Pr David Dosseh: En tant que citoyen, en tant qu’acteur de la société civile, je ne l’appréhende pas particulièrement. Je crois que les citoyens togolais ont généralement un bon état d’esprit et je ne crains pas particulièrement des actes de violence. En tout cas, pas provenant des citoyens. S’il doit y avoir de la violence, ça doit être vraiment une violence organisée par des groupuscules. On se souvient qu’on a vu entre-temps des miliciens descendre dans les rues de la capitale et d’autres villes pour perpétrer certains actes répréhensibles. Mais pour le moment, je ne pense pas qu’il soit nécessaire que certains fassent descendre des miliciens. Et donc globalement, je n’ai pas de crainte particulière.
Comment appréciez-vous le processus électoral dans son ensemble ?
Je crois que tous les acteurs objectifs sont d’accord sur le fait qu’il s’agisse d’un processus électoral particulièrement vicié, un processus totalement opaque et qui est conduit de façon à permettre une énième confiscation du pouvoir par le régime en place. Nous savons qu’au Togo c’est une dictature qui, malheureusement, régente le pays depuis plusieurs décennies. Tout est fait depuis les réformes constitutionnelles taillées sur mesure, les lois liberticides qui empêchent le peuple de manifester, la Cour constitutionnelle qui malheureusement est elle-même anticonstitutionnelle mais constituée de façon à rendre service à une personnalité, des recommandations pour la transparence électorale qui ne sont pas acceptées par le pouvoir en place et des observateurs comme l’Union Européenne qui rechignent à envoyer des personnes sur le terrain pour observer l’élection parce qu’effectivement tout le monde sait que les dés sont pipés. Donc un regard assez noir sur l’ensemble du processus électoral.
(…) Toujours par rapport à la qualité du processus électoral, il y a une autre supercherie intellectuelle faite par ce régime, lorsqu’on nous annonce le vote de la diaspora. Sur plus d’un million d’individus, ce sont quelques centaines seulement qui sont recensées et qui doivent participer au vote. Je crois que ce n’est pas sérieux de demander une carte consulaire alors qu’on sait que dans la diaspora, personne n’a jamais demandé de carte consulaire. Et en plus, on dit que cette carte doit être faite au moins six moins avant le processus électoral et cette annonce est faite trois mois avant le processus. C’est vraiment se foutre des Togolais. Mais nous sommes habitués et je pense que tout cela me permet de dire clairement que trop c’est trop et il faut vraiment tourner la page.
Quel sera le rôle de la société civile dans ce dernier virage du processus ?
La société civile militante que nous représentons, je veux parler du Front Citoyen Togo Debout et les organisations alliées, milite pour que le Togo devienne un Etat de droit et qu’il y ait la démocratie ; et cela passe bien sûr par l’alternance politique. Le président Faure a déjà fait trois (03) mandats, il est bon qu’il puisse passer la main. Nous qui sommes de la société civile, nous allons apporter notre soutien aux forces qui luttent pour l’alternance et la démocratie en parlant des candidats de l’opposition. Nous allons également mettre toutes nos capacités en œuvre afin que l’élément essentiel, notamment le procès-verbal soit protégé. L’UE avait recommandé que la proclamation des résultats se fasse par bureau de vote afin de permettre ainsi d’avoir une proclamation des procès-verbaux authentiques. Le régime s’y oppose farouchement parce que sachant qu’à la fin, il faut pouvoir proclamer des résultats qui ne tiennent pas compte des procès-verbaux authentiques. Donc nous, nous allons appeler la population à protéger le procès-verbal afin que nous puissions, en dépit du fait que le processus soit totalement vicié, protéger au moins le procès-verbal et ainsi, je l’espère, arriver à la vérité des urnes.
Le Togo vient de loin, avec la récente crise politique de 2017…Comprenez-vous la quasi-indifférence de la communauté internationale face à la tragicomédie en préparation ?
J’avoue que nous nous posons des questions quant à l’attitude de la communauté internationale. Si aujourd’hui des institutions comme le CEDEAO qui a totalement déçu le peuple togolais, d’autres paraissent totalement passives et ne mettent pas suffisamment de pressions sur le régime togolais. Toutefois lorsqu’on a des discussions bilatérales, c’est presqu’un aveu qui nous est fait. Mais je crois qu’aujourd’hui, les responsables de ces différentes institutions internationales ne sont pas dupes. Ils connaissent la nature du régime togolais, ils savent que c’est un régime qui continue de s’imposer par la force des armes, par la force de l’armée et ils estiment qu’il est nécessaire pour le Togo de faire le virage démocratique. Mais ce qu’ils nous disent aussi clairement, c’est qu’il est important que ce soit le peuple togolais qui prenne le devant de la lutte et que la communauté internationale ne sera qu’un levier afin de décupler ce que le peuple togolais aura fait (…) Cela signifie tout simplement que la communauté internationale sait ce qui se passe, mais ne prendra jamais le devant de la lutte. Il revient au peuple togolais de se libérer avant d’espérer un quelconque soutient de cette communauté internationale.
Le Togo a été récemment invité par Ibn Chambas à tenir une élection exemplaire, parce qu’il sera le premier pays en Afrique à tenir son scrutin sur la série prévue. Avez-vous l’impression que notre pays va relever ce défi ?
Je crois que ce serai vraiment naïf d’espérer de la part de ce régime, l’organisation d’un processus électoral transparent qui respecte les standards internationaux. Déjà tous les signaux démontrent clairement que tout est mis en place pour favoriser la victoire du président Faure Gnassingbé. Mais cela ne signifie pas qu’il faut baisser les bras, ou encore leur faciliter la tâche. Je pense que le peuple a la capacité de se mobiliser, d’aller voter en grand nombre et de défendre véritablement le suffrage, les bulletins de vote et surtout les procès-verbaux authentiques. Que ce soit Ibn Chambas qui le dise, il le dit peut-être au nom du Secrétaire Général des Nations Unies dont il est le représentant ; et donc nous le respectons pour cela. Mais M. Ibn Chambas, malheureusement, ne constitue pas un modèle de probité de par ses relations anciennes avec le Togo. Et donc c’est un appel malheureusement qui perd un peu de sa crédibilité, vu le personnage de M. Chambas. En tout cas, il revient amplement aux citoyens togolais de savoir que dans cet affaire, il ne faut plus compter sur quelqu’un d’autre, il ne faut plus compter sur la communauté internationale ; il faut d’abord se battre soi-même et ensuite on verra ce qui pourra advenir.
En termes de transparence, s’il faut donner une note au processus tel que conduit par le régime en place, combien lui donneriez-vous, sur une échelle de 10 ?
S’il faut donner une note sur 10, on est largement en dessous de la moyenne, on doit tourner peut-être autour de 3 et 3,5 à mon avis, puisque le minimum n’a pas été fait. Pour ce qui concerne le fichier, nous avons aujourd’hui des milliers de Togolais qui ne sont pas inscrits alors que pour eux, c’est un droit constitutionnel qui est encore violé par ce pouvoir en place. La CENI, elle est totalement penchée d’un côté ; la Cour constitutionnelle, nous avons expliqué pourquoi elle est anticonstitutionnelle. Le pouvoir refuse la proclamation des résultats par bureau de vote, sachant que c’est le meilleur moyen pour qu’il y ait plus de transparence et une vraie traçabilité des résultats. Je crois que si on donne déjà 3 sur 10 à ce processus, c’est qu’on est très généreux.
Que dites-vous de l’acharnement actuel sur les militants du PNP et la terreur imposée aux populations de Sokodé, Bafilo, Agoènyivé et autres localités ?
L’acharnement sur les militants du PNP rappelle un peu ce qui s’était passé dans les quartiers de Bè et dans d’autres de Lomé. C’est inadmissible, quelles que soient les populations qui sont ciblées, quels que soient les citoyens qui sont ciblés. Je pense qu’un régime qui doit normalement assurer la sécurité de ses citoyens et qui se met lui-même à les opprimer, à les martyriser, ne mérite pas leur respect. J’invite toutes ces populations qui sont dans la souffrance à garder courage, parce que la fin finira bientôt par arriver. Quel que soit le terrain qui se présente à nous, mobilisons-nous pour aller affronter ce régime et le faire enfin disparaitre pour que le Togo puisse renaitre de nouveau, pour que nous puissions constituer une vraie nation. Je reprends les termes du ministre Trimua qui a enfin reconnu qu’après le régime RPT, le Togo a été socialement délabré, économiquement exsangue, politiquement divisé (…) Enfin un ministre de la mouvance présidentielle reconnaît que le RPT avait fait du mal au Togo. Nous avions peut-être espéré que le Président Faure allait peut-être réparer les dégâts ; malheureusement les dégâts sont toujours là. Il nous revient à nous, citoyens, de nous libérer enfin de plus de cinquante (50) années de dictature et de remettre notre pays sur la voie de la cohésion sociale, de l’unité nationale et du développement.
C’est la mode ces derniers temps, les partis, associations de la société civile, candidats recalés n’hésitent pas à donner des consignes de vote aux électeurs. C’est quoi la vôtre à Togo Debout et au sein des Forces du consensus démocratique ?
Le Front citoyen Togo Debout a été clair dans sa position. Pour nous, il s’agit de favoriser l’alternance démocratique, et pour cela, nous avons aujourd’hui six (06) candidats qui se présentent au nom de cette opposition démocratique. Il revient donc au citoyen togolais de faire son choix parmi les six candidats de l’opposition. Et par rapport à ça, s’il y a vraiment une consigne de vote à donner, c’est de voter pour un des six candidats de l’opposition afin que nous puissions avoir toutes les chances de gagner, soit au premier tour, soit d’aller à un second tour et laminer le pouvoir en place. Mais parmi les six candidats de l’opposition, le Front citoyen Togo Debout n’a pas à donner une consigne précise de vote.
Croyez-vous à l’alternance avec cette élection ?
Si nous étions vraiment dans un processus transparent, à coup sur je vous dirais à 100 % que l’alternance est enfin acquise. Mais nous savions tous que c’est le régime qui organise l’élection et ce régime n’a jamais organisé une élection intègre ; et donc il fera tout pour mettre en place son système habituel de fraudes pour empêcher justement la vérité des urnes. Mais il est possible de le battre sur ce terrain qui est son terrain de prédilection ; parce que voler, ce n’est jamais facile, ce n’est jamais totalement acquis. Lorsque le citoyen sait qu’on va le voler et décide de ne pas se laisser faire, ça peut rendre les choses beaucoup plus difficiles pour ceux qui pensent que la fraude est le seul système à mettre en place pour espérer continuer de diriger ce pays.
Quel message à l’endroit des électeurs et du peuple togolais en général ?
C’est surtout de ne pas se décourager. Baisser les bras ou se décourager n’apportera certainement pas l’alternance. La lutte a commencé il y a plusieurs décennies, elle a connu une recrudescence en 2017, nous n’avons pas abouti, puisque l’alternance n’est pas encore intervenue ; mais du chemin a été fait. J’invite tout simplement les citoyens à se remobiliser surtout. J’ai rencontré beaucoup de citoyens de la diaspora ces derniers jours et je crois que la remobilisation constitue quelque chose qui est en train de se faire. Les gens étaient vraiment découragés, les gens se sont dit que l’élection se faisant toujours dans les mêmes conditions, ce n’était même pas la peine d’espérer quoi que ce soit. Mais de plus en plus de gens se disent qu’en fait, si on se bat, si on se mobilise, si on protège le procès-verbal, on peut peut-être arriver à quelque chose. Ou alors si finalement l’élection ne permet pas d’obtenir l’alternance, cette mobilisation autour du processus électoral peut se poursuivre et permettre d’arracher quelque chose en 2020. Mais moi je reste convaincu que 2020 apportera l’alternance au peuple togolais d’une manière ou d’une autre. Donc ne baissons pas les bras, battons-nous, c’est notre droit le plus absolu, nous devons nous libérer de cette servitude.
Source : Letabloid.com-
Source : icilome.com