Ces deux dernières années en tant que mère célibataire et chômeuse ont été incroyablement difficiles, mais elles m’ont aussi montré combien je suis forte.
Ce mois-ci, cela va faire deux ans que j’ai perdu le poste à plein temps que j’avais occupé dans la communication pendant 15 ans. Cette perte a eu un effet dévastateur, d’autant qu’elle a coïncidé avec la fin d’une relation à distance qui durait depuis quatre ans. Mère célibataire, je me suis retrouvée seule sans économies ni filet de sécurité.
La dernière fois que j’avais perdu mon emploi à l’occasion d’un licenciement économique en 2003, j’avais été serveuse le temps de retrouver un travail de bureau à temps plein. En raison de problèmes de dos (discopathie dégénérative, scoliose et sténose spinale), je ne suis hélas plus capable de rester debout de longues heures. J’ai cherché à obtenir une pension d’invalidité, mais je percevais trop d’allocations chômage pour y avoir droit.
J’avais beau être un peu inquiète, j’étais certaine de retrouver un emploi bien avant la fin de mon année d’allocations chômage. En plus d’être diplômée et expérimentée, je me considère comme une personne intelligente, travailleuse, responsable, passionnée par ce qu’elle fait, aussi autonome qu’à l’aise en équipe. Je suis une battante et je possède de très bonnes références. J’ai toujours passé les entretiens avec plaisir et décroché facilement des emplois. Je me suis donc lancée dans mes recherches bien plus activement que ne le nécessitaient les deux démarches hebdomadaires exigées par l’agence pour l’emploi.
Mais le marché du travail n’est plus du tout le même qu’en 2003.
De très grandes entreprises comme Google tirent ainsi profit de travailleurs qui viennent chaque jour au bureau, à l’instar de salariés à temps plein, sans bénéficier de l’assurance maladie ni du régime de retraite.
Le ‘ghosting’ (c’est-à-dire le fait pour un employeur potentiel de laisser le candidat sans aucune nouvelle après un entretien) et l’âgisme sont terribles pour les milliers de personnes au chômage ou sous-employées. De même que l’économie des petits boulots, qui voit les entreprises avoir recours à des travailleurs contractuels sur de courtes périodes, ce qui leur évite d’accroître leur effectif et de verser des prestations sociales. Dans une entreprise où j’ai travaillé en intérim, j’ai rencontré une fille qui était graphiste “contractuelle” depuis cinq ans. Elle ne savait jamais quand elle allait être appelée ni pour combien de temps. Sans revenu régulier, il lui était difficile de payer ses factures, mais elle ne pouvait pas non plus s’établir en indépendante puisqu’elle n’aurait pas été suffisamment disponible en cas d’appel de l’entreprise.
On m’a proposé un jour un emploi à peine légal de “travailleur indépendant à temps plein”, pratique contre laquelle le ministère du Travail américain sévit de plus en plus. De très grandes entreprises comme Google tirent ainsi profit de travailleurs qui viennent chaque jour au bureau, à l’instar de salariés à temps plein, sans bénéficier de l’assurance maladie ni du régime de retraite. Pour éviter de les embaucher, les employeurs passent parfois par des agences d’intérim et les travailleurs deviennent ainsi des “employés” de ces agences, sans protection ni avantages. Ce genre de salariat déguisé qui ne présente que des avantages pour l’employeur tend à se généraliser avec la multitude de chômeurs prêts à tout accepter, alimentant ainsi le cercle vicieux qui consiste pour les entreprises à faire appel à des travailleurs quand ça les arrange, sans avoir à investir ni à s’engager à leur égard.
J’ai continué à chercher un emploi à temps plein tout en travaillant en indépendante dès que l’occasion se présentait. J’aimais travailler à la maison en tenue décontractée, manger un déjeuner fraîchement cuisiné devant un DVD emprunté à la bibliothèque plutôt qu’avaler un plat congelé à mon bureau, le nez dans mon travail. La présence de collègues me manquait, mais l’équilibre vie professionnelle-vie privée était parfait. Je me disais que mon prochain CDI n’allait pas tarder, mais plus les mois passaient, plus j’en doutais.
À ce jour, j’ai postulé à plus de 215 emplois, y compris à temps partiel, en CCD ou en intérim, aussi bien localement qu’à l’échelle du pays.
J’ai continué à postuler. J’ai contacté des agences de marketing et de relations publiques. J’ai fait du réseautage, diversifié mon profil Linkedin, travaillé avec des chasseurs de têtes, je me suis inscrite dans des agences d’intérim. Je passais des entretiens d’embauche très positifs, où l’on me qualifiait de candidate idéale. Après m’avoir présenté toute l’équipe, on me disait qu’on me rappellerait sans faute et que je correspondais en tous points au profil recherché, et puis je n’avais plus aucune nouvelle. Chaque jour, des milliers de candidats se plaignent sur Internet du fait que le ‘ghosting’ fait désormais partie intégrante du processus de recherche d’emploi. C’est dur de ne pas se laisser décourager.
À ce jour, j’ai postulé à plus de 215 emplois (je tiens un registre), y compris à temps partiel, en CDD ou en intérim, aussi bien localement qu’à l’échelle du pays. Il s’agit essentiellement de travail dans l’écriture et la communication, mais pas seulement. J’ai postulé pour des travaux de transcription, mais comme je suis malentendante, j’ai raté les tests. J’ai envoyé ma candidature pour être secrétaire, bien que je n’aie pas fait ce genre de boulot depuis plus de 15 ans. Il ne m’a jamais été proposé aucun entretien pour ce type de postes. Les agences de recrutement m’ont dit que j’étais “trop expérimentée” (traduction: trop vieille). Ils cherchent des jeunes prêts à travailler pour la moitié de ce que je touchais au chômage. Ç’aurait été plus facile de me contenter de mes deux candidatures hebdomadaires, mais je savais que mes allocations chômage ne dureraient pas éternellement.
Parallèlement à ma recherche d’emploi, j’ai petit à petit consolidé mon activité d’auto-entrepreneuse. J’ai fait marcher mon réseau. J’ai demandé des références et des recommandations. J’ai rappelé ceux qui m’avaient déjà donné du travail. Mes amis m’ont beaucoup aidée. Dès que leur entreprise recherchait un rédacteur pour un projet, ils me confiaient le travail et me faisaient suivre la moindre piste. J’ai reçu beaucoup de compliments sur mon travail de la part de clients qui m’ont redonné confiance en moi. J’ai commencé à me dire que je pourrais m’en sortir en tant qu’indépendante.
J’ai également réduit mes frais au maximum. Quand on travaille chez soi, qu’on ne sort pas déjeuner (ou boire un verre, ou dîner) et qu’on n’a pas besoin d’être bien habillée et maquillée chaque jour, les dépenses diminuent nettement.
Au bout d’un an, j’ai répondu à la question que je m’étais posée au début de ma recherche d’emploi: et si plus personne ne m’embauche en tant que salariée à temps plein? Comment vais-je faire pour vivre, pour m’en sortir?
Deux ans plus tard, j’ai beaucoup appris et j’aimerais vous offrir quelques conseils:
1. Demandez les aides auxquelles vous avez droit. Avant tout, n’ayez pas honte de dépendre des aides sociales ou d’être pauvre. Les pauvres ne sont pas des paresseux ou des ratés. J’ai grandi dans le dénuement et j’ai brièvement bénéficié de bons alimentaires après mon diplôme universitaire, donc j’ai su demander de l’aide tout de suite. Je l’ai fait dès le jour où j’ai perdu mon travail. Des ressources existent, que vous ne connaissez sans doute pas pour la plupart. Avec les bons alimentaires, on m’a donné une liste de banques alimentaires. S’y rendre peut prendre beaucoup de temps et il arrive que la nourriture soit périmée, mais cela m’a permis d’en obtenir une bonne quantité. J’ai aussi fait des réserves de produits tels que le dentifrice, le liquide-vaisselle, la crème dépilatoire, qu’on ne peut pas acheter par le biais du programme d’aide alimentaire. J’allais dans chaque banque à tour de rôle, une fois par mois, comme j’y étais autorisée. L’esprit de solidarité qui règne dans ces lieux est difficile à mettre en mots.
J’ai surmonté les périodes difficiles en tenant un blog. Je me suis inscrite à l’ACA (l’‘Obamacare’) quand mon assurance santé a pris fin, et au programme d’aide financière de l’hôpital pour les soins non pris en charge par l’ACA. J’ai été couverte par le régime Medicaid le jour où je n’ai plus touché d’allocations chômage. Je suis allée me faire soigner les dents dans un dispensaire (NB: pratiquement aucun dentiste n’accepte les patients Medicaid). J’ai obtenu une indemnité d’urgence réservée aux écrivains qui m’a permis de payer mon loyer une fois. Renseignez-vous auprès des services publics proches de votre domicile sur les formations professionnelles et les aides auxquelles vous pouvez prétendre.
2. Cherchez de l’aide sur le plan affectif. Le stress consécutif à un chômage chronique et à la pauvreté fait beaucoup de dégâts. Après avoir été submergée par la peine, la colère et la terreur, je me suis prise en main. J’ai appris l’espagnol. J’ai suivi des cours en ligne pour acquérir de nouvelles compétences (Rosetta Stone est en accès libre dans de nombreuses bibliothèques, Coursera propose une aide financière, Hubspot est gratuit). Je me suis promenée et j’ai fait la paix avec l’hiver, qui est une saison plutôt sympa quand on n’a pas à circuler sous la neige pour aller au travail. Mes amis ont été merveilleux. Ils ont toujours été là quand j’avais le moral à zéro. Ils ont participé à une collecte de fonds pour que je puisse adopter un chien. Beaucoup m’ont fait la surprise de m’offrir des cartes cadeaux, des provisions ou, à l’occasion, une bouteille de vin.
Il faut se montrer franc et ne pas nier la réalité. Un grand nombre de gens se débattent, mais la plupart ont trop honte pour en parler. Ce n’est pas grave d’être pauvre. Ce n’est pas grave de dire qu’on a du mal à joindre les deux bouts. J’ai même parlé, lors d’une table ronde à l’hôpital, de la façon dont le service d’assistance financière m’avait aidée pour sensibiliser le personnel à l’aspect émotionnel des soins de santé pour les gens pauvres et physiquement abîmés.
3. Revoyez vos objectifs. Cette leçon a été difficile. Au bout d’un an de chômage, quand j’ai compris que je ne retrouverais peut-être pas un travail de bureau à temps plein, j’ai diversifié mes activités. En plus de mon travail en indépendante, j’ai fait des petits boulots pour payer l’électricité. Qu’il s’agisse de compter les boîtes de lunettes 3D dans un cinéma, d’être client mystère dans des restaurants ou d’écrire des légendes photos pour une chaîne d’hôtels, j’ai découvert que je pouvais faire plein de petites choses pour gagner beaucoup de petites sommes d’argent.
J’ai vendu des tonnes d’affaires sur des sites d’achat-vente. La plupart des gens possèdent bien plus de choses que nécessaire, et sont prêts à acheter pratiquement n’importe quoi pour peu que ce soit propre et bien photographié. J’ai changé les boutons d’une vieille veste en cuir à franges achetée 5 $ aux puces et je l’ai revendue 20 $. Tant qu’on est valide, il y a plein de boulots à faire. Si vous n’êtes pas à l’aise avec l’idée de conduire des inconnus pour une entreprise de covoiturage, essayez de devenir livreur de courses ou de pizzas. Les épiceries sont à la recherche de travailleurs fiables. Pensez de façon stratégique et privilégiez les entreprises qui accordent à leurs employés un rabais qui vous sera particulièrement profitable. Tondez la pelouse, promenez des chiens. Gardez des animaux ou des enfants. Bricolez-vous votre revenu. Il n’y a pas de petit profit. Ne baissez jamais les bras.
Ce tournant dans ma vie m’a également conduite à revoir totalement ma relation à l’argent. Quand on n’a pas d’argent, on en vient à le considérer comme un cadeau. On est reconnaissant de pouvoir payer ne serait-ce qu’une facture. On devient maître dans l’art de réduire les frais et de limiter les dépenses. J’ai développé une résilience qui m’a donné davantage confiance en moi et, par ricochet, permis de décrocher plus de travail en indépendante. J’ai admis que l’incertitude faisait partie intégrante de mon statut d’auto-entrepreneuse expérimentée et créative.
Payer mes factures reste un pari renouvelé tous les mois. Je passe beaucoup de temps à faire du marketing, du réseautage, de la facturation et du recouvrement: la routine quand on est son propre patron. Ce n’est pas ce dont je rêvais, mais il semblerait que personne n’ait envie d’embaucher des travailleurs intelligents et expérimentés qui ont encore au minimum 15, voire 20 ans de travail devant eux (ma grand-mère est morte à 102 ans, alors j’ai le temps), des gens comme moi, très productifs, qui ont l’éthique du travail chevillée au corps et une personnalité attachante.
Je rêve encore que je vais trouver un super boulot à temps plein et gagner de quoi me permettre d’épargner pour ma retraite et pas seulement de payer mes factures, mais je ne pouvais pas attendre plus longtemps que le monde du travail s’intéresse à moi. Je me suis créé mes propres opportunités. Perdre mon travail m’a changée en tant que personne. Rétrospectivement, bien que j’aie apprécié la majorité de mes collègues et de mes emplois, j’ai souvent eu affaire à des patrons toxiques et des milieux professionnels où régnaient cris, harcèlement et favoritisme. Maintenant, l’employé de la semaine, c’est mon chien Indigo ou moi. En tant qu’indépendante, je ne sais jamais de quoi sera fait le mois prochain, mais j’ai désormais beaucoup moins peur de l’inconnu. Je sais ce que c’est de toucher le fond et se battre pour survivre.
Je sais que l’incertitude est maintenant la norme pour moi, mais aussi que je possède tout ce dont j’ai besoin, même si je n’ai jamais eu aussi peu de choses. Un merveilleux compagnon, qui m’a aimée quand j’étais au plus bas, partage ma vie. J’ai fait place nette dans mon esprit et dans mon cœur, et j’ai trouvé l’amour. Je sais que nous pouvons affronter n’importe quelle tempête, car nous nous sommes rencontrés en plein ouragan.
Cela fait deux ans cet été que j’ai perdu mon emploi. Cette date marque aussi la fin de mon recours à l’aide sociale (pour le moment en tout cas et, avec un peu de chance, pour toujours). Je gagne désormais un tout petit trop en indépendante pour y prétendre. J’appelle cette zone grise “l’entre-deux”. Je gagne trop pour bénéficier d’aides, mais pas assez pour payer aisément mes factures. Je vais travailler dur pour sortir de cette phase, mais ce n’est pas facile.
Des millions d’Américains, qui gagnent trop pour avoir droit à des aides ou des pensions d’invalidité, se trouvent dans cet entre-deux. Lorsqu’ils en sont physiquement capables, ils font plusieurs boulots ou se passent de nourriture, de médicaments et d’autres produits de première nécessité. D’autres s’occupent d’enfants ou de proches âgés tout en travaillant, et serrent les dents pour supporter la dure réalité d’un quotidien dangereusement stressant et frustrant.
Il est important que les gens comprennent à quel point c’est difficile d’être pauvre. Il y a un monde entre ceux qui donnent aux banques alimentaires et ceux qui reçoivent en espérant que quelqu’un ait eu l’heureuse idée d’y déposer autre chose que du thon en boîte bon marché. Un jour, j’ai été tellement enchantée de tomber sur un pot de beurre d’amandes que j’en ai pleuré.
Le parcours du combattant que représentent les démarches à faire (et pas qu’une fois, mais chaque jour, chaque semaine, chaque mois) pour obtenir des aides est exténuant. On passe des heures au téléphone ou à faire la queue pour des aliments majoritairement peu sains et on doit en plus régulièrement prouver qu’on a le droit d’en bénéficier. C’est un combat mental et physique extrêmement éprouvant que l’on ne devrait pas avoir à mener. On ne résoudra pas d’un coup de baguette magique les problèmes de chômage, de sous-emploi et de pauvreté, mais on peut agir immédiatement pour faire cesser la stigmatisation qui y est associée.
Il faudrait également faire pression sur les employeurs qui profitent des travailleurs sans les salarier pour ne pas avoir à leur verser de prestations sociales, ceux qui utilisent des logiciels de recrutement pour rejeter les candidats en fonction de leur âge, sans parler de ce terrible problème de ‘ghosting’ omniprésent aujourd’hui. Les employeurs qui éliminent les travailleurs les plus âgés se privent d’employés hautement qualifiés, bosseurs et dévoués. Les entreprises qui procèdent au recrutement par le biais de logiciels de gestion des candidatures devraient réintroduire un élément humain dans ce processus. Ce même “élément humain” qui devrait conduire, par pure courtoisie, à prêter attention et répondre à chaque candidat et particulièrement ceux qui ont passé un entretien. Il ne devrait pas revenir aux seuls candidats de se montrer originaux et créatifs.
Il est important que les gens comprennent à quel point c’est difficile d’être pauvre.
Les employeurs doivent aussi envisager de renoncer à leurs exigences indues: un diplôme est-il vraiment systématiquement nécessaire? Plus important encore, au lieu de ne voir les gens que comme des chiffres sur un bilan, les employeurs devraient se demander ce qui constitue le cœur de leur entreprise et quelle est sa raison d’être. Il faut que l’éthique qu’ils semblent avoir laissée à la porte du conseil d’administration retrouve sa place dans leur monde.
Si vous vous retrouvez dans une situation semblable à la mienne, battez-vous, ne baissez pas les bras. Je suis fière de tout ce que j’ai fait pour survivre ces deux dernières années, mais ça ne devrait pas être aussi difficile de garder la tête hors de l’eau, d’obtenir de l’aide, de trouver un travail décent et tous les avantages qui vont avec. La façon dont la richesse est distribuée dans ce pays ne fait qu’enrichir les plus riches et appauvrir les plus pauvres. Il est presque impossible de remonter la pente si on ne sait pas où aller frapper, si on est stigmatisé ou trop honteux pour demander de l’aide. Si vous avez la chance de ne pas vous demander comment vous allez faire pour vous nourrir ou garder un toit sur votre tête, arrêtez de juger et de diaboliser les pauvres. L’enfer qu’ils vivent au quotidien est déjà assez douloureux.
J’ignore ce que l’avenir me réserve, mais je suis coriace et je continuerai à faire ce qu’il faut pour survivre. En partageant ouvertement mon combat, je souhaite dire aux autres qu’ils ne sont pas seuls et j’espère que mon expérience leur sera utile. Nous sommes tous ensemble sur cette planète et nous avons besoin les uns des autres pour survivre.
Avec Huffpost
Source : l-frii.com