Dans la plupart des satrapies africaines, la fable de complot contre la sûreté de l’Etat est devenue un moyen habile pour les dirigeants de se défaire des adversaires politiques gênants. Le Togo et le Bénin sont passés maîtres en la matière. Obnubilés par des complots plus ou moins imaginaires qui les viseraient, Patrice Talon et Faure Gnassingbé n’hésitent pas un instant à couper la tête des adversaires politiques.
Au Bénin, le complot contre l’Etat est devenu un mode d’emploi. Sous son règne, on se rappelle, le prédécesseur de Patrice Talon, Thomas Boni Yayi avait basculé dans un Etat paranoïaque. L’ancien président béninois n’avait qu’une idée en tête, lutter contre ses ennemis intérieurs parmi lesquels l’homme d’affaires Patrice Talon qui, ironie de l’histoire, lui succédera au trône. Accusé d’avoir orchestré une tentative d’empoisonnement et de renversement du régime de Boni Yayi, Patrice Talon a dû se réfugier en France. La justice française avait ouvert une information judiciaire pour tentative d’assassinat et association de malfaiteurs contre Talon et son ami Olivier Boko.
Alors que plusieurs suspects avaient été arrêtés et envoyés au gnouf dans le cadre de cette affaire, la demande d’extradition de Patrice Talon avait essuyé un refus de la cour d’appel de Paris. Finalement, cette affaire qui avait longtemps empoisonné la vie politique béninoise, a connu un dénouement heureux sous la médiation de l’ancien président sénégalais Abdou Diouf. Boni Yayi avait alors accordé son pardon à Talon qui avait pu regagner Cotonou et se présenter à la présidentielle de 2016 qu’il avait remportée.
Une fois au pouvoir, Patrice Talon, à son tour, glisse inexorablement. Accaparé par les intrigues de Palais, plusieurs de ses adversaires politiques en ont fait les frais. C’est le cas notamment de Reckya Madougou, figure de l’opposition et candidate déclarée à l’élection présidentielle d’avril 2020, arrêtée et incarcérée un mois plus tôt, pour «association de malfaiteurs et financement du terrorisme». Elle a été condamnée à 20 ans de réclusion criminelle. Une centaine de personnes (blogueurs, militants, manifestants, hommes politiques…) avaient été également arrêtés dans la foulée de l’élection présidentielle, parmi lesquelles le Professeur Joël Aïvo, ancien doyen de la faculté de droit de l’université d’Abomey-Calavi. Si la plupart de ces détenus d’opinion ont été élargis, Reckya Madougou et Joël Aïvo, eux, sont maintenus dans les liens de la détention.
A eux viennent de s’ajouter le fidèle compagnon de Patrice Talon, Olivier Boko, l’ancien ministre des sports, Oswald Homeky et le commandant de la garde républicaine, le colonel Dieudonné Tévoédjrè. Ils ont été mis aux arrêts dans la nuit du 23 au 24 septembre 2024 et accusés d’atteinte à la sûreté de l’Etat. D’après le procureur de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET), Elonm Mario Metonou, «il apparaît que le commandant de la garde républicaine ayant en charge la sécurité du chef de l’Etat a été entrepris par le ministre Oswald Homéky pour son compte et celui de M. Olivier Boko à l’effet d’opérer par la force un coup d’Etat dans la journée du 27 septembre 2024 ».
Selon certaines sources, ce sont les ambitions présidentielles nourries par Olivier Boko, ami de longue date de Patrice Talon, qui seraient à l’origine de ses ennuis. Depuis l’avènement de Patrice Talon au pouvoir en 2016, plusieurs de ses adversaires politiques ont été neutralisés. Sébastien Ajavon qui, par son soutien, avait fait gagner Patrice Talon au 2ème tour de la présidentielle face à Lionel Zinsou, a été contraint à l’exil après avoir été condamné à 25 ans de prison pour terrorisme, trafic de drogue et à une amende 167 milliards de FCFA.
Lionel Zinsou, candidat malheureux de Talon à la présidentielle de 2016, a été condamné en 2019 par la justice béninoise à 5 ans d’inéligibilité et 6 mois de prison avec sursis pour « faux » et « dépassement de fonds de campagne électorale ». En 2019, l’ancien président Boni Yayi avait échappé de peu à son arrestation. Sa résidence avait été encerclée par les forces de l’ordre et il a dû appeler à la rescousse plusieurs chefs d’Etat de la CEDEAO, le président français Emmanuel Macron, le Secrétaire Général de l’ONU…
L’arrestation d’Olivier Boko n’est pas sans rappeler celle de l’ancien tout-puissant ministre togolais de l’Administration territoriale et homme à tout faire de Faure Gnassingbé, Pascal Bodjona et son cousin le richissime homme d’affaires Sow Bertin Agba, en 2011. L’arrestation et l’incarcération de Pascal Bodjona accusé d’escroquerie internationale, seraient plutôt liées selon des sources, à sa proximité avec Sow Bertin Agba et certains ténors de l’opposition et surtout à ses ambitions présidentielles supposées. Après une longue traversée de désert, Pascal Bodjona est revenu dans les bonnes grâces de Faure Gnassingbé qui l’a nommé à la présidence de la République fin décembre 2023.
Quant à son cousin Sow Bertin Agba, il est brutalement décédé le 18 mai 2023 en Afrique du Sud, à la suite d’un déjeuner dans un restaurant de Johannesburg. C’est sa famille qui en paie aujourd’hui le prix fort, victime de délit de parenté. La veuve de l’homme d’affaire, Françoise Agba et deux autres membres de la famille ont été arrêtés en juillet dernier à Lomé et inculpés de complot contre la sûreté intérieure de l’État et financement du terrorisme.
« Le calvaire de la famille Agba a débuté le 25 juillet à l’aube. Arrivé quelques jours avant sans sa famille à Lomé, la capitale, Cyrille Agba est réveillé par une quinzaine d’hommes armés et en civil. Sans jamais lui notifier le motif de leur présence, ils saisissent ordinateurs, téléphones portables, imprimantes et l’embarquent avec son neveu, Eddy Agba, et un cousin. Au même moment, à quelques kilomètres de là, sa belle-sœur, Françoise Agba ainsi que le gardien de son domicile subissent le même sort », a rapporté le journal Le Monde.
Ils encourent jusqu’à 20 ans de réclusion criminelle. C’était la même peine qui avait été collée, en 2009, au demi-frère du chef de l’Etat, Kpatcha Gnassingbé accusé avec certains de ses compagnons d’infortune, dans une sombre affaire de tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Bien que gravement malade, Kpatcha Gnassingbé est maintenu en prison depuis 15 ans. Malgré sa demande de grâce présidentielle et l’intervention de certaines chefs d’Etat de la sous-région, des prélats, des personnalités et des chefs coutumiers de Pya, village natal des deux frères, Faure Gnassingbé s’est systématiquement opposé à la libération de son frangin…
M.A.
Source: libertetogo.tg
Source : 27Avril.com