Depuis des mois les preuves s’accumulaient : images satellite, documents officiels mentionnant leur existence sur Internet, témoignages accablants de « prisonniers » ouïgours. La Chine ne pouvait plus le nier, il existe bel et bien au Xinjiang des camps destinés aux musulmans turcophones. Mais pour Pékin il s’agit de simples centres de formation.
Selon un groupe d’experts de l’ONU, près d’un million de Ouïgours et d’autres membres d’ethnies chinoises de langue turque sont ou auraient été détenus dans ces établissements. Le Parti communiste chinois répond qu’il ne s’agit pas de prisons, on y apprendrait le chinois mais aussi la cuisine, la couture, l’assemblage de produits électroniques, la coiffure ou encore le e-commerce.
Pour jusitifier ces dires, la chaîne publique China Central Television a diffusé un reportage le 16 octobre montrant l’intérieur d’un camp de formation professionnelle dans la ville d’Hotan, dans le sud de la province. On y voit des dizaines d’élèves vêtus d’uniformes scolaires assis à leur bureau pour apprendre le chinois et le droit. Sur d’autres images, certains apparaissaient dans un atelier et dans une usine devant des machines à coudre, travaillant à la confection de tapis ou préparant à manger et fabriquant du pain.
« Grâce à cette formation professionnelle, la plupart des élèves sont capables de réfléchir à leurs erreurs et de voir clairement l’essence et le côté néfaste du terrorisme et de l’extrémisme religieux », expliqué Shohrat Zakir, d’origine ouïgoure et numéro deux du Parti communiste chinois dans la province du Xinjiang. « Ils sont mieux à même de distinguer le bien du mal et de résister à l’influence de pensées extrémistes ». La région est en effet touchée par des attentats visant les autorités chinoises, depuis le début des années 2000, ils se sont multipliés.
Mais ces explications ne convainquent pas les ONG de défense des droits de l’homme. « Aucune opération de communication ne peut cacher le fait que les autorités chinoises mènent une campagne de répression systématique » à l’encontre des minorités musulmanes, a ainsi déclaré l’expert d’Amnesty International sur la Chine Patrick Poon. Les affirmations de M. Zakir « sont une insulte à la fois pour ceux qui souffrent dans les camps et les familles des disparus. »
Pour mieux comprendre ces deux sons de cloche, il faut revenir sur la situation du Xinjiang. Cette province a été conquise « par la dynastie mandchoue des Qing au milieu du XVIIIe siècle », explique Rémi Castets dans les Grands Dossiers de Diplomatie. Xinjiang signifie en chinois « nouvelle frontière ». Depuis les relations sont restées tendues entre le peuple local, composé majoritairement de Ouïgours, un peuple musulman turcophone, et l’autorité chinoise.
Certaines zones de la région ont réussi à connaître des périodes d’indépendance, mais depuis 1949, le Xinjiang a été incorporé à la République Populaire de Chine. Si Pékin souhaite contrôler la région, c’est qu’elle est particulièrement stratégique : à la frontière avec l’Occident, elle détient de nombreuses ressources naturelles : pétrole, charbon et gaz naturel.
Pékin tente donc depuis plus d’un demi-siècle de siniser le Xinjiang. « Certes, l’État chinois garantit une croissance forte grâce à des investissements massifs et en assurant plus de la moitié du budget régional », reconnait le chercheur Rémi Castets. « Cependant, le ‘vivre-ensemble’ proposé par Pékin repose sur une homogénéisation démographique et culturelle sinisatrice et un contrôle étroit de la région autonome. La persistance du soutien à une immigration massive est elle aussi perçue par les Ouïgours comme un problème. »
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : on compte aujourd’hui 22 millions d’habitants dans la région, 40% d’entre eux sont des Hans, l’ethnie chinoise alors qu’ils n’étaient que 6% en 1949. La part des Ouïgours a quant à elle chuté de 75% en 49 à 45% de nos jours. Et les inégalités entre les ethnies sont profondes : la croissance économique bénéficiant davantage aux Hans, mieux formés tandis que les Ouïgours sont largement discriminés sur le marché du travail.
Source : www.cameroonweb.com