Dans le contexte d’un pays qui a connu des crises politiques graves ayant jeté un nombre considérable de ses enfants sur le chemin de l’exil, œuvrer pour leur réintégration dans la nation après l’apaisement fait partie des tâches prioritaires de tout gouvernement responsable. Aucun pays ne peut prétendre être en paix lorsque ceux de ses enfants qui ont été victimes de persécutions, politique ou économique, et exclus de la vie nationale, sont obligés de s’abandonner à leur sort de réfugiés en terres étrangères. Cela explique pourquoi la nouvelle appellation du porte-feuille que détient Robert Dussey peut susciter un début d’intérêt.
On a souvent beaucoup parlé, à Lomé, d’opportunités d’investissement et de marché, de même que des mesures incitatives réservées à la diaspora… ». C’est bon. Mais qu’en est-il du recensement de ces Togolais, de leurs droits civiques et politiques? Pour le moment, c’est Omerta totale! Le programme Réussite Diaspora de 2015 n’en avait soufflé mot, une des raisons majeures qui ont fait que ce projet, dès son premier essai, avait pris une charge de plomb dans l’aile et tourné court. Un autre essai annoncé pour janvier 2018 n’as pas eu lieu. Le pays ayant été pris dans la tourmente des agitations politiques. Qu’en sera-t-il-il maintenant que le gouvernement a cru nécessaire de redéfinir le ministère des Affaires Étrangères et de l’Intégration africaine en y ajoutant « les Togolais de l’Étranger »? Pour le moment, mystère total.
La genèse de la diaspora togolaise recommande aux autorités de procéder par des démarches originales empreintes d’une franche volonté politique si, enfin, elles sont décidées à intégrer à la vie économique, politique et civique les quelques deux millions de Togolais vivant à l’étranger. On ne peut pas traiter de la diaspora sans se rappeler de certains épisodes de notre histoire: les jours qui ont suivi la date du 5 Février 2005, certaines villes occidentales ont connu un spectacle unique en son genre. Les Togolais, par dizaines voire centaines de milliers, ont accueilli dans une liesse générale la mort du Général Eyadéma. C’est pénible à dire mais c’était cela la réalité.
A Paris, Bruxelles, New York, Montréal, et partout ailleurs, ces Togolais, accourus dans des meetings spontanés, scandaient des slogans en hommage à la “Terre de nos aieux”. « Enfin le Togo est libéré », chantaient-ils. Cette joie, ce soulagement, à la hauteur des souffrances et frustrations qu’avaient connues ces émigrés, ont été de courte durée lorsqu’un des fils du président défunt a été promu chef de l’état à la faveur d’un jonglage constitutionnel sans précédent. La marge des frustrations s’est élargie pour atteindre toutes les proportions quand, en avril de la même année, des centaines de Togolais seront mortellement fauchés à l’issue d’une élection présidentielle vastement contestée.
Depuis, la taille de la population des Togolais de l’étranger a grossi. Considérablement. Cette diaspora nourrit, dans sa grande majorité – il faut rapporter l’effet à la cause – un sentiment de révolte et de rejet à l’égard de Faure Gnassingbé. Une répulsion compréhensible qu’une septuagénaire ayant perdu deux de ses petits fils à Aného pendant les tueries de 2005, elle-même réfugiée à Newark, dans l’état de New Jersey, va caricaturer de fort belle manière : “le pouvoir a été offert par la France et les FAT comme cadeau d’anniversaire à cet enfant d’Eyadéma, après d’abondants sacrifices en vies humaines”. Ce sont-là des péripéties qui expliquent pourquoi Faure Gnassingbé ne peut pas être du jour au lendemain dans les bons livres de ses compatriotes que la persécution politique et la pauvreté ont poussés loin de la terre natale. Le sang sèche vite! C’est peut-être vrai. Mais l’histoire, elle, ne tarit pas aussi aisément.
Le président et son gouvernement issus donc de cette histoire tragique, conséquemment, ne peuvent pas, du jour au lendemain, se retrouver en odeur de sainteté avec une si foisonnante diaspora victime de toute sorte de frustrations. D’où, l’intérêt pour eux (le gouvernement) de mettre en place les “Réussites Diaspora”, un programme salutaire dans lequel la cohésion nationale, indéniablement, aurait pu trouver quelques gains. L’ancien PM, Arthème Ahoomey-Zunu avait trouvé, alors, la formule juste pour vendre l’idée quand il disait: ‘Il n’est pas question de demander à la Diaspora de se ranger derrière le gouvernement de manière caporalisée mais de transcender les clivages politiques pour le développement du pays’. C’est parfait mais pas suffisant lorsqu’on retourne aux faits.
En effet, selon les estimations que le gouvernement refuse d’officialiser par un plan de recensement, plus de deux millions de Togolais vivent à l’étranger. Quelles que soient les causes de leur départ, tous ces expatriés étaient à la recherche d’une terre plus clémente, moins humiliante, plus paisible qu’un Togo devenu pour eux une terre de toutes les laideurs, de toutes les hontes, bref de toutes les outrances. Une terre qui ne pouvait plus rien leur offrir. Le choix de partir ayant été parfois difficile, ces expatriés ne manquent pas de ressentir un fort attachement à leur pays et ne cachent pas le désir d’y retourner un jour. Ce lien se matérialise par le soutien financier qu’ils apportent à leurs familles que l’instabilité politique a plongées dans une misère déshumanisante.
Sans cette contribution financière massive de la diaspora, essentiellement destinée a la consommation des familles, il y a longtemps que ces dernières, n’ayant plus rien à perdre, auraient marché sur la présidence, à leurs corps défendants. L’on peut, par déduction, dire que la Diaspora est, tacitement, le premier soutien du régime de Lomé. C’est peut-être cela qui a fait dire à l’ancien président du Congrès Mondial de la Diaspora Togolaise, Docteur Amouzou Martin, que la Diaspora n’a pas besoin du Togo, bien au contraire. On pourrait reprendre le leader du CMDT autrement: la diaspora n’a pas besoin d’un gouvernement qui, de tout temps, procède par démission ou par intrigues. Maintenant, y a t-il désormais, à Lomé, une réelle prise de conscience de la nécessité d’associer la diaspora aux affaires publiques du pays?
Pour cela, faudra sans doute encore attendre que le temps fasse son œuvre, attendre de voir comment, Pr Dussey, le ministre en charge de ce dossier épineux, réussira t-il à amener le gouvernement à résoudre cette lancinante question de la diaspora qui a toujours, soit dit en passant, irrité la frange irréductible des caciques du parti au pouvoir. Si la volonté existe – le doute est permis – Il faudra, pour une réussir l’intégration de la Diaspora, beaucoup de génie, beaucoup d’argent.
Kodjo Epou
Washington DC
USA
27Avril.com