Le bilan de la répression sauvage qui s’abat sur les populations depuis deux mois, dans leur quête de l’alternance qui les pousse à manifester dans les rues, est lourd. Impensable que la soldatesque puisse encore s’illustrer de la sorte, lorsqu’on se rappelle les incantations de Faure Gnassingbé le 29 juillet 2007 à Atakpamé au sujet des violences politiques qui ont endeuillé le Togo deux ans plus tôt lors de son accession au pouvoir, et considère les fameuses cérémonies de purifications. C’est simplement l’histoire macabre de 2005 qui semble se répéter…
« Plus jamais ça ! », « L’opposition peut marcher tous les jours de la semaine »…
Atakpamé. 29 juillet 2007. Fête Odon-tsu. La star du jour, ce n’était pas l’igname, ni les populations, encore moins les dieux Ifè. Mais Faure Gnassingbé, présent dans la ville des sept (07) collines pour cette occasion solennelle. L’opportunité ne pouvait pas mieux se présenter. Le Togo sortait (sic) d’une période heurtée, les violences de 2005 qui avaient fait un millier de morts, plus de cinq mille (5000) blessés et près de soixante mille (60 000) réfugiés.
Atakpamé était aussi l’une des villes les plus touchées par la répression. Il fallait profiter pour siffler la fin des violences et chanter la paix. « De cette ville d’Atapkamè, je tiens à proclamer haut et fort, plus jamais ça sur la terre de nos aïeux, plus jamais de vagues t’attentats, de troubles et de violences insensées, de vandalisme et de dégradation d’édifices publics », avait lancé la guest star devant plus de 6.000 personnes venues assister à la fête au stade municipal de la ville. « Plus jamais de velléités et de tentatives de déstabilisation de l’Etat et de ses institutions. Plus jamais de gratuites pertes de vies humaines », avait-il ajouté, et d’inviter la classe politique, les organisations de la société civile, ainsi que les médias à se joindre aux efforts du gouvernement pour ouvrer à l’éradication totale de la violence. C’était en fait le lancement d’une campagne contre la violence et l’impunité au Togo organisée par le bureau du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme au Togo (HCDH), patronné à l’époque par Olatokumbo Ige, grande admiratrice de Faure Gnassingbé.
Awandjelo, région de la Kara. 14 janvier 2015. Cérémonie de lancement de la construction de l’usine de fabrication de ciment. Faure Gnassingbé reconnut en personne le droit de manifester de l’opposition quand elle veut et même rappelait ses partisans à l’ordre, après un réquisitoire d’un zélateur. « (…) Le Togo a fait le choix du pluralisme politique. Dans notre pays, il y a une majorité, une opposition, et c’est le peuple togolais, par ses choix, qui départage les partis politiques. Quand nous venons à des manifestations comme celles-ci, nous venons en tant que Président de tous les Togolais. Nous ne venons pas en tant que responsable de parti politique. C’est le Président des Togolais qui est ici ce matin, c’est le gouvernement du Togo qui est ici. On n’est pas Président d’une partie du pays et opposant d’une autre partie, et je tiens à ce que l’opposition, les responsables d’opposition soient respectés. Le droit de manifester est reconnu par notre constitution. Il faut simplement respecter la loi quand on manifeste. Donc, l’opposition, si elle veut manifester tous les jours pacifiquement, je l’y invite (…) Donc je ne veux plus que dans les manifestations comme celles-ci, les responsables de l’opposition soient vilipendés; je ne l’accepterai pas. Nous sommes pour la tolérance » , avait-il déclaré. Précision de taille, Faure Gnassingbé tenait ces propos près de quatre (04) ans après le vote de la loi du 16 mai 2011 sur les manifestations publiques.
Deux jolies sorties, des propos responsables, mais…L’histoire macabre de 2005 se répète
En 2005, c’était pour paver la voie à la montée au pouvoir de Faure Gnassingbé que le pouvoir avait tué. Si les violences avaient débuté depuis le lendemain du décès de son père, le pic a été enregistré en avril, notamment suite à la proclamation des résultats frauduleux de l’élection présidentielle le 26 avril. Les populations s’étaient spontanément retrouvées dans la rue pour défendre leurs votes. C’est toute la différence avec ce qui se passe depuis deux mois. Le procédé reste le même, et c’est cette histoire macabre qui se répète douze (12) ans après : répression des populations par l’armée, recours aux miliciens…et morts à la chaine.
Ils avoisinent déjà quinze (15), les Togolais tués depuis le début de la crise politique. Et dans le lot, des enfants ! Et c’est toujours la soldatesque du pouvoir qui est à l’œuvre. Si au début le régime a fait semblant de respecter les normes conventionnelles et de se contenter des forces de l’ordre et de sécurité, aujourd’hui les policiers et gendarmes sont relégués au second plan. Leur rôle se réduit fondamentalement à tirer des grenades lacrymogènes, taper sur les manifestants…La tuerie est plus assurée par les militaires, déversés en masse dans les rues aux trousses des militants de l’opposition ou simplement partisans de l’alternance. Si la chose est discrète à Lomé, c’est notamment dans les localités de l’intérieur du pays que leur présence est plus formelle. Les militaires font presque le siège de Sokodé, Bafilo, Mango et autres localités où on se révolte et font régner la terreur. En tout cas, tout ce beau monde tire à balle réelle sur les populations aux mains nues. Et comme si cela ne suffisait pas, le régime a fait appel à ses milices qui sont officiellement sorties ce mercredi 18 octobre à Lomé. Cette fois-ci, les miliciens agissent au vu et au su de tout le monde, prestent aux côtés des forces de l’ordre et de sécurité.
Comme en 2005, on tire sans ménagement sur les populations aux mains nues, viole les domiciles, passe tout le monde à tabac…Le bilan d’une quinzaine de morts traduit bien l’ampleur de la répression.Sans compter les blessés qui doivent déjà avoisiner le millier depuis le début des manifestations populaires. Et le décompte macabre n’est pas près de s’arrêter, vu la détermination de l’opposition et du peuple à continuer la lutte de libération du joug de Faure Gnassingbé, mais aussi celle du pouvoir à leur imposer le silence par les armes. Aujourd’hui encore, les populations sont obligées de fuir leurs domiciles pour échapper à la mort. Certains citoyens qui ont réussi à traverser les frontières pour se réfugier dans les pays voisins, d’autres ont choisi d’élire domicile dans la brousse. Des images de familles entières, avec des tentes de fortune dressées, des moustiquaires pour se protéger des moustiques et autres insectes, etc. font froid dans le dos. Et ces compatriotes n’ont aucune idée du temps qu’ils seront obligés de passer là bas, au milieu des reptiles et des fauves pour certains, surtout que l’on se trouve au Nord du pays où l’on compte beaucoup d’aires protégées…
Toute cette escalade de la violence se passe après les fameuses cérémonies de purifications organisées par le gouvernement et le Haut-commissariat à la réconciliation et au renforcement de l’unité nationale (HCRRUN). Et dans l’indifférence retentissante de Faure Gnassingbé. Tout porte à croire qu’il s’est fait un serment : Je suis venu dans le sang, le sang doit couler si je suis obligé de partir…Depuis le début de la crise, il s’est emmuré dans un silence incroyable. Jusqu’à quand ? Mais une chose est certaine, si on peut débattre de sa responsabilité dans les violences meurtrières de 2005, celles de 2017 sont à mettre à son crédit exclusif. Surtout qu’en plus d’être le chef de l’Etat, il est aussi le ministre de la Défense, premier responsable de ces militaires qui sèment la mort. Au-delà d’avoir ces morts sur la conscience, il arrivera un moment où il devra répondre devant le tribunal de l’Histoire…
Tino Kossi
LIBERTE
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