Chronique de Kodjo Epou :: Le temps des questions douloureuses

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Chronique de Kodjo Epou :: Le temps des questions douloureuses

Quel peuple sommes-nous pour que les nations alentour, très souvent, s’apitoient sur notre destin avec une compassion méprisante, insultante? Une question douloureuse, mais qui touche une réalité qui ne l’est pas moins: il y a besoin de commencer à questionner sérieusement le peuple du Togo, à le tutoyer sans complaisance et, soulever à son sujet les vrais débats qui le discipline, d’autant que la cruauté de la dictature, à elle seule, ne justifie plus ce profile bas que font les Togolais. Les coups fourrés, la trahison et la passion des miettes ne seraient-ils pas les maux principaux qui donnent jouvence et longévité à la dictature? Y a-t-il, parmi nous, des connaisseurs capables de nous éclairer un peu plus sur le type de peuple qu’est le nôtre?

Pourquoi toutes ces ethnies qui composent le Togo n’arrivent-elles pas à se (sou)lever en ayant, ensemble, comme seul objectif de redresser la courbe tragique de leur destin, à s’entendre sur les valeurs fondatrices d’une nation qui veut exister en harmonie avec elle-même ou agir en tant que peuple souverain et fort? Pourquoi, alors que dans leur immense majorité, sinon toutes, ces ethnies acceptent-elles si longtemps, tacitement, de souffrir profondément du même mal – un mal récurrent – qui a hypothéqué leur vaillance d’antan ? Pourquoi n’arrivent-elles pas, toutes ces ethnies, à confronter avec succès cette longue absence, glaçante, de leur droits les plus élémentaires?

Pourquoi toutes ces ethnies acceptent-elles, à chaque fois, d’être empêchées, bloquées, littéralement stérilisées? Pourquoi les Togolais échouent-ils aussi régulièrement, lorsqu’il s’agit de revendiquer leur place de peuple souverain? Pourquoi n’arrivent ils pas à sauter les verrous qui les empêchent d’accomplir leur devoir civique, à passer du statut d’individus pour devenir des citoyens à part entière, à exiger des comptes de leurs dirigeants pour, éventuellement, parvenir à les sanctionner? Pourquoi la résilience de toutes ces ethnies a-t-elle fini par devenir ce qui apparaît comme une résignation générale, pure et simple? Sont-elles irrémédiablement maudites, toutes nos ethnies, par l’histoire, la géographie, l’ADN? Comment se fait-il que les Togolais, en Afrique de l’ouest, sont les seuls dans l’incapacité totale de venir à bout d’un régime suranné, redondant et pourri, faisant du Togo un pays singulier qui a constamment des problèmes de textes légaux et d’hommes légitimes? Ou, les Togolais sont-ils juste congénitalement des incapables, collectivement des poltrons ?

Il est sans doute temps que nous Togolais comprenions que nous ne sommes pas encore un peuple de citoyens. Mais, à la limite, une multiplication d’ethnies, même pas structurées; des conglomérats caractérisés par, au choix, l’appartenance à un même niveau de vie social, à une même culture – culture du peu – et à un même mode de (sur)vie. Des ethnies limitées au partage d’un même drapeau, une même pièce d’identité et une même langue officielle, mais foncièrement incapables de dicter leur loi à ceux qui les dirigent et le courage de regarder droit dans les yeux son armée, la source du mal. Finalement, on se sait plus si c’est qu’elles ne le veulent pas ou ne le peuvent pas.

Quand des partis politiques et des associations de la société civile mal cimentés par un même objectif ou que tout sépare investissent la rue pour protester contre l’oppresseur, cela finit fréquemment dans l’impasse. Pourquoi ? Ne serait-ce pas à cause de nos habitudes à vénérer inconsciemment le système oppressant, des mentalités que, décennie après décennie, nous avons acceptées d’ancrer dans nos comportements et de notre complaisance vis-à-vis d’une monarchie aux raclures totalitaires que beaucoup trop de gens, confusément, appellent république togolaise ? Les vampires domineront aussi longtemps que nous refuserons d’entreprendre, collectivement, au-delà du service minimum, de nous transformer en un peuple de citoyens libérés. Les mêmes feront royalement main basse sur l’État et ses ressources aussi longtemps que nous Togolais continueront de rester les bras ballants, de chercher à privilégier, dans l’ordre, l’argent facile et gratuit, la famille, l’ethnie, le « moi-je-moi-même » et de vouloir, chaque fois, connaître d’abord le sexe des saints avant de prendre tout engagement au profit de l’intérêt général.

C’est le peuple qui a le dernier mot, c’est lui qui, en toute souveraineté, marque son territoire et celui de ses dirigeants ; c’est lui qui siffle la fin des errements, lorsque des groupes organisés, de son sein, usent de demi-vérités, de mensonges, de dilatoires et de crimes systématiques pour l’asservir. C’est là et uniquement là que ce peuple pourra accomplir tout ce dont rêvent ses filles et ses fils; là et uniquement là qu’il sera simplement sublime. Pourquoi n’arrivons-nous pas à devenir un peuple sublime? “Un peuple qui a faim de liberté et de pain mange le pouvoir”, dit-on. Les Togolais ont-ils réellement faim? Ont-ils au moins des dents ? Ou bien, les ont-ils mais tout simplement ne savent pas comment les utiliser ?

Kodjo Epou
Washington DC
USA

27Avril.com