Crise au Togo : pourquoi le dialogue politique tarde-t-il à se mettre en place ?

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Comme toutes les semaines depuis un bientôt quatre mois, les manifestants sont descendus en masse, au Togo, ce mercredi 13 décembre. La coalition des 14 partis de l’opposition qui mène la contestation refuse d’arrêter les marches. Pourtant le gouvernement a multiplié ces dernières semaines les gestes d’apaisement pour permettre l’ouverture d’un dialogue censé résoudre la crise. Qu’est-ce-qui empêche (encore) les acteurs politiques de se parler ?

C’est devenu une habitude. Ce mercredi, à nouveau, ils étaient de retour dans les rues, avec les mêmes revendications. Ils y seront encore ce jeudi et demain, vendredi. Les militants de la coalition des quatorze partis de l’opposition qui mène la contestation depuis le 19 août exigent toujours « le retour à la Constitution originelle du 14 octobre 1992, la révision du cadre électoral et l’instauration du droit de vote des Togolais de l’étranger ».

À ces réclamations s’ajoutent désormais, selon un communiqué publié le 9 décembre par la coalition, « l’arrêt immédiat des persécutions, des arrestations, des poursuites et des violences à l’encontre des militants et dirigeants des partis politiques de l’opposition » et « l’arrêt immédiat des entraves à l’exercice du droit constitutionnel de manifestation sur toute l’étendue du territoire national ».

Gestes d’apaisement du gouvernement

Des revendications conjoncturelles auxquelles le gouvernement semble vouloir répondre favorablement. Des dizaines de personnes ont été récemment remises en liberté, parmi lesquelles les imams de Bafilo et de Sokodé dont la libération apparaissait comme un préalable indispensable à toute discussion entre pouvoir et opposition.

Les dispositifs sécuritaires autour des villes de Mango, Bafilo et Sokodé ont été allégés par le gouvernement qui autorise une « reprise progressive » des manifestations de l’opposition dans ces localités.


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Le contrôle judiciaire qui avait été imposé à Jean-Pierre Fabre, le chef de file de l’opposition, a été levé, l’interdiction des manifestations les jours ouvrables également. Des mesures ont été prises pour assurer un meilleur encadrement des manifestations pour éviter les violences avec la mise en place d’un cadre mixte d’observation des manifestations.

Le dispositif semble fonctionner puisque, depuis quelques semaines, le décompte à l’issue des marches de l’opposition est de moins en moins macabre. Présentée comme telle, la situation semble convenable pour que les acteurs politiques se retrouvent en vue du dialogue.

L’opposition doute de la sincérité du régime

L’opposition rechigne pourtant à participer aux négociations ouvertes le 12 décembre par le gouvernement. Quelques heures après l’annonce de la libération des imams de Sokodé et Bafilo le 8 décembre, la coalition de l’opposition – se félicitant de la nouvelle -, a cependant émis des réserves sur la réelle volonté du gouvernement de vouloir œuvrer à l’apaisement.

Les leaders de l’opposition ont souhaité attendre de voir comment se dérouleraient les manifestations de cette semaine (ces 13, 14 et 16 décembre), notamment dans les villes de Sokodé, Bafilo et Mango, pour juger de la sincérité des actes posés par le régime.


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La prudence de l’opposition tient également du fait que le gouvernement a annoncé l’ouverture de consultations « visant à recueillir les suggestions concernant le format et les modalités du dialogue ». Une initiative qui, selon l’opposition, relèverait plutôt des prérogatives des facilitateurs guinéens et ghanéens.

« Le gouvernement doit se comporter comme partie et non comme partie et juge », avait notamment indiqué Jean-Pierre Fabre, lors d’une conférence de presse le 8 décembre.

Pression de la base

Il ne faut pas que ce soit un dialogue sans effets mais un dialogue qui donnera au peuple ce qu’il attend

Si le gouvernement estime avoir été « au delà » de ce qu’il fallait faire pour décrisper la situation pour favoriser le dialogue, l’opposition elle, pose de nouveaux préalables, tout en affichant sa volonté d’aller à un dialogue, mais « pas à n’importe quel prix ».

Comme l’indiquait début novembre Brigitte Adjamagbo-Johnson, « il ne faut pas que ce soit un dialogue sans effets mais un dialogue qui donnera au peuple ce qu’il attend ». Les cadres de l’opposition se savent attendus par les militants, dont la majorité ne veut clairement pas voir ses leaders assis autour d’une table avec les représentants du pouvoir.


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« Il est évident que l’opposition sait qu’elle ne pourra pas répondre à la fin de ce dialogue aux attentes qu’elle a suscitées auprès de sa base. Même si une majorité au sein de la Coalition des 14 partis pense que le dialogue s’impose, ils sont pris au piège de l’unicité de pensée dans laquelle Jean-Pierre Fabre et Tikpi Atchadam se sont découverts des points communs. L’opposition préfère donc traîner le pas et freiner le processus, pour inciter Faure [Gnassingbé] à enclencher le dialogue et exécuter par correspondance certaines de leurs revendications », analyse le politologue Mohammed Madi Djabakate.

La question du maintien de Faure au pouvoir

Et puis, il y a ceux qui estiment qu’aller à un dialogue serait synonyme d’échec pour une opposition qui, pendant plusieurs semaines, a espéré en vain que la rue fasse tomber Faure Gnassingbé.

D’où le maintien de la pression populaire, avec l’espoir qu’elle soit toujours aussi importante, alors que dans le même temps les discussions sont amorcées avec des facilitateurs sur les conditions d’un dialogue – dont l’ordre du jour reste d’ailleurs, pour le moment, inconnu de tous.

« Avec le renouvellement des différentes instances du parti UNIR [Union pour la République, parti présidentiel], le pouvoir veut dire clairement qu’en aucun cas Faure Gnassingbé ne quittera le pouvoir avant 2020. Ce qui est en contradiction avec les engagements pris par le PNP [Parti national panafricain, de Tikpi Atchadam] et l’ANC [Alliance nationale pour le changement, présidée par Jean-Pierre Fabre] depuis qu’ils ont substitué leurs positions de leaders que le peuple devrait suivre à celle d’accompagnateurs qui suivent la foule», analyse Mohammed Madi Djabakate, président du Conseil d’administration du Centre pour la gouvernance démocratique et la prévention des crises (CGDPC). « Il n’est pas dans leur intérêt de prendre part à un dialogue qui actera la confirmation de Faure Gnassingbe à son poste. »

Jeune Afrique