CI: un homme arrêté puis humilié par des gendarmes, les dessous d’une vidéo choc

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Devant des gendarmes amusés par la scène, un homme qui vient visiblement d’être arrêté est en pleurs. Il est filmé et humilié par les forces de l’ordre ivoiriennes. Cette vidéo amateur tournée en Côte d’Ivoire a filtré le 12 mai sur les réseaux sociaux, suscitant l’indignation et obligeant la gendarmerie nationale à enquêter. La rédaction des Observateurs de France 24 ont enquêté plusieurs semaines sur ces images

La scène est confuse et dure près de 2 minutes 30. On y voit un homme en guenilles, à genoux, devant plusieurs gendarmes. Ce dernier implore à plusieurs reprises les gendarmes, qui semblent très amusés de la situation : ils lui jettent de l’eau au visage pour l’hydrater, et lui demandent de prier, en français puis en baoulé – une langue locale – afin qu’il puisse être libéré. Les raisons de son arrestation ne sont pas claires, mais l’homme, visiblement très inquiet, pleure vivement.

France 24 a édité 1 minute 15 de cette vidéo de 2 minutes 30 environ, et sous-titré les propos qui étaient compréhensibles des gendarmes et de l’homme. Le visage de la victime a été flouté par France 24.

Devant le tollé suscité par le comportement des gendarmes face à un homme en position de faiblesse, la gendarmerie nationale ivoirienne a annoncé mi-mai avoir ouvert une enquête pour identifier les gendarmes présents dans la vidéo et responsables de cette humiliation publique. Mais, depuis, aucune information supplémentaire n’avait été communiquée.

Une vidéo datant de 2016 prise dans la région de Djékanou

Lors de sa publication sur Facebook, le 12 mai 2018 par un habitant de la ville de Toumodi, la vidéo avait dépassé les 400 000 vues avant d’être supprimée. Sa légende indiquait que la scène avait eu lieu à « Groudji « , un village situé à environ 7 kilomètres de Djékanou, et aussi appelé Abouakakro II.

À partir de cette hypothèse, nous avons pu retrouver deux personnes en contact avec le jeune homme, qui nous ont confirmé que la scène était ancienne. L’un d’entre eux explique :

« Beaucoup se moquent de lui au village depuis que la vidéo circule »

La scène a eu lieu en 2016 près du village de Abouakakro II. Une opération de lutte contre l’orpaillage illégal avait été lancée dans la région [elle avait débutée en 2014, mais les orpailleurs était revenus à plusieurs reprises, nécessitant une nouvelle opération d’envergure en octobre 2016 notamment, NDLR] C’est durant cette nouvelle opération que la scène a été filmée par un gendarme de l’escadron mobile de Djékanou, associé à cette opération.

Le jeune homme est un agriculteur qui a été confondu avec un orpailleur. Il avait déjà une peur bleue des gendarmes, car il avait été arrêté un an auparavant, et ça s’était mal passé. Cette fois-là, il a été humilié, mais ils l’ont laissé repartir.

Aujourd’hui, il est parfaitement au courant que la vidéo circule, car ses proches la lui ont montrée. Pour ne rien vous cacher, beaucoup de gens se moquent de lui. Mais il préfère laisser ça derrière lui : il ne veut rien faire pour dénoncer ce qu’il a vécu, et passer à autre chose.

Contactée par France 24, une source à la gendarmerie nationale ivoirienne a confirmé que la scène datait de 2016. Elle précise que la « victime n’a jamais été violentée » mais reconnait que « la scène n’est pas belle à voir ».
En revanche, lors de cette opération, « de vrais orpailleurs ont été interpellés et déférés au parquet » précise cette source. Cette même source n’était pas en mesure de confirmer si les gendarmes qu’on voit dans la vidéo avait été sanctionnés ou pas.

De son côté, le service de communication de la gendarmerie nationale ivoirienne a indiqué à France 24 qu’un « communiqué serait bientôt publié », sans vouloir répondre à nos questions ou confirmer de sanctions. Nous ajouterons ce communiqué à cet article lorsqu’il sera publié.

Dans la vidéo, on voit que l’homme qui filme, vraisemblablement un gendarme de la patrouille, n’est pas le seul à immortaliser la scène avec son smartphone.

« Cette scène est typique de ce qu’on voit dans les villages ivoiriens, les villageois ont peur de la tenue militaire »

Si cette scène a filtré sur les réseaux sociaux, elle ne semble cependant pas un cas isolé. France 24 a pu s’entretenir avec un gendarme ivoirien, choqué par le comportement de ses collègues. Il parle anonymement pour des raisons de sécurité.

Cette scène est typique de ce qu’on voit dans les villages ivoiriens, et souvent, les personnes interpellées sont en tort. Ce sont des villageois qui vont cultiver les terres dans des forêts classés ou chassent des animaux sans autorisation.

Dans ces villages, les populations ont peur de la tenue militaire et certains hommes en uniforme le savent très bien. C’est pour ça qu’ils font des vidéos pour se moquer d’eux qu’ils s’échangent entre eux. Ainsi, dans le cadre du travail, c’est une méthode fréquente pour un gendarme ou un policier ivoirien afin de dissuader les personnes arrêtées de recommencer.

« En 2012, il y a eu une vidéo similaire qui a fait le buzz »

Et d’ailleurs, ce n’est pas nouveau : en 2012, une vidéo montrait un Baoulé attrapé dans une forêt classée et humilié par des agents des eaux et forêts. À l’époque, elle avait fait du bruit : tout le monde se moquait de l’homme, même la chaîne nationale montrait cette vidéo qui provoquait des fous rires. [Dans la vidéo, des policiers se moquaient de l’homme qu’ils venaient d’appréhender en lui disant qu’ils allaient « lui couper le sexe », NDLR]. Parfois, j’ai l’impression que cette vidéo « inspire » encore tout un pan de notre profession.

Quand les agents mettent la main sur des personnes en infraction, je voudrais qu’ils les conduisent devant les autorités compétentes plutôt que de penser à filmer pour s’échanger les images.

Les scènes d’humiliation par les forces de l’ordre ivoirienne, policiers ou gendarmes, ne sont pas fréquemment filmées, mais régulièrement dénoncées sur les réseaux sociaux. En septembre dernier, des policiers avaient coupé les cheveux de jeunes à Yopougon pour les humilier.

Source : www.cameroonweb.com