Comme tous les pays du monde, depuis son accession à l’indépendance, le Togo n’a jamais connu une crise sanitaire aussi grave que la pandémie actuelle : la pandémie du COVID-19. Selon les informations des Nations Unies, au 9 avril 2020, 209 pays et territoires sont affectés par le Coronavirus, 1 107 539 personnes sont infectées par le virus, 89 960 personnes en sont décédées. Le Togo a recensé 70 cas confirmés, 3 décès et 23 personnes guéries. Plus grave, les courbes des cas confirmés et de décès ont pris une forme ascendante très inquiétante à partir du 17 mars environ. Le fait qu’il n’y ait pas de vaccin ni de médicaments éprouvés, rend incertaine toute prévision quant à l’évolution du nombre de cas confirmés et de décès du virus, ne serait-ce qu’à court terme.
Sur le plan économique, le Ministre de l’économie et des finances du Togo estimait déjà que le taux attendu du PIB du pays baissera de 5,3% pour se situer entre 2,1% et 2,5% ; les transferts monétaires des migrants qui représentaient 7,7% du PIB en 2018, connaîtront également une chute à la suite des problèmes économiques de la diaspora togolaise dans leur pays d’accueil. Si l’impact sur les services est actuellement évident, les conséquences négatives sur l’agriculture dépendront des mesures qui seront prises et mises en œuvre pour assurer la disponibilité des intrants et de la main d’œuvre agricoles dans les tous prochains jours. Les effets de la durée de la crise sur les indicateurs socio-économiques ne sont pas à négliger.
Il est important de rappeler que cette crise intervient au lendemain d’une élection présidentielle qui a vu la légitimité de l’exécutif fortement contestée. Cette crise a également étalé devant le monde, les insuffisances du système sanitaire du pays : en 2014 selon les chiffres de la Banque mondiale, le Togo fut classé 163ème Etat sur 171 pour ce qui concerne les dépenses de santé par habitant. C’est dans ce contexte que des politiques idoines doivent être élaborées et mises en œuvre pour la résilience du Togo et une minimisation des effets des chocs que le pays aura à subir.
Les réactions des Togolais ont été variées. Nous devons saluer le comportement du personnel de santé : ils ont permis d’éviter l’hécatombe. Des citoyens ont posé des actes admirables durant cette crise. Il s’agit notamment de la mise en place de plateformes pour : i) des informations sur le COVID-19 ; ii) la collecte de fonds de solidarité pour venir en aide aux personnels de santé et aux populations démunies ; iii) recueillir des dons de masques pour la population vulnérable ; etc.
Le discours du Président de la République du 1er Avril a donné également aux Togolais un avant-goût sur les stratégies du Gouvernement.
Certaines de ces mesures sont déjà mises en œuvre : l’application du couvre-feu à Lomé qui vient d’être étendu à la ville de Sokodé ; l’interdiction des voyages inter préfectures ; l’ouverture d’un compte trésor auprès des banques de la place pour recueillir les dons devant financer le fonds créé pour le financement des mesures d’accompagnement prévues dans le cadre de la lutte contre la pandémie ; la mise en œuvre du programme ‘’Novissi’’ pour venir en aide aux personnes vulnérables ; la prise en charge des tranches sociales de consommation d’eau et d’électricité ; la mise en place du Comité de Gestion de la Riposte à la crise ; une partie des matériels notamment les appareils respiratoires commandés par le Gouvernement commencent à être réceptionnée ; etc.
Les Togolais sont cependant restés sur leur faim.
Les capacités de ripostes (matériels de test, nombre d’appareils respiratoires, nombre de lieux de, prélèvement et d’analyse des éléments prélevés, lieux de confinement ; nombre personnel médical sur toute l’étendue du territoire et pas région, etc.) ne sont pas connues.
Devant une crise de santé publique que l’OMS a élevée au rang de pandémie mondiale, la riposte d’urgence du régime a été de déserter le champ de la santé pour privilégier l’approche sécuritaire. C’est ainsi que le Gouvernement a : i) fait adopter une loi lui permettant de légiférer par ordonnance ; ii) instauré un couvre-feu ; iii) créé une force spéciale composée des agents des forces de défense et de sécurité ; iv) mis à la tête du Comité de Gestion de la Riposte à la crise, un officier supérieur (nous ne contestons pas nécessairement la qualification que nous ne connaissons d’ailleurs pas) ; et v) favorisé les fréquentes interventions du ministre de la sécurité, un officier supérieur de la gendarmerie, pour informer les Togolais de la situation et l’évolution de la pandémie du COVID-19.
Une plus grande présence du ministère de la santé dans les médias servirait de garantie de l’État qui, sous la supervision du Chef de l’État et du Premier Ministre, conduit une riposte appropriée contre la pandémie : un haut cadre du Ministère de la santé, mais de préférence le Ministre de la santé lui-même, peut faire un point de presse chaque jour sur la situation et l’évolution de la pandémie au Togo et peut-être aussi dans la sous-région, en Afrique et dans le Monde, ainsi que pour informer la population sur les mesures prises.
Le Gouvernement doit accepter la possession de la carte nationale d’identité comme un des critères d’éligibilité du programme ‘’Novissi’’. En plus d’éliminer l’éventuel biais politique de ce programme, cette procédure permettra à des citoyens qui n’avaient pas 18 ans lors de la dernière révision des listes électorales de pouvoir prétendre bénéficier des avantages de ce programme.
Les contrevenants, indélicats nous l’admettons, aux dispositions du couvre-feu sont victimes d’actes de violence physique et de brutalités humiliantes de la part d’agents chargés de veiller au respect du couvre-feu. La fréquence régulière et l’ampleur de ces actes d’une autre époque incitent de plus en plus de Togolais à se demander si tous ces agents qui infligent à leurs compatriotes de tels sévices dégradants sont de véritables militaires, gendarmes ou policiers ?
Plus que l’instauration d’un couvre-feu nocturne, qui semble suggérer qu’au Togo le virus ne s’active que la nuit, c’est la mise en œuvre urgente d’un programme de dépistages systématiques et à grande échelle des populations qu’il faut : la prévention coûte toujours moins chère.
D’autres mesures peuvent être envisagées. Il s’agit notamment : i) d’adopter des mécanismes pour faire respecter les mesures de distanciation notamment dans les lieux de grande fréquentation comme les marchés. N’est-il pas possible de penser à des mesures permettant de décongestionner ces lieux (exemple : prévoir dans la semaine des jours donnés pour la vente de certains produits). L’administration publique a-t-elle besoin de fonctionner à 100%. Ne peut-on pas constituer deux équipes dans chaque service pour limiter la congestion dans les bureaux. Le personnel en service sera suffisant pour faire face à la réduction de la demande de services publics suite à l’auto-confinement ; et ii) de rendre obligatoire le port des masques. A cet effet, un nombre donné de masque devraient être contenu dans les kits à offrir aux ménages vulnérables. Le reste de la population devant acquérir ce matériel à un prix subventionné.
Une prolongation de la pandémie augmente les risques de famine et de pénurie de produits alimentaires notamment. Les produits alimentaires risquent de devenir une arme que pourraient utiliser des pays. Dans ces conditions, si ce n’est pas encore fait, instruction devrait être donnée à l’ANSAT : i) de suspendre immédiatement la vente des produits qu’elle a dans ses magasins ; ii) d’évaluer les quantités des différentes céréales de sécurité disponibles ; iii) de rechercher des sources d’approvisionnement possibles de céréales pour répondre à court terme à une demande excédentaire probable.
Il est aussi capital de réfléchir très urgemment à la stratégie pour la production agricole au cours de cette saison culturale qui vient de commencer. Il faut trouver une réponse rapide à la nécessité des déplacements des ouvriers agricoles en raison de l’interdiction des voyages des personnes entre les préfectures et à la mise à disposition des intrants agricoles aux producteurs.
Peu de Togolais ont confiance à la gouvernance économique du régime en place et critiquent ouvertement les actes de corruption le plus souvent impunis. C’est pour cette raison que la mise en place d’un Comité de Gestion composé de personnalités jugées crédibles et d’un système de gestion transparente du fond mis en place pour le financement des mesures d’accompagnement pourrait améliorer les incitations à y contribuer.
En tant que Togolais, nous ne devons pas nous permettre un échec dans la lutte contre le COVID-19. Un tel échec signifie une condamnation de tous les Togolais comme peuple. Il ne s’agira pas de rechercher les responsables d’un échec éventuel.
La profondeur de la pandémie et l’ampleur des effets néfastes prévisibles appellent à une union sacrée de la population et à la mobilisation de tous les Togolais : pour garantir la victoire contre cette crise sanitaire sans précédent, nous devons œuvrer ensemble. Le Président de la République dans son discours du 1er avril a utilité à plusieurs reprises le mot « ensemble ». Malheureusement dans la stratégie déclinée et mise en œuvre jusqu’à ce jour, nous ne voyons pas clairement la manifestation de cette volonté de travailler ensemble.
Pour réussir la lutte contre une crise aussi grave que la pandémie du COVID-19, une franche adhésion de la population aux actions de l’autorité publique est capitale. A cet effet, la nécessité du renforcement de l’unité nationale s’impose. Or depuis la proclamation par la Cour constitutionnelle des résultats de l’élection présidentielle, fortement contestés, la légitimité du pouvoir en place est fortement réduite. Malheureusement aucune stratégie envisagée pour une nation togolaise plus solidaire n’est proposée.
Les autorités doivent se consacrer pleinement à la lutte contre le COVID-2019. Elles doivent par conséquent abandonner la politique politicienne ainsi que la persécution des opposants politiques. Elles doivent œuvrer en priorité à l’apaisement du climat sociopolitique tendu par les conséquences de la crise post-électorale non encore résolue. C’est dans ce cadre que l’abandon de toute idée de poursuite judiciaire contre le Dr Agbéyomé Messan Kodjo est un impératif. Comme nous l’avions dit par le passé, la voie politique doit être privilégiée dans le règlement du contentieux.
Dieu bénisse le Togo !
Lomé, le 10 Avril 2020
Tchabouré Aimé GOGUE
Président National de l’ADDI-
Source : icilome.com