Nous avons eu droit dernièrement à des scandales à répétition dans la Santé Publique au Sénégal : notamment une jeune femme est morte en couches pour cause de négligences des sages-femmes, dit-on, et onze nouveau-nés sont décédés dans l’incendie d’une maternité à la suite d’un court-circuit. Au-delà de la compassion avec les familles frappées par ces décès, il faut qu’on se l’avoue, nombre de pays de la sous-région ouest-africaine pourraient vivre de pareils drames.
En effet, laissant de côté le sensationnel médiatique, pour bien faire le tour du problème, il y a des questions à se poser : s’agit-il seulement de comportements contraires à la déontologie, d’audit à faire dans les services de néonatologie, comme l’a annoncé dernièrement le Président Maki SALL ? S’agit-il seulement d’annoncer, à grand renfort de diffusion sur les media, des initiatives ciblées sans prendre en compte l’ensemble du système de santé ? Ainsi, en est-il par exemple des personnes âgées en 2006 :
Face à la barrière financière qu’engendre le paiement direct des soins, le Sénégal, à l’instar d’autres pays en Afrique, a mis en place, depuis le début des années 2000, des politiques de suppression du paiement ciblant certaines catégories de services ou de populations. C’est par exemple le cas pour les césariennes en 2005. Le « Plan Sésame » pour la prise en charge sociale des personnes âgées de plus de 60 ans est une initiative unique en Afrique de l’Ouest. (Elhadji Mamadou Mbaye, Valery Ridde, Ousseynou Kâ, in Santé Publique 2013/1 (Vol. 25)
Or selon l’évaluation faite quelques années après, par les auteurs de l’article cité, «Les personnes âgées, en majorité des femmes représentent 7 % de la population au Sénégal et sont responsables de 38 % des ménages de plus de dix enfants. Seules 17 % d’entre elles reçoivent une pension de retraite. » Pourquoi une telle situation ? En fait « la mise en place du Plan Sésame apparaissait à plusieurs niveaux comme une décision électorale : dans la période choisie pour l’annoncer, dans la place importante des personnes âgées durant les élections et dans la place accordée aux techniciens et collectivités dans l’institutionnalisation du Plan ».
Le Sénégal est-il seul dans ce cas ? Dans la même analyse on peut lire ceci.:
Ces politiques publiques souvent annoncées par les plus hautes autorités sont, comme au Sénégal, teintées d’ambitions politiques. Elles ciblent souvent des franges importantes de l’électorat qui ont un rôle social important. Les avantages électoraux du Plan ont probablement encouragé le président du Niger à vouloir instituer une politique similaire. Cependant, au-delà de l’affichage politique, ces programmes souffrent de leur manque de financement, comme c’est le cas au Niger.
Comme pour les enfants au Niger, la césarienne au Burundi et au Mali par exemple, le Plan Sésame est revendiqué comme une décision politique que les techniciens doivent appliquer sans avoir eu le temps de se préparer. En raison de son originalité en Afrique, ce Plan a contribué à conforter le rôle d’innovateur que revendiquait le Président sénégalais à l’échelle du continent.
On pourrait remplacer les noms du Niger ou du Burundi par celui d’autres pays africains, n’est-ce pas ?
Venons-en au cas du Togo. Le 12 octobre 2021, le Parlement a adopté à l’unanimité un projet de loi instituant l’assurance maladie universelle au Togo. Et voici le commentaire de la Présidente de l’Assemblée Nationale Yawa D. TSEGAN : « L’instauration d’une couverture maladie universelle doit permettre de passer du droit à la santé juridiquement affirmé, au droit, réellement exercé, de se soigner. Elle permettra à la population togolaise de bénéficier désormais de soins de santé de qualité à un coût abordable. »
Pourrions-nous la croire quant à l’instauration du droit à la santé pour tous dans un pays où, selon la Banque Mondiale, il y avait en 2019 à peine 10 médecins et 50 infirmiers et sages-femmes pour 100 000 habitants ?
Et dans quelles conditions ce peu de personnel travaille-t-il ? Un document publié par le Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique lui-même en 2019 (Politique Nationale de Qualité des Services de Santé), cite en matière d’infrastructures, équipement et maintenance, les points suivants à améliorer:
– Insuffisance d’équipements et d’infrastructures adéquates dont particulièrement les structures SONU ;
– Insuffisance du plateau technique de certains établissements de santé par rapport à leur niveau dans la pyramide sanitaire ;
– Infrastructures et équipements ne respectant pas les normes essentielles en matière de santé environnementale, y compris le WASH.
[NB : SONU : Soins Obstétricaux et Néonatals d’Urgence ; WASH : Water, Sanitation and Hygene (Eau, Assainissement et Hygiène)]
Comme les équipements en matière de soins obstétricaux et néonatals sont cités, point besoin de commentaires en référence au cas du Sénégal.
De fait la conclusion de ce même document, révèle pour ce qui est de la qualité des soins, de grandes inégalités que ne peuvent pas cacher les chiffres globaux :
Selon le rapport sur le profil de pauvreté, le Togo disposait en 2015 d’infrastructures qui lui permettent d’assurer une accessibilité géographique à 66,8% des populations. Mais des inégalités géographiques et sociales de santé persistent. A titre d’exemple, selon EDSTIII seulement 41,3% des accouchements sont assistés par un personnel qualifié en zone rurale, contre 91,7% en zone urbaine. La proportion de naissances assistées par du personnel de santé qualifié augmente nettement avec le quintile du bien-être économique de la mère qui est de 26,8% pour les femmes des ménages les plus pauvres et de 95,3% pour les femmes des ménages les plus riches. En outre, la part des plus riches ayant accès à un médecin était de 27,1%, alors qu’elle n’était que de 14,5% pour les plus pauvres en milieu urbain avec des écarts plus importants en milieu rural. Enfin l’analyse des écarts entre les groupes économiques du Togo montre que la mortalité des enfants de moins de 5 ans des 20 % les plus riches est presque trois fois moindre que celle des 20 % les plus pauvres. Cette photographie des inégalités sociales de santé montre que le système de santé du Togo peine à apporter une réponse équitable aux besoins de santé des populations notamment en situation de vulnérabilité sociale.
En fait depuis les Programmes d’Ajustement Structurels des années 1980, le système de santé togolais n’a jamais vraiment retrouvé la place de structure sociale de premier plan qui lui était due. Ainsi la part de l’État n’a jamais atteint les 15% du budget recommandés dans la Déclaration d’Abuja (engagement pris en 2001 par les pays de l’Union Africaine, dont le Togo) ce qui fait qu’il y a une dégradation progressive des conditions de travail du personnel de la santé mais surtout qu’on note une part élevée des dépenses directes des ménages dans le financement de la santé.
Alors, ne serait-il pas temps que la question du droit à la santé et à des soins de qualité soit à l’ordre du jour d’un débat citoyen ? En effet, c’est seulement dans un tel débat que, nous tous, nous pourrons nous exprimer sur le type de système de santé que nous désirons et ensuite ce sera un vrai débat et non un sujet électoraliste. La question du droit à la santé et aux soins de qualité est alors une question vitale pour toutes les couches sociales.
Les questions de déontologie professionnelle n’interviendront que quand le choix sera fait mais aussi les problèmes concernant la formation et le recrutement du personnel de santé, et enfin les questions d’une bioéthique en rapport avec notre culture et nos réalités.
Maryse Quashie et Roger E. Folikoué
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Lomé, le 3 juin 2022
Source : 27Avril.com