Adjakli fils sait que la meilleure façon de se défendre, c’est d’attaquer. Il l’a fait, l’ingénieux vandale de l’Etat. Celui qui signe « Monsieur Pétrole » dans un pays qui ne produit pas l’or noir. Il a les moyens des dessous-de-table et peut conditionner le terrain, huiler la chaîne de son réseau, soudoyer tous ceux qui peuvent l’être dans le système, ameuter prébendiers et avocats. Quant tout lui est alors fin prêt, il peut mettre la machine en branle, dans l’espoir de faire dire, par des juges qui lui ressemblent, par une justice « intuitu personae », que les milliards amassés l’ont été à la sueur de son front. Comme si sa famille possède, à Zalivé (Aneho), des puits de pétrole qui rapportent gros. On connait la maison, ses habitudes. La capacité de notre justice à arrondir les angles au profit, et du pouvoir et des nantis, à transformer des bandits de grand chemin en victimes, et inversement, nous est connue. Il ne sera pas surprenant si l’on apprend, demain, que le jeune prédateur a réussi à se trouver, dans le système UNIR, des mains secourables pour le sortir d’affaire.
Pendant que des gens pillent le pays, le Procureur de la République dort, de son faux sommeil habituel. Au lieu que ce soit lui qui se charge d’investiguer, d’interroger les Adjakli sur la source de leurs fortunes que les gens soupçonnent de frauduleuses, ce sont les juges de service qui vont convoquer le journaliste ayant donné l’alerte au nom du contribuable sur un cas d’enrichissement trop rapide, trop massif. N’a t-on pas assez de preuves qu’au royaume de Faure, les pilleurs peuvent circuler, libres de leurs mouvements, quand les journalistes ayant attiré l’attention de l’autorité sur les crimes, sont, eux, soumis à d’abondantes tracasseries?
On a souvenance de ces nombreuses affaires qui laissent pantois: le «Riz contaminé de Julie Béguédou», la falsification du rapport de la CNDH, la mise à sac de la SOTOCO et du Fonds d’Entretien Routier, l’incendie des marchés d’Adawlato et de Kara, les détournements hauts en couleur et le plus ouvertement du monde aux impôts et à la douane, le scandale des 600 millions de la CAN Gabon 2017 … la liste est longue. Y a t-il jamais eu des coupables jugés et mis en prison pour des crimes aussi abominables que ceux-là? Le Togo est l’un des rares pays où des gens, sortis du néant, peuvent devenir subitement milliardaires, en l’espace de quelques petites années. A quoi sert le Procureur de la République? Ou, y aurait-il eu une de ces «lois de minuit», qui ait légalisé le concept du «Moi aussi j’ai pris ma part »? Pitié pour le peuple togolais! Pitié!
En général, on parle de magistrature debout (le ministère public) et la magistrature assise ( les juges). On trouve aussi une troisième catégorie, du nom de magistrature parallèle qui, elle, est très rare. Mais c’est celle-là qui existe au Togo, une justice biaisée sans aucun point commun avec les règles de la fonction qui veulent que le juge soit juste. Notre justice connote le déni. Elle reflète la négation du droit. Une justice «intuitu personae» (selon la tête du client), platement couchée aux pieds du pouvoir politique plutôt, au pieds d’une famille. Le juge Togolais, de ce fait, est unique, d’un genre très atypique sur le continent noir. On le croirait, lui, sorti de ténébreuses écoles qui n’existent pas sur Terre. Peut-être sur Mars ou Jupiter!
Dans d’autres pays, quels que corrompus soient les magistrats, il arrive fréquemment des situations où quelques juges justes se détachent du lot pour faire honneur à la corporation et, en même temps, faire le guet pour la garde de la démocratie. Au Togo, peine perdue: notre justice, en bloc, reste attelée aux dispositifs de l’oligarchie régnante, incapable de dire le droit. C’est parce que cette magistrature, chez nous, ne se déploie pas en faveur de ceux qui sont supposés en être les légitimes bénéficiaires, c’est parce qu’elle est à mi-mât de son rôle, que notre pays, aujourd’hui plus qu’hier, est ouvert à tous les vents, ceux dévastateurs de l’ogre UNIR et ceux ignominieux des trafiquants de tout acabit qui pullulent sur le sol togolais devenu pour ces malfrats le plus prospère et le plus clément des paradis d’Afrique.
Le scandale présent, dans le contexte de l’intolérante pauvreté qui affame la majorité des Togolais, n’est pas seulement un tort envers l’homme mais un crime envers Dieu. Voici un fait parmi bien d’autres encore plus pitoyables, qui fait dire qu’il est de notre devoir, nous Togolais, de compatir avec les misérables de nos quartiers, villes et villages, et d’exiger que les gigantesques détournements soient sévèrement punis et les biens des auteurs saisis. En la matière, la rigueur prévalait, de temps à autre, sous Eyadéma. Exemple: l’affaire CNCA, Caisse Nationale de Crédit Agricole, créée pour soutenir la Révolution Verte d’alors. Un certain Donou, en complicité avec un réseau de malfrats au sein de la banque, avait, en 1987, mis à sac ce joyau et des milliards de Francs fondus dans les poches des membres du réseau. Une narration ci-dessous pour illustrer pourquoi l’affaire Adjakli, dans un contexte national de grande pauvreté, relève de ces crimes intolérables qui méritent, comme punition, la chaise électrique. Ce qui suit, justifie cela:
A cote de chez moi, à Lomé, se trouve une famille que je pourrais qualifier de misérable. Le père, un enseignant du primaire à la retraite. La norme alimentaire, chez ces voisins de quartier, soumet tous les habitants de la cour à un (1) seul repas par jour. Il se prend vers 14 heures. Dans ce foyer, il bout constamment, dans une grosse marmite noire, des potions médicinales contre la malaria et d’autres maladies. Ce bouillon d’herbes et de racines, c’est la pharmacie de la famille. Faute de moyens pour s’offrir le «luxe(?) de l’hôpital», même lorsque le besoin de consulter s’impose. Dans cette maison, vivent, pêle-mêle, père, mère, grand-parents, jeunes filles, jeunes gens, enfants, n’ayant pour lits et vêtements que des monceaux de «abroni». Trois enfants du vieux ont pu atteindre l’université mais en sont revenus sans la license, faute de moyens.
Qu’en est-il alors des familles de paysans au fin fond de nos campagnes qui n’ont elles aucune pension de retraite? Un repas par jour, c’est frequent. Ce sont-là des choses qui ne doivent pas être et, la société doit dépenser toute sa force, toute son énergie, tous ses talents pour empêcher qu’elles soient. Il devrait y avoir, face à ces cruelles réalités, la présence d’un vide dans nos consciences, dans notre orgueil national, qui nous interpelle. L’on doit, au-delà de la peine, en avoir honte. Ce n’est point demander que soit supprimée la souffrance, celle-ci étant une loi divine; mais on peut, si ce petit Togo était bien géré, détruire cette forme avilissante de la misère qui réduit certains compatriotes à peine au rang de l’animal quand, au même moment, d’autres, à cause d’une gouvernance de complaisance, peuvent se fondre dans la nature avec des milliards de l’argent public.
Il y a risque que le procès qui sera intenté le 12 Août au journal «L’Alternative» ne soit pas seulement une confrontation entre les Adjakli et Ferdinand Ayité mais un face à face qui oppose la famille prédatrice et tous ceux qui se considèrent comme victimes de la mauvaise gestion du pays c’est-à-dire, tous les Togolais en grande précarité, en grande souffrance. Sous d’autres cieux, ce procès, s’il devait avoir lieu, serait un procès, en bonne et due forme, de la minorité pilleuse, que le Procureur de la République se réveille de son sommeil ou pas.
Kodjo Epou
Washington DC
USA
Source : 27Avril.com