Il serait paradoxal que l’organisation sous-régionale aille à l’encontre de son protocole sur la bonne gouvernance auquel ont adhéré presque tous ses membres, dans la résolution de la crise politique qui sévit au Togo depuis août 2017. Aux quatre coins du globe, tout le monde sait que les Togolais veulent l’alternance au sommet du pays, gage d’un Etat prospère, respectueux des principes de base de la démocratie et donc des droits de l’Homme. Ce n’est non plus un secret pour personne que Faure Gnassingbé a déjà fait deux mandats et qu’il arrive progressivement au terme du troisième. Depuis le 19 août donc, le peuple togolais, qui aspire à une liberté, a déjà exprimé ce qu’il attend de toute la communauté internationale, plus précisément de la CEDEAO. Bien évidemment, et comme déjà souligné dans plusieurs autres articles publiés dans votre journal, cette dernière s’apprête à rendre publique sa feuille de route pour une sortie définitive de la crise.
Le dialogue de sourds entre les protagonistes de la crise togolaise a amené la CEDEAO à prendre la situation en main. Déjà, une délégation de la Commission de l’institution communautaire à la tête de laquelle se trouvait l’Ivoirien Jean-Claude Brou, avait rencontré le parti au pouvoir, le gouvernement et la Coalition des 14 partis de l’opposition le 2 juillet dernier. En réalité, cette délégation préparait la venue à Lomé des deux facilitateurs désignés officiellement par la CEDEAO, le président guinéen Alpha Condé et celui du Ghana, Nana Akufo-Addo. « Lorsque nous avons reçu la délégation conduite par le président de la commission de la CEDEAO, il nous a été bien dit que c’était une mission qui doit rendre compte aux facilitateurs qui avaient l’intention de venir eux-mêmes », a indiqué Mme Brigitte KafuiAdjamagbo-Johnson, Coordinatrice de la Coalition. Visiblement, le moment est venu pour cette rencontre avec les facilitateurs dont l’arrivée est annoncée pour mercredi dans la capitale togolaise.
Nana Akufo-Addo et Alpha Conde vont rencontrer la Coalition des 14 partis de l’opposition, le parti au pouvoir UNIR et le gouvernement. Il s’agira de voir si, entre-temps, les positions ont évolué ou si pouvoir et opposition sont restés chacun dans sa logique, sans oublier qu’à la dernière séance des discussions dans le cadre du dialogue intertogolais, le facilitateur ghanéen avait demandé aux parties prenantes d’aller se concerter. Mais Faure Gnassingbé ne veut rien lâcher, hypnotisé par le projet de conservation du pouvoir, avec un quatrième mandat qui lui est apparemment cher (ce que rejette catégoriquement le peuple togolais).
A la Coalition des 14, on trouve normal que les facilitateurs reviennent consulter les protagonistes avant la prise de toute décision. « Nous n’avons aucun contrôle sur le processus. Ce sont les facilitateurs qui mènent le processus comme ils le souhaitent. Nous supposons qu’ils vont écouter les deux protagonistes, ça c’est clair. Il ne s’agira pas pour la CEDEAO de sortir d’un chapeau des solutions de sortie de crise, mais il est normal que les facilitateurs écoutent les parties pour pouvoir faire des recommandations adéquates », a souligné la Coordinatrice. Ce qui rassure la Secrétaire générale de la Convention démocratique des peuples africains (CDPA) dans sa conviction que les facilitateurs, et par ricochet la CEDEAO, sauront prendre en compte les aspirations profondes du peuple togolais dans leur prise de décision. « Nous, nous sommes confiants, parce que le peuple togolais été très clair quant à sa détermination à rompre avec le statu quo. Le peuple veut avancer dans la démocratie, il veut aller vers l’alternance, le peuple veut créer des conditions durables pour que nous travaillions ensemble à construire un pays prospère. Je pense que ce message est entendu aujourd’hui dans la sous-région et au-delà, en Afrique et sur les autres continents », a-t-elle dit.
C’est justement là où cette institution est le plus attendue. La CEDEAO a déjà un passif lourd vis-à-vis des Togolais, plus précisément en 2005 où elle n’a pu résoudre définitivement la crise togolaise. Aujourd’hui, au moment où les efforts sont déployés un peu partout pour stabiliser la sous-région et concentrer les énergies sur le développement des Etats membres, il serait suicidaire de ne pas trouver les remèdes justes à un membre malade. C’est d’ailleurs ce qui a fait l’objet de la naissance de ce protocole additionnel qui fait obligation à tous les membres de respecter les principes de la démocratie et de la bonne gouvernance qui limitent les mandats à deux. On suppose que les facilitateurs sont suffisamment imprégnés de la situation politique du Togo, et qu’ils savent que des élections sans les réformes constitutionnelles, institutionnelles et électorales seraient un suicide pour le pays, et donc de toute la sous-région.
Le « délai constitutionnel » évoqué par le régime de Faure Gnassingbé pour foncer droit dans le mur est un alibi pour outrepasser les revendications du peuple et organiser une fois encore une mascarade électorale qui enlisera davantage la situation. « La CEDEAO qui n’est pas très loin, sait très bien comment toutes les élections ont été contestées au Togo depuis les années 1990, et bien avant. Malgré tout cela, le gouvernement commence de nouveau à évoquer des délais républicains pour organiser des élections, sans avoir opéré les réformes constitutionnelles et institutionnelles », a souligné le Prof Marcel Magloire Kuakuvi lors d’une conférence-débat vendredi dernier, marquant les activités des 13 ans du Conseil épiscopal Justice et Paix.
Les supputations évoquent depuis la semaine dernière la reprise imminente du dialogue. Les facilitateurs voudraient mettre d’accord les protagonistes sur un certain nombre de choses, avant la publication de la feuille de route de la CEDEAO. Il est vrai, si Faure Gnassingbé veut organiser des élections aujourd’hui sans les réformes, il y parviendra avec le soutien de l’armée. Et lorsque la Coalition voudra s’y opposer, ce seront encore des morts, des blessés et des réfugiés.
Seule la l’institution sous-régionale pourra empêcher cela en répondant clairement aux aspirations du peuple togolais. Elle peut, selon de nombreux observateurs, accompagner sa feuille de route de mesures dissuasives au cas où le régime togolais voudra passer en force. C’est en cela que la CEDEAO assumera toute sa responsabilité devant l’histoire.
Source : www.icilome.com