soit préconisée : il faut des armes pour rentrer à Lomé et déloger Faure Gnassingbé et sa clique. Une idée géniale avancée par celui qui, à l’époque, voulait incarner le « Guillaume Soro » togolais.
Pour avoir les armes, il faut de l’argent. Une quête fut rapidement lancée pour la circonstance. La vingtaine d’étudiants engagés de l’époque décidés à en découdre avec les usurpateurs de Lomé, malgré leurs difficultés, ont mis la main à la poche. Des dizaines de milliers d’euro furent collectés et remis au chef de bande, le néo « Guillaume Soro » togolais, pour aller acheter les fameuses « Kalachnikov ». Et depuis plus de 13 ans, ceux qui ont contribué pour cette opération n’ont rien vu venir. Plus grave, le chef apprenti rebelle s’est retrouvé à Lomé et s’est curieusement mis au service du régime.
Il obtient une promotion accélérée dans le monde académique. Parallèlement à ses responsabilités universitaires où il s’est érigé en petit « Mussolini » envers ses administrés, parfois traités comme des animaux, il met son expertise juridique au service du régime sur plusieurs plans. Il fait partie de ceux, qui contre vents et marées, et même le bon sens, racontent que celui qu’il voulait dégager par les armes il y a une dizaine d’années, a le droit de se présenter indéfiniment à la tête du pays. C’est le nouveau « Charles Debbasch » du régime. Depuis un certain temps, il tente, vainement, de rallier certains de ses anciens camarades de Poitiers au régime. Un ralliement pour des postes juteux. Ceux qui connaissent le bonhomme, ses positions contre le régime depuis Poitiers tombent des nues. Ils se demandent s’il avait vraiment acheté les armes. Où les a t-ils entreposées. Est-il convaincu de ce qu’il fait pour le régime ou c’est juste une infiltration (sic) qu’il tente «pour mieux s’approcher de sa cible et l’abattre» ou est-ce finalement un ralliement définitif qui ne dit pas son nom? Son obstination à convaincre ses anciens amis de rejoindre la nouvelle barque contre des strapontins a fini par convaincre ces derniers qu’il a vraiment rallié le régime avec armes et bagages.
Au sein de cette « fraternelle de Poitiers » puisque c’en est une, ses anciens amis dont certains sont dans des institutions internationales espèrent qu’un jour, il finira par leur rembourser les centaines d’euros cotisés pour la (bonne) cause. L’apprenti rebelle dans ses nouvelles responsabilités n’a que faire des rodomontades de ses anciens amis. Dans la vie, seuls les imbéciles ne changent pas, n’est-ce pas ? Mais lorsqu’on a été aussi loin dans son engagement à dégager le régime de Faure Gnassingbé, le jour où on change d’avis pour se rallier à lui, il faut savoir jouer au discret, sinon les secrets vont se retrouver sur la place publique. N’est-ce pas, monsieur l’apprenti rebelle ?
Bon à suivre.
Source : L’Alternative No.687 du 09 mars 2018
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