Les produits chimiques constituent un problème majeur de santé publique. Leur utilisation dans les industries est d’ailleurs une problématique contemporaine suscitant de vifs débats. Une fois libérés dans la nature, ces produits engendrent des conséquences irréversibles, aussi bien sur l’écosystème que sur la santé des personnes qui y sont exposées. C’est d’ailleurs pour ces raisons que dans la plupart des pays, il y a des dispositions qui sont prises pour éviter des drames liés à ces produits dont la dangerosité n’est plus à démontrer. Malheureusement au Togo, la vie humaine ne semble plus avoir de la valeur pour une « caste ».
Actuellement, un drame humain se joue à Datcha et Kara, deux villes qui abritent des industries textiles qui, jadis, faisaient la fierté du pays. Il s’agit en réalité d’une mise à mort lente de la population par la libération dans la nature des produits chimiques entreposés et oubliés dans ces usines abandonnées depuis des années.
Alors qu’après plusieurs études, prospections et propositions, ces produits qui avaient déjà des effets néfastes sur les populations, devraient être purement et simplement détruits, certains, par cupidité, ont préféré prendre des raccourcis. Conséquence, les populations de Datcha et de Kara sont aujourd’hui exposées à tous les risques possibles liés aux produits chimiques libérés dans la nature. Déjà, la situation était plus qu’alarmante.
Des sources autorisées font état de 6 cas de cancers enregistrés dans la seule zone de Datcha. Alerté depuis quelques mois par les populations par rapport aux problèmes de pollution de l’atmosphère, des eaux etc., nous n’avions pas eu assez d’éléments pour sortir un papier bien fourni.
Mais, nous avions été relancés par les populations à la suite de la visite du ministre du Commerce, Kodjo Adédzé le jeudi 9 janvier 2020, lorsque ce dernier est allé annoncer la volonté du gouvernement de réhabiliter l’industrie textile de Datcha. C’est ainsi que nous avons décidé de mettre les mains dans le cambouis. Que cache véritablement cette sortie « inopinée » du ministre? Sûrement des velléités électoralistes.
Le 22 février n’est pas loin, le tout enrobé dans la cage du PND. Nous nous sommes transportés sur le terrain non sans peine. Nous avons exploré beaucoup de pistes, rencontré les populations, exhumé des documents… ce que nous avons découvert est stupéfiant pour ne pas dire horrible.
Les produits chimiques, toxiques et nocifs sont libérés dans la nature avec le début de démolition des bâtiments abandonnés. Oui, actuellement, l’amiante est partout à Datcha. Descente au cœur d’une entreprise « criminelle » qui décide sciemment de mettre en péril la vie de milliers de personnes juste pour quelques millions que va rapporter la ferraille.
Datcha, un nid de produits chimiques
L’usine textile de Datcha, après le départ dans les années 2000 des Chinois qui sont les derniers repreneurs, est restée en l’état. Le site est toutefois gardé par quelques personnes qui avaient perdu leur emploi suite à la fermeture de l’industrie. Il y a quelques années, l’Agence nationale pour la sécurité alimentaire au Togo (ANSAT) a cru bon ériger quelques entrepôts de céréales dans l’enceinte deTogotexde Datcha.
Depuis la cessation des travaux au niveau de l’usine, en dehors de machines et de quelques matières premières, plusieurs produits chimiques sont également abandonnés sur le site. Ces produits, au fil des années, se sont propagés dans la nature.
C’est avec la multiplication des symptômes inhabituels et graves que développent ceux qui sont sur le site ou mènent des activités tout autour, que les populations se sont rendu compte qu’il y a quelque chose de grave qui se joue dans leur milieu. Selon les informations, les autorités locales alertées n’ont pas hésité à remonter l’information, conscientes que c’est la vie de milliers de personnes qui est en jeu. Une source à la Primature nous a confirmé avoir connaissance de cette affaire que le Chef de l’Etat même avait été informé.
C’est suite à sa saisine qu’il a été décidé de mener des études sur les sites de Datcha et de Kara pour déterminer les produits chimiques qui y sont et voir dans quelle mesure les détruire afin de diminuer les risques de contamination.
D’après les recoupements, des concertations entre plusieurs ministères avec des échanges de courriers ont fini par accoucher de quelque chose de concret. Il a été demandé à l’Autorité nationale pour l’interdiction des armes chimique (ANIAC-Togo) d’effectuer des missions pour déterminer, évaluer et faire des propositions pour la destruction des produits. Ce qui fut fait. Un tour sur le site internet de l’autorité nous a permis d’avoir la confirmation de nos informations.
« Une délégation de l’ANIAC, conduite par le Prof. BOYODE Pakoupati, Président, et de Messieurs HUNLEDE Amah, NADJO N’ladon, ASSIKI N. Nicolas, représentant du ministère de l’Industrie et Dr. NINKABOU Tchein, Secrétaire Permanent Provisoire, étaient en visite à l’unité textile de l’usine Togotex de Datchale 20 décembre 2017.
La délégation de l’ANIAC a été accueillie, à son arrivée, par le Préfet de l’Ogou, Monsieur AKAKPO Edoh, et quelques éléments des forces de défense et de sécurité de la préfecture, accompagnés du Directeur de l’usine de Datcha, Monsieur OTINI Yawo Atugu et ses collaborateurs. Dans son mot de bienvenue, le Préfet de l’Ogou a adressé ses vifs remerciements au Gouvernement togolais pour avoir mis en place une structure comme l’ANIAC qui aidera à mieux gérer l’activité chimique au Togo.
Il a rappelé que les produits chimiques abandonnés ont un impact sur le milieu naturel et humain, car ils sont pour la plupart nocifs, corrosifs et mortels. Pour clore son propos, il s’est réjoui de la visite des techniciens, car selon lui, la saisine de l’ANIAC constitue une avancée dans la recherche de solutions aux produits chimiques abandonnés.L’objectif de la visite, d’après le Président de l’ANIAC, s’inscrit dans la politique générale du Gouvernement togolais en faveur de la santé des populations », peut-on lire sur le site Internet de l’ANIAC.
La même activité a été menée sur le site de Kara. « Visant les mêmes objectifs que la mission de Datcha, la visite du site de l’Usine de Kara a permis à la délégation de l’ANIAC et celle de la Préfecture de la Kozah, dont la liste de présence figure en annexe, d’échanger leurs points de vues sur l’Usine de Kara.
Reçue dans les locaux de la préfecture de la Kozah, la délégation de l’ANIAC-Togo, conduite par son Président, le Prof. BOYODE Pakoupati, a tenu à présenter la mission de l’ANIAC et remercier vivement le Préfet de la Kozah, le Colonel BAKALI pour sa disponibilité et s’est réjouie de la collaboration des Autorités compétences dans la recherche des solutions aux problèmes liés à la prolifération des produits chimiques.
Le traçage desdits produits depuis leurs lieux de provenance jusqu’à leurs destinations finales devient l’une des mesures efficaces à appliquer au Togo, d’après le Président de l’ANIAC. Ces mesures contribueront à protéger les populations des doubles usages des produits chimiques que les acteurs non étatiques pourraient utiliser à des fins malveillantes », rapporte le même portail web.
Après plusieurs études menées, les produits chimiques ont été identifiés. L’un des plus dangereux et plus présents sur les deux sites Datcha et Kara est l’amiante. Il nous a été difficile de nous procurer quelques documents liés aux études menées. Mais notre abnégation a fini par porter de fruits. Nous avons pu mettre la main sur un document classé confidentiel bien aidé par nos sources.
« Dans la perspective de trouver une solution aux risques liés aux produits chimiques abandonnés dans les usines textiles de Datcha et de Kara et de préserver la santé des populations et le milieu naturel, le Ministère de l’Industrie et du Tourisme a saisi l’Autorité Nationale pour l’Interdiction des Armes Chimiques (ANIAC- TOGO).
Suite à deux visites d’investigation, l’ANIAC-TOGO a pu identifier et établir les fiches toxicologiques des produits chimiques abandonnés. Il convient de rappeler que la première visite a eu lieu à Datcha, le 20 décembre 2017 et à Kara, du 07 au 09 janvier 2018. La seconde visite des deux sites s’est déroulée du 23 au 28 mai 2018.
Au terme de ces visites, il devient impérieux de rentrer dans la phase d’élimination des produits répertoriés sur les sites des deux usines. Suite aux investigations menées par l’ANIAC, force est de constater que les produits chimiques recensés sur les sites de Datcha et de Kara sont des produits chimiques dangereux, dont les dates de validité sont arrivées à terme depuis plusieurs années » indique le rapport de conclusion de la mission.
« A Datcha, outre les magasins, une visite des abords immédiats de l’usine a été effectuée et a permis de constater que ces sites ont été contaminés par les rejets des effluents. A la suite de ces visites, des témoignages au niveau des populations ont permis de relever que les eaux de la rivière Amoutchou ont été contaminées par les rejets des déchets chimiques. A ce niveau, des témoignages ont également confirmé que certaines espèces de poissons ont disparu de la rivière.
La couleur des eaux de la rivière variait en fonction des colorants rejetés par l’usine. Il a été également constaté un développement anormal des plantations et des végétaux en bordure du canal de rejet des effluents. D’autres témoignages ont fait cas des séquelles contractées allant jusqu’à la cécité des ouvriers. Il a été par ailleurs observé que certains magasins de l’usine à proximité des lieux dc stockage des produits chimiques sont utilisés par l’ANSAT et des privés pour l’entreposage des céréales. Cette .situation présente un risque élevé de contamination des produits stockés par ces services », poursuit le rapport.
Selon le même rapport, il a été observé la présence des animaux, notamment les poules, les chèvres et les bœufs, en divagation sur les lieux contaminés et qui s’abreuvent dans les eaux des caniveaux des effluents. Aussi, les villas amiantées sont utilisées par les sapeurs-pompiers comme logement.
En outre, il en ressort quelques spécificités au niveau de Kara. « La particularité des produits découverts à l’usine de Kara réside au niveau des villas qui servaient de logement pour le personnel de l’usine, où les files d’amiante utilisé essaiment le sol avec un risque élevé de contamination du sol et des populations riveraines. L’inventaire a permis de répertorier environ 260 tonnes de produits au total sur les deux sites. Les différents produits identifiés, selon leur nature, sont corrosifs, nocifs voire mortels ou explosifs. De ce fait, ils constituent un danger pour la santé et l’environnement ».
Ce rapport indique in fine qu’il « est impérieux que des actions urgentes soient menées ». Les recommandations formulées auxquelles nous avons eu accès sont, entre autres, la sécurisation des sites; le déplacement des stocks de céréales vers des entrepôts appropriés ; l’élimination systématique de tous les produits chimiques; l’investigation approfondie des zones contaminées; la décontamination des sols ayant été en contact avec les produits chimiques; la réhabilitation de ces zones contaminées, etc.
Pour ce qui est dans produits chimiques identifiés sur le site, c’est un autre document qui nous donne les détails. « Depuis la fermeture de l’usine TOGOTEX de DADJA en 2001, des intrants et résidus chimiques entrant dans la fabrication de pagnes et autres produits de cette société sont restés entreposés dans les entrepôts et autres unités de ce joyau industriel. Ces produits étant devenus périmés, leur capacité de nuisance pour l’environnement, les végétaux, les animaux et les humains est plus grave sous plusieurs aspects et surtout du point de vue de la distribution de la pollution chimique du sol et des migrations maximales dues aux intempéries et de la non étanchéité de certaines parties du site. Une première visite a été effectuée et des mesures ont été proposées, et c’est fort de cela que cette visite est entreprise pour constater les travaux réalisés. Les quantités des produits qui ont été enregistrés au cours de la première visite au mois de mai 2018 sont à leur place et quantité pour la plupart. Tous ces produits sont en dégradation très avancée par rapport à l’état d’il y a 1 an. C’est le cas surtout du : bicarbonate de sodium, de l’urée, du tripolyphosphonate de sodium, du nitrite de sodium, du nitrate de sodium technique, du carbonate de sodium, des fongicides et des colorants, etc. », lit-on avec amertume.
Des milliers de vie sacrifiée…
La destruction de ces produits chimiques dévastateurs a été actée l’année dernière. Selon des indiscrétions obtenues au niveau de la Présidence de la République, puisque Faure Gnassingbé himself s’est impliqué dans le dossier, un budget a été élaboré par l’ANIAC. On évaluait les travaux à près de 170 millions de francs CFA. « Une modique somme comparativement aux risques auxquels sont eposés les pauvres populations », lâche une source, indignée par les dernières évolutions de la situation.
En effet, depuis quelques semaines, en dépit de tout protocole, des travaux ont été entrepris sur le site de Datcha comme quoi, il y a un nouvel repreneur. Ainsi, des bâtiments ont été décoiffés, libérant ainsi les produits chimiques de manière conséquente dans la nature. Selon certaines sources, il est question de la revente de la ferraille abandonnée sur le site depuis les années 2000. Les travaux ont duré plusieurs jours et les populations ont fini par découvrir le désastre. Les travaux ont dû être stoppés avec les services compétents au regard de la gravité de la situation.
On s’est alors posé la question de savoir pourquoi une telle précipitation alors qu’il y a un plan bien établi pour détruire les produits chimiques ? Au niveau de l’ANIAC, on n’a pas eu de réponses. « Le Président est hors du pays, ce n’est qu’à son retour que s’il est disposé à vous recevoir, vous pourrez avoir des explications », nous –t-on dit. Seulement, des informations en notre possession font état de ce que l’autorité s’active d’ailleurs pour mettre en pratique son plan de destruction. Des missions ont d’ailleurs été effectuées dans d’autres pays pour avoir l’expertise manquante au Togo.
Nos sources nous renseignent que c’est véritablement au niveau du ministère du Commerce, de l’Industrie, du Développement du secteur privé et de la Promotion de la consommation locale de KodjoAdedze que tout s’est joué. Dans nos investigations, le nom du Directeur de l’Industrie est revenu à plusieurs reprises comme faisant partie de la nébuleuse qui, pour des intérêts fantaisistes, met en péril la vie de toute une communauté. De toute façon, il y a une mauvaise foi manifeste à leur niveau. Les échanges de courriers que nous avons pu consulter nous démontrent à suffisance.
Le site interdit d’accès
Un tour sur le site de Datcha nous a permis de corroborer nos recoupements sur ce scandale « à ciel ouvert ». Juste à l’entrée de la ville, pour ceux qui y prêtent attention, c’est une odeur pestilentielle qui vous accueille. L’entrée de l’usine reste fermée et gardée par quelques vieux retraités qui jouent le rôle de vigiles. Au fond de l’usine, on peut apercevoir des entrepôts décoiffés totalement. A notre arrivée, en fin de semaine dernière, nous aperçûmes quelques jeunes. Ce sont eux qui déchargent les camions de céréales, du soja en l’occurrence. Mais des céréales de l’ANSAT y sont toujours entreposées malgré tous les risques de contamination possible. Quelle tragédie !n nous sommes-nous exclamés. Malgré les risques, nous étions décidés à faire le tour du site et constater par nous-mêmes le drame qui se jouait là. Mais les consignes étaient bien claires, personne n’entre pour visiter quoi que ce soit.
Comme l’exigent les règles élémentaires, nous avons pris attache avec des personnes qui avaient en charge la garde de l’édifice. Toutes les tentatives d’explication à eux fournies pour qu’ils nous laissent visiter le site ont été infructueuses. Nous avons d’ailleurs été « séduits » par la témérité et l’inflexibilité des « vieux » et stupéfaits de la présence du bâtiment abritant la Commune de l’Ogou 2 juste à côté du site où la présence des produits toxiques ne fait plus l’ombre de doute. La mairie même baigne dedans !
Malgré les interdictions itératives à nous opposées pour pouvoir avoir accès au site, nous avons eu le réflexe de soutirer quelques informations à quelques agents. Il nous a donc été confirmé que c’est le Directeur de l’Industrie qui a ordonné l’interdiction du site à toutes personnes étrangères. Selon un vieux, le ministre du Commerce DodjoAdédzé est venu leur redonner espoir, comme quoi, il y a de nouveaux repreneurs et les travaux vont reprendre bientôt. Mais entre-temps, nous signale-t-on, un professeur d’université qui s’occupe des produits chimiques était venu avec des gendarmes pour stopper les travaux en cours pour récupérer la ferraille et préparer le site à une reprise imminente. C’est après nos investigations que nous nous sommes aperçus qu’il s’agissait du Président de l’ANIAC. Seulement, toutes nos tentatives pour rentrer en contact avec ce dernier avant la sortie de ce dossier ont été vaines. D’ailleurs, il nous a été dit qu’il y a des forces de l’ordre qui sont postées par endroits sur le site. « Les gens racontent trop de mensonges autour du site, c’est pour cela que le Directeur de l’Industrie a formellement interdit l’entrée au site pour les gens », a fait savoir un agent.
Au sein de la population, c’est la psychose. Les gens ne savent pas à quel saint se vouer. Ils n’ont nulle part où aller pour se mettre à l’abri de ce désastre écologique et sanitaire qui se joue sous leurs yeux. Les maladies liées à la contamination des eaux et autres se multiplient au sein de la population sacrifiée sur l’autel de la cupidité et de la méchanceté. On apprend d’ailleurs que tout autour du site et à l’intérieur, les rats et autres mammifères ne subsistent guère aux effets des produits chimiques. « Actuellement, c’est la peur dans tous les ménages. L’air que nous respirons est assez pollué. Nous avons à plusieurs reprises alerté les autorités, mais nous avons l’impression que notre vie n’apas de valeur pour elles. Mais nous n’avons pas le choix », regrette un habitant de la localité.
Il y a urgence ! Non seulement pour que les responsabilités soient situées, mais aussi pour que des mesures soient prises pour préserver les vies humaines.
Liberté
Source : Togoweb.net