Après plus de trois mois d’affrontements par manifestations interposées, les représentants de la majorité et ceux de l’opposition devaient amorcer le dialogue, ce mardi 12 décembre, par une série de réunions préparatoires. Jean-Pierre Fabre, chef de file de l’opposition, a décliné l’invitation et se montre plus que réticent à poursuivre le processus.
« Au bout d’un moment, tous ont fini par comprendre que ça ne pouvait aboutir qu’à un dialogue », lâche exaspéré un commerçant du célèbre carrefour Dekon, dans le centre-ville de Lomé. Depuis les premières manifestations d’envergure de l’opposition, en août, pour réclamer le retour à la Constitution de 1992 « dans sa version originelle » et le droit de vote pour la diaspora, les positions des uns et des autres s’étaient durcies, faisant craindre un embrasement de la situation.
Aux manifestations à l’appel du Combat pour l’alternance politique, le 3 août, ont succédé celles, violemment réprimées, du 19 août, organisées par le Parti national panafricain (PNP) de Tikpi Atchadam, puis, à partir de début septembre, leurs hebdomadaires marches conjointes ont été suivies par le Groupe des six ainsi que par plusieurs autres formations politiques et de la société civile.
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Bataille de mobilisation de rues
L’opposition a cru pouvoir remporter la bataille en mobilisant des milliers de personnes dans les rues d’une dizaine de villes du pays, ainsi que dans quelques capitales africaines et européennes. Mais l’Union pour la République (Unir), le parti présidentiel, a pu elle aussi compter sur ses marées humaines pour tenir tête aux vagues contestataires de l’opposition.
Très implantée sur l’ensemble du territoire, l’Unir dispose de moyens réputés importants, de milliers de fidèles militants prêts à envahir également les rues et d’une armée qui, depuis cinquante ans, est restée loyale à Gnassingbé Eyadéma (1967-2005), puis à son fils, Faure.
« Les deux camps ont fini par se rendre compte de la nécessité de se parler pour éviter de perdre la face auprès de leurs militants respectifs », explique le politologue togolais Mohamed Madi Djabakate.
Après avoir boycotté le vote du projet de réforme constitutionnelle présenté par le gouvernement à l’Assemblée nationale mi-septembre (qui sera par conséquent soumis à référendum), l’opposition devait en effet tout mettre en œuvre pour obtenir des concessions et rassurer une base de plus en plus exigeante.
Une opposition réticente
Le gouvernement doit se comporter comme partie et non comme partie et juge
Farouchement hostiles au dialogue pendant deux mois, les leaders de la coalition d’opposition ont commencé, à la mi-octobre, à revoir leurs exigences à la baisse et à entrebâiller la porte des négociations. Mais, évidemment, « pas à n’importe quel prix », ainsi que le martèle Jean-Pierre Fabre.
Le chef de file de l’opposition « exige » notamment « la libération des personnes détenues dans le cadre des manifestations et de l’affaire des incendies des marchés [de Lomé et de Kara, en janvier 2013], la levée de l’état de siège autour des villes de Mango, Bafilo et Sokodé, et la libération des imams ».
Pour lui, les mesures d’apaisement prises par le gouvernement début novembre (dont la levée de son contrôle judiciaire, la libération de 42 personnes et la restitution de motos saisies) ne peuvent donner lieu à aucune contrepartie de la part de l’opposition.
Le ton du leader de l’opposition était encore loin d’être à la conciliation, vendredi dernier, au lendemain de la conférence de presse du gouvernement qui s’est tenue le 7 décembre, lors de laquelle ont été annoncées une série de « mesures de décrispation » pour favoriser le dialogue politique – et alors même que venaient d’être libérés les imams de Sokodé et de Bafilo.
« Le gouvernement doit se comporter comme partie et non comme partie et juge », a alors indiqué Jean-Pierre Fabre, tandis que le communiqué de la coalition des quatorze partis d’opposition affirmait qu’« il n’appartient pas au gouvernement, d’appeler l’autre partie à des discussions ».
Cette apparente fermeté du chef de file de l’opposition ne cache cependant pas que, en réalité, le principe du dialogue est déjà acté et intégré par les meneurs du mouvement de contestation comme étant l’unique voie de sortie de crise.
Mais comment y aller sans perdre la face auprès de manifestants de plus en plus exigeants et radicaux, qui ont fini par oublier les principales revendications pour ne plus se focaliser que sur le départ du chef de l’État ? Comment espérer peser dans le dialogue, alors que quelques frictions au sein de la coalition commencent à apparaître au grand jour ? Que faut-il espérer de plus que ce projet de loi de « modification constitutionnelle » introduit par le gouvernement, qui semble convenir à la communauté internationale ? Autant de questions qui rendent complexes les discussions engagées par les différents acteurs début novembre, en prélude au dialogue.
Un chef d’État optimiste
Nous sommes confiants, nous souhaitons la paix au Togo
En attendant que l’opposition trouve la formule qui lui permettra d’obtenir le « maximum » de concessions de l’exécutif, c’est un Faure Gnassingbé visiblement serein et optimiste quant au début effectif du dialogue politique, qui, les 20 et 21 novembre, s’est exprimé lors des visites qu’il a effectuées auprès de l’Ivoirien Alassane Ouattara et du Nigérian Muhammadu Buhari, ses homologues de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), dont il assure la présidence jusqu’en février 2018, avec lesquelsil a notamment parlé de la préparation du prochain sommet de l’organisation (prévu le 16 décembre à Lomé) et de son pays.
« Nous sommes confiants, nous souhaitons la paix au Togo. Nous sommes engagés dans cette voie », a pour sa part assuré le chef de l’État ivoirien, qui préconise de laisser Faure Gnassingbé mettre en œuvre les réformes institutionnelles qu’il a engagées.
Au même moment (les 21 et 22 novembre), une délégation des 14 partis de l’opposition togolaise – représentés par Jean-Pierre Fabre, Tikpi Atchadam et Brigitte Adjamagbo-Johnson, la secrétaire générale de la Convention démocratique des peuples africains (CDPA) –, rencontrait à Paris le président en exercice de l’Union africaine, Alpha Condé.
Dans la foulée, le chef de l’État guinéen, qui avait déjà reçu Faure Gnassingbé à Conakry mi-octobre, a envoyé son conseiller spécial Tibou Kamara à Lomé pour lui remettre un message personnel.
Soutiens internationaux
Conforté par une communauté internationale dont la position n’a jamais changé depuis le début de la crise (appel au dialogue et au respect des institutions), le président togolais sait que, dans le bras de fer engagé par l’opposition, certains éléments plaident en sa faveur. Il a été réélu en 2015 au terme d’une élection saluée par les partenaires internationaux.
Dès la fin août, il a fait préparer un texte, proposé en septembre, qui limite le nombre de mandats présidentiels et revient à un mode de scrutin à deux tours, comme le souhaitait l’opposition. Laquelle est en outre divisée sur l’éventualité de rendre ces dispositions rétroactives, ce qui serait difficilement envisageable et n’a de toute façon jamais prévalu ailleurs dans le monde.
Après plusieurs semaines de cafouillages, au début de la crise, entre les différentes tentatives d’apaisement (béninoise, guinéenne, ghanéenne), le président ghanéen Nana Akufo-Addo fait désormais office d’unique médiateur entre les protagonistes togolais. Ses points forts sont, entre autres, sa très bonne connaissance de l’histoire de ses voisins togolais (il était ministre des Affaires étrangères en 2005, lors de l’accession au pouvoir de Faure Gnassingbé et de la crise qui a suivi) et sa proximité avec la majorité de ses acteurs politiques. Ses efforts semblent porter des fruits.
Fin novembre, il a de nouveau souhaité rencontrer tous les acteurs politiques togolais en prévision de l’ouverture du dialogue
C’est au lendemain de la visite éclair qu’il a effectuée à Lomé, le 5 novembre, que le gouvernement togolais a pris des « mesures d’apaisement » pour décrisper la situation et a annoncé l’ouverture d’un dialogue politique. Nana Akufo-Addo venait alors présenter à son homologue togolais les premières revendications des leaders de l’opposition qu’il avait reçus quelques jours plus tôt à Accra.
Fin novembre, il a de nouveau souhaité rencontrer tous les acteurs politiques togolais en prévision de l’ouverture du dialogue proprement dit, qui devrait intervenir dans les tout prochains jours. Outre les responsables de la coalition, les anciens ministres Pascal Bodjona et François Boko ont également été reçus pour « apporter leurs contributions » afin de résoudre la crise et trouver des solutions durables.
Peu de points de convergence
Tant que la loi n’empêche pas Faure Gnassingbé de se représenter, il reste l’unique porte-flambeau de l’Unir
Reste que, si le principe du dialogue est désormais acquis, très peu de points semblent faire l’objet d’un consensus. « L’opposition ne fait plus du départ immédiat de Faure Gnassingbé une exigence pour la sortie de crise », confie un cadre de l’Alliance nationale du changement (ANC). Mais la coalition réclame désormais la « mise en place d’un gouvernement de transition » jusqu’à la présidentielle de 2020, à laquelle Faure Gnassingbé ne serait pas autorisé à se présenter.
« Des exigences inconcevables », selon la majorité, qui rappelle que, « tant que la loi n’empêche pas Faure Gnassingbé de se représenter, il reste l’unique porte-flambeau de l’Unir, qui lui a renouvelé sa confiance lors de son congrès du 29 octobre ».
L’opposition fera ce qu’elle peut pour ne pas perdre la face. La majorité, elle, mettra tout en œuvre pour conserver le pouvoir. « Les discussions seront difficiles, prédit Mohamed Djabakate. Beaucoup de points, pourtant utiles et indispensables à un renouveau constitutionnel, seront certainement bradés au profit des réformes à visée électorale. »
Les deux principales alliances anti-Faure
Le Combat pour l’alternance politique (CAP 2015)
• L’Alliance nationale pour le changement (ANC)
• La Convention démocratique des peuples africains (CDPA)
• Les Démocrates socialistes africains (DSA)
• Le Pacte socialiste pour le renouveau (PSR)
• La Convention démocratique des peuples africains (CDPA)
• L’Union des démocrates socialistes (UDS-Togo)
Le Groupe des six
• L’Alliance des démocrates pour de développement intégral (Addi)
• Les Forces démocratiques pour la République (FDR)
• Le Togo autrement
• Les Démocrates
• Le Parti des Togolais
• Le Mouvement citoyen pour la démocratie et le développement (MCD)
Jeune Afrique