De 1956 à 1962, la France a ordonné à ses services secrets d’assassiner des citoyens français

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C’était un tabou

Des documents lèvent le voile sur des projets d’élimination de Français, d’Européens et de dignitaires étrangers pendant la guerre d’Algérie.

C’était un tabou. Si notre démocratie s’accordait, en secret, le droit de recourir à l’assassinat ciblé contre des ennemis étrangers, une pratique reconnue par l’ancien président de la République François Hollande, la France s’interdisait, en théorie, de tuer ses propres ressortissants. Une règle avancée officieusement par les autorités politiques et du renseignement depuis l’après-guerre. Un ouvrage fouillé à paraître, Les Tueurs de la République (Fayard), de Vincent Nouzille, dans son édition augmentée, livre des documents inédits qui viennent contredire cette affirmation. Extraits du fonds d’archives personnelles de Jacques Foccart, homme de confiance du général de Gaulle, chargé de suivre les services secrets et les affaires africaines, ils lèvent un voile inédit sur des projets d’élimination de Français mais aussi d’Européens et de dignitaires étrangers.

Selon ces nouvelles pièces, au cœur de l’été 1958, dans le plus grand secret d’un pouvoir gaulliste tout juste revenu aux affaires grâce au putsch d’Alger du 13 mai, Jacques Foccart a coordonné, sous les ordres du général, un programme d’opérations clandestines sur fond de conflit algérien. Menaces, attentats, sabotages mais aussi assassinats figurent parmi les moyens employés. Le service action du Sdece (service de documentation extérieure et de contre-espionnage, devenu DGSE) était chargé de mener ces missions. Constantin Melnik, conseiller du premier ministre chargé des affaires de renseignement de 1959 à 1962, chiffrait le nombre d’assassinats à 140 pour la seule année 1960, sans pour autant fournir de détails.

Daté du 5 août 1958 et intitulé « Fiche concernant les objectifs Homo [terme technique qui désigne les assassinats] », le premier document dresse la liste de neuf personnes à éliminer. Elles sont classées en trois catégories. Les « Français pro-FLN » avec un nom, Jacques Favrel, un journaliste basé à Alger. Celle des « trafiquants » comprend six noms : des vendeurs d’armes mais aussi des proches du Front de libération nationale (FLN), dont un Autrichien, un Allemand et un « Français musulman algérien » appartenant à un réseau d’exfiltration de légionnaires déserteurs. Et enfin, celle intitulée « Politique » dans laquelle apparaît le nom d’Armelle Crochemore.

« But à atteindre »

Au bas de cette pièce essentielle à l’écriture de l’histoire de la politique française d’assassinats ciblés, l’encre bleue de la plume de Jacques Foccart, dont on reconnaît la signature, indique que cette liste a reçu « l’accord de l’amiral Cabanier le 7/8 ». Ce dernier n’est autre que le chef d’état-major de la défense nationale attaché au général de Gaulle à la présidence du Conseil. Puis M. Foccart ajoute, à la suite : « Donné aussitôt au général Grossin », le patron du Sdece. Deux jours se sont écoulés entre la réception des noms réunis par les services secrets et le feu vert transmis, en retour, par le pouvoir politique. La validation, entre-temps, par le général de Gaulle lui-même est probable, mais elle ne relève, à ce stade, que de l’hypothèse.

Source : Camerounweb.com