Il y a des moments où les circonstances exigent que l’on s’éclipse. Par un retrait volontaire, dans un délai raisonnable, on peut utiliser l’absence pour gagner quelques marques de respect, de sympathie et d’honneur. C’est une question de bienséance dans une société. Sur le plan humain, plus on est vu et entendu, plus on devient commun. On peut, de l’ordinaire, passer au vulgaire, pire, à un paria détestable qui suscite de la moue à son passage et des remous à ses actes. Partir, s’absenter, c’est souvent mieux pour assurer sa présence
L’idée derrière cette remarque est que la présence démesurée d’un « produit » sur le marché le dévalue. C’est ce phénomène dicté par les lois de la compétition qui amène les entreprises à diversifier leurs activités. En politique, l’alternance répond à la norme d’un départ volontaire ou reglémentaire. De plus en plus, les peuples cherchent à étancher leur soif de changement, par un mouvement régulier de personnes à la tete de leur état. Tout changement, quel qu’il soit et bien que n’étant pas toujours sans mélancolies, donne un souffle nouveau, ravive l’espoir d’un lendemain meilleur. Il crée, chaque fois qu’il se produit, un enthousiasme, réel ou putatif, et libère les énergies.
Le savoir vivre, les règles normatives des sociétés modernes, demandent que lorsque vous êtes établi à la tête d’une propriété qui n’est ni personnelle ni familiale, il faut savoir quand se retirer pendant un moment, surtout lorsque plus rien ne va, afin de ne pas devenir un object de mépris et d’exécration, une routine lassante que les autres soient obligés de pratiquer à contre cœur ou malgré eux. Ne pas partir, en pareils cas, est un incivisme, un libertinage qui livre l’indélicat racoleur à de folles railleries.
S’absenter ou se retirer de son propre gré, c’est créer les conditions permettant à la société de vous renouveler sa confiance, d’apprécier vos œuvres, de parler de vous après votre retrait, peut-etre de vous admirer et, au cas où ces œuvres ont été utiles et agréables, de réclamer votre retour. Cela s’appelle faire preuve d’une grande valeur morale et intellectuelle. Se retirer volontairement revalorise, anoblit. C’est s’assurer une présence. Par contre, s’accrocher à tout prix en imposant ses diktats, en ne regardant que les intérêts du moment, sans jamais concevoir que chaque chose – bien ou mal – doit avoir une fin, cela conduit inexorablement dans des extrêmes qui, toujours, finissent par vous emporter dans l’indignité totale, dans l’oubli.
Et là, non seulement qu’on devient le paria que tout le monde déteste, on se voit plus tard définitivement fermer, à soi-même et à tous ses proches de la même famille, parfois de la meme culture, toutes les portes d’un quelconque retour. En milieu Ewe, la tradition est sans équivoque: de tels individus sont épinglés de « sans morale ni loi ». Et, de tout individu qui ne connait pas les chemins de la modération, il se dit, pour le bannir, qu’il s’est privé d’acces au puits après avoir y avoir bu l’eau. C’est le bannissement total. Une mesure pragmatique, proportionnelle à ce qu’auront été les nuisibles attitudes antérieures du paria envers les autres.
Si le hibou est le paria des oiseaux et l’ane le paria des quadrupedes, il se trouve que le paria des parias, c’est l’individu qui croit pouvoir manipuler infiniment toute la sociéte en méprisant ses semblables, dans le but d’assouvir ses envies démentielles. Partir, s’imposer une absence pour un temps, devient, dans la situation d’un tel individu, le seul moyen d’espérer laisser son nom et maintenir sa présence dans les esprits. C’est cela, en français facile, assurer sa présence par une absence.
Kodjo Epou
Source : www.icilome.com