Angola, Togo et Nigeria : ce sont les trois pays que le président turc Recep Tayyip Erdogan va sillonner ces jours-ci, pour y renforcer la présence turque sur les plans économique, politique et militaire. Mais le dirigeant, sous pression dans son pays, n’y va pas les mains vides. Il vient de faire paraître un livre qu’il a intitulé Un monde plus juste est possible, et qui porte sur la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU. D’où la teneur de ses premières déclarations, plus offensives, mais qui peuvent le faire paraître comme le garant d’une autre approche des relations internationales plus équilibrées. « Nous, en Turquie, nous attachons une grande importance et une grande valeur à la relation étroite que nous entretenons avec le continent africain », a affirmé lundi soir le dirigeant turc devant un parterre d’hommes d’affaires angolais, selon un communiqué diffusé par son parti AKP. « Nous désirons faire progresser ces relations sur la base d’un partenariat égalitaire gagnant-gagnant, dans le cadre du respect mutuel », a-t-il poursuivi.
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Damner le pion aux Occidentaux
Un peu plus tôt, dans un discours devant le Parlement angolais diffusé sur le site de la présidence turque, Recep Tayyip Erdogan avait estimé que « le sort de l’humanité ne peut pas et ne doit pas être laissé à la merci d’une poignée de pays qui sont les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ». « Ignorer les appels au changement est une injustice pour l’Afrique », a-t-il ajouté en soulignant que la Turquie ne portait « aucune tache » d’impérialisme ou de colonialisme. Un discours bien rodé alors que la Turquie ne cesse depuis vingt ans de renforcer sa présence en Afrique subsaharienne. À la fin de la tournée, Erdogan aura visité un total de 30 pays africains en tant que président et Premier ministre depuis 2004.
Historiquement, les Turcs ottomans ont noué des liens étroits à travers le continent, du Maroc, à l’Éthiopie, au Nigeria ou encore l’Afrique du Sud. La République turque naissante s’est ensuite concentrée sur ses voisins et l’Europe avant de mettre le cap de nouveau vers l’Afrique, vers la fin de la guerre froide. C’est au cours des dix dernières années que le pays a marqué un coup d’accélérateur avec une stratégie plus diversifiée des affaires, au soutien diplomatique et militaire, sans oublier les affaires. En 2003, le volume des échanges entre Ankara et l’Afrique subsaharienne est passé de 5,4 milliards de dollars à plus de 25 milliards de dollars en 2020. Sur le plan diplomatique, l’implantation de la Turquie a été fulgurante, en 2009, Ankara ne disposait que de douze ambassades contre 43 aujourd’hui, si on compte la dernière ouverture, au Togo.
La compagnie aérienne nationale Turkish Airlines opère des vols vers 60 destinations différentes dans 39 pays tandis que l’Agence turque de coopération internationale et de développement a élargi ses activités sur tout le continent.
L’économie, l’une des facettes du partenariat stratégique entre Ankara et l’Afrique
La Kigali Arena au Rwanda, une mosquée au Ghana, une base militaire en Somalie, un projet de chemin de fer entre l’Éthiopie et Djibouti : ce sont là quelques-uns des derniers chantiers emblématiques menés par des entreprises turques sur le continent. Lors de conversations avec son homologue angolais João Lourenço, le président turc a vanté l’industrie gazière turque et soulignant que celle-ci « serait ravie de partager son expérience ». Plus qu’un intérêt croissant, ces pays africains choisis par le président turc ont affiché l’ambition commune de passer à la vitesse supérieure en attirant l’investissement ou l’implantation locale. Le président João Lourenço, qui s’est rendu en Turquie, il y a trois mois, cherche à diversifier une économie toujours fortement dépendante du pétrole. La Turquie s’est dite prête à contribuer à la réflexion sur les réformes, notamment en termes de diversification des ressources économiques, de renforcement des infrastructures et de création d’emplois. Au bout, Ankara vise les ressources naturelles du pays comme le phosphate.
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Autre exemple avec le Togo, où la balance commerciale entre les deux pays est largement en défaveur de Lomé. Entre 2017 et 2020, le Togo a importé pour 184 millions dollars essentiellement du textile, de l’agroalimentaire et d’autres produits manufacturés. Au même moment, le Togo exportait des matières premières brutes pour 13 millions de dollars. Les autorités togolaises comptent sur la visite du président Erdogan à Lomé ce mardi pour amorcer un rééquilibrage. « Le Togo, par sa position géographique stratégique, les avantages du port autonome de Lomé, la présence d’importantes institutions financières et les réformes courageuses du climat des affaires, peut être une porte d’entrée naturelle pour le commerce et les investissements de la Turquie en Afrique », souligne Robert Dussey dans un entretien à l’agence Anodulu.
Des drones de combat, vecteur d’influence
Quant au Nigeria, dont les liens avec Ankara sont anciens, il est le premier partenaire commercial de la Turquie en Afrique subsaharienne avec un volume d’échanges de 754 millions de dollars en 2020. Mais pour les deux États, c’est encore loin du potentiel estimé. La Turquie veut pousser la vente de matériels d’armement, en pleine expansion, comme les drones militaires d’attaque pour la lutte contre le terrorisme, notamment Boko Haram. Ils sont moins chers que les avions de chasse et pourraient donc fortement intéresser les États africains. Sur ce volet, le chef de l’État turc doit rencontrer à Lomé le président du Burkina Faso, pays en proie à l’islamisme terroriste.
Cette visite s’inscrit dans une séquence plus longue où la Turquie compte bien déployer son soft power. Elle précède deux événements majeurs : le sommet des affaires Turquie-Afrique qui doit se tenir jeudi et vendredi à Istanbul et le troisième sommet Turquie-Afrique en décembre, où une quarantaine de chefs d’État africains sont attendus. Signe que l’Afrique y voit également des bénéfices, la dernière enquête Africaleads 2021, menée chaque auprès des « leaders d’opinion » africains, montre une forte progression de la Turquie en termes d’image positive. Une preuve de plus que le continent pris en étau entre l’influence chinoise croissante et l’ambivalence des partenaires historiques est bien décidée à diversifier ses partenaires.
Avec Le Point
Source : Togoweb.net