Brigitte Adjamagbo-Johnson, coordinatrice de la coalition des quatorze partis de l’opposition togolaise, revient pour Jeune Afrique sur les conditions de l’ouverture du dialogue entre le pouvoir et l’opposition, annoncé pour le 15 février, alors que les manifestations contre le régime du président Faure Gnassingbé continuent dans le pays.
Au lendemain de l’annonce de l’ouverture d’un dialogue, prévu le 15 février entre le pouvoir togolais et l’opposition, plusieurs milliers de personnes ont manifesté dans les rues de Lomé samedi 3 février, à l’appel de la coalition de l’opposition, pour protester contre le régime du président Faure Gnassingbé.
Brigitte Adjamagbo-Johnson, la coordinatrice de la coalition des quatorze partis de l’opposition revient pour JA sur les conditions de l’ouverture du dialogue. Elle évoque également les rumeurs faisant état de divisions dans les rangs du mouvement et se prononce sur la question, sensible, d’une démission du président Faure Gnassingbé.
Jeune Afrique : Des rumeurs évoquent des dissensions au sein de la coalition des 14, notamment concernant les préalables au dialogue…
Brigitte Adjamagbo-Johnson : Ceux qui répandent ces rumeurs savent pourquoi ils le font, et leurs affirmations n’engagent qu’eux. Ce que je peux dire, c’est qu’aujourd’hui la coalition est un bloc solidaire, qui se solidifie à mesure qu’elle fait face à des difficultés. Nous resserrons les rangs. À 14, il nous arrive d’avoir des discussions très chaudes, et même houleuses, mais nous avons le sens des responsabilités.
Nous savons que c’est parce que nous sommes unis que le peuple trouve le courage de poursuivre la lutte. Or, nous sommes sensibles à ses souffrances, tout comme nous sommes sensibles à la nécessité de faire du Togo une grande nation démocratique et prospère, après 50 ans de gouvernance par un même régime, par une même famille. Ceux qui pensent que la coalition a des difficultés et qui commencent déjà à chanter son requiem vont rapidement déchanter.
Respecterez-vous le principe, évoqué dans le communiqué, de suspendre les manifestations publiques jusqu’à l’ouverture du dialogue ?
Avons-nous pris un engagement ? M’avez-vous vue signer un document quelconque ? Nous savons que les médiateurs ont émis le souhait de cette suspension.
Mais je vous rappelle que les mêmes médiateurs ont proclamé haut et fort que le droit de manifester est un droit constitutionnel et qu’on ne saurait l’interdire. Le souci qu’ils ont, que nous comprenons, c’est de faire en sorte que ces manifestations ne constituent pas un frein au bon déroulement des discussions.
La question de la participation au dialogue est aussi une inconnue des discussions annoncées pour le 15 février. Se basant sur les conclusions du récent sommet de la Cedeao, le gouvernement souhaite qu’il soit le plus inclusif possible. Pensez-vous qu’il faille exclure d’autres partis au motif qu’ils ne sont pas membres de la coalition ?
Nous n’avons aucun problème avec l’inclusion, mais nous disons qu’il y a deux camps : ceux qui sont les porte-voix de l’immense majorité des Togolais, qui veulent une rupture avec le passé ; et en face, ceux qui voudraient que l’ordre ancien se perpétue et qu’on trouve quelques petites bricoles pour donner l’illusion de régler les problèmes.
Le gouvernement […] fait preuve à la fois de cécité et d’autisme
Le gouvernement reste intraitable sur la question du référendum pour l’adoption des réformes constitutionnelles, même en cas d’adoption d’un texte consensuel à l’issue du dialogue. Ne pensez-vous pas que la consultation directe serait le moyen idéal pour obtenir l’onction du peuple sur ce texte fondamental ?
Quand vous dites que le gouvernement reste intraitable, je dirais plutôt qu’il fait preuve à la fois de cécité et d’autisme. L’une des raisons pour lesquelles les Togolais sont debout, c’est que les élections n’ont jamais donné satisfaction. Ces électeurs qui ont cru qu’ils avaient le pouvoir de choisir leurs gouvernants et de déterminer leur sort, à force d’être bernés, ont compris qu’il fallait qu’ils se lèvent pour qu’il n’y ait plus d’élections dans ce pays tant qu’on n’aurait pas créé les conditions en vue de consultations électorales démocratiques et transparentes.
Il faudrait être de mauvaise foi pour penser que la détermination du peuple est en train de faiblir !
J’affirme haut et fort qu’un référendum organisé sans qu’il y ait eu au préalable des discussions permettant de trouver des solutions au cadre électoral ne feraient qu’accentuer l’enlisement du pays dans la crise.
La démission du président Faure Gnassingbé doit-elle toujours figurer au rang des exigences de l’opposition, dans la perspective du dialogue politique ?
La plateforme de l’opposition vise à créer les conditions pour une vie démocratique normale. Pour créer les conditions d’une rupture avec 50 ans de règne, de père en fils, nous disons qu’il faut retourner à la Constitution qui avait servi de fondement à la jeune démocratie que nous voulions construire au début des années 1990.
L’une des dispositions de cette Constitution prévoit que nul Togolais ne gouvernera pendant plus de dix ans.
Six mois après le début des contestations, n’avez-vous pas l’impression que le mouvement a quelque peu perdu de sa vigueur ?
Comment pouvez-vous poser cette question encore après la manifestation du 3 février ? Avez-vous vu cette déferlante, notamment dans les rues de Lomé où le peuple s’est levé, encore une fois, comme un seul homme ? Il faudrait être de mauvaise foi pour penser que la détermination du peuple est en train de faiblir !
Jeune Afrique