Burkina Faso :  « Il faut s’attendre à une chute de la production du coton à court et à moyen terme »

0
1040

Après huit ans de partenariat, le divorce entre Monsanto et le Burkina est consommé. En octobre 2016, le pays n’a pas renouvelé son contrat avec la firme américaine (rachetée un mois auparavant par le groupe allemand Bayer) et a abandonné le coton transgénique. Quel avenir pour la filière locale du coton ? Gountiéni Damien Lankoande, du groupe de recherche et d’analyse appliquées pour le développement nous en parle.

La campagne qui s’achève est plutôt bonne, avec une récolte d’environ 600 000 tonnes, équivalente aux précédentes. Mais selon Gountiéni Damien Lankoande, secrétaire exécutif du Groupe de recherche et d’analyse appliquées pour le développement (Graad, organisation indépendante dont le siège se trouve à Ouagadougou) et enseignant-chercheur à l’université de Koudougou, la filière risque de traverser quelques années difficiles.

Jeune Afrique : Pourquoi le pays a-t-il mis fin à son partenariat avec Monsanto ?

Gountiéni Damien Lankoande : Le coton génétiquement modifié Bt fourni par Monsanto [depuis 2008] était perçu comme la solution idéale pour lutter contre le ver et la mouche blanche qui détruisaient les plantes. Le coton conventionnel requiert six traitements par campagne quand le Bt n’en demandait que deux, ce qui permettait de réduire les quantités de pesticide dispersées dans la nature. On estime que jusqu’à 140 000 petits producteurs l’avaient adopté.

Dès 2010, l’espoir suscité par le coton Bt s’est estompé, après que l’on eut constaté un raccourcissement de la fibre d’environ 0,8 mm. Résultat : le taux de qualité est passé de 42 % à 30 %. Au lieu de regarder le problème en face, certains ont attribué cela aux aléas climatiques ou à une mauvaise application des procédés prescrits. En outre, avec le temps, les insectes sont devenus plus résistants, poussant les cultivateurs à repasser à trois, voire quatre traitements, et les charges d’exploitation ont recommencé à augmenter.

Beaucoup perdaient plus que ce qu’ils gagnaient, les semences de coton Bt coûtant 27 000 F CFA/ha (41 euros) alors que celles du coton conventionnel sont vendues 1 050 F CFA/ha.L’arrêt de la production du coton Bt a été décrété l’an dernier, mais celui-ci n’est pas encore totalement abandonné. Quelques producteurs ont voulu continuer. Quant aux compagnies, elles visent une production « zéro Bt » en 2018.

Comment s’annonce la prochaine récolte ?

C’est encore trop tôt pour le dire. La longueur de la fibre est variable et liée à plusieurs facteurs. Pour le moment, les insectes ravageurs ne posent pas d’inquiétudes particulières. En revanche, je pense qu’on va assister à une baisse de la production à court et à moyen terme. D’abord à cause du découragement des producteurs : beaucoup sont passés à des filières jugées plus sûres, comme le maïs.

Certaines sociétés peuvent tenter de remotiver les cotonculteurs en proposant des prix plus rémunérateurs, mais beaucoup de stocks restent invendus à cause de leur mauvaise qualité. Ensuite, la diminution du nombre de traitements entraînée par la culture du coton Bt a contribué au transfert de 30 % à 40 % de la main-d’œuvre vers d’autres secteurs, notamment les mines. Ces travailleurs ne reviendront pas du jour au lendemain. Cela risque de peser sur la production.

Pensez-vous qu’il y aura d’autres conséquences, à plus long terme ?

Les insectes sont devenus plus résistants et seront encore plus virulents avec le coton conventionnel. Le coton Bt a aussi pu influer sur la pollinisation et sur la biodiversité. Même si pour l’instant aucun test scientifique ne prouve de lien entre ces phénomènes, les colonies d’abeilles dans l’Est ont fortement diminué et certains éleveurs affirment avoir perdu un nombre inhabituel de têtes de bétail depuis l’introduction du Bt dans leur localité. En outre, la composition minérale des sols a pu changer. L’Institut de l’environnement et de recherches agricoles [Inera] travaille déjà sur ces questions d’impact et nous aurons bientôt de premiers résultats.


Pertes et profits

L’Association interprofessionnelle du coton au Burkina (AICB), qui regroupe les trois principales sociétés cotonnières et le syndicat de producteurs, réclamait à Monsanto 48 milliards de F CFA (plus de 73 millions d’euros) pour compenser la baisse de qualité du coton burkinabè et, par conséquent, de son prix. Mi-mars, l’AICB et Monsanto sont parvenus à un accord : les producteurs burkinabè conserveront 75 % des redevances dues au semencier pour les campagnes de 2014-2015 et 2015-2016 (11,3 milliards de F CFA), les 25 % restants (3,7 milliards de F CFA) revenant à Monsanto.

Jeune Afrique