« Grand manitou de l’économie nationale », l’homme d’affaires devenu président a fait une « OPA » sur le Parlement en excluant l’opposition des législatives, dénonce notre chroniqueur.
Chronique. Pour s’inscrire dans la durée, une démocratie a besoin d’institutions solides et consensuelles. Sa préservation tient également au degré de discernement de ceux qui reçoivent mandat du peuple pour en être les animateurs. Les difficultés actuelles du Bénin découlent tout autant de la tenue d’élections législatives non inclusives, le 28 avril, que du tempérament, du style et des idées ultralibérales de l’homme qui préside à ses destinées depuis trois ans.
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Patrice Talon, 61 ans, a une conception marmoréenne des idéaux démocratiques, des droits humains, du droit de grève et de la parité homme-femme – il n’y a que quatre femmes sur 22 ministres et, parmi les députés élus le 28 avril, la gent féminine est réduite à la portion congrue. L’homme d’affaires devenu président ambitionne plutôt de transformer le Bénin en une immense SARL dont il serait l’actionnaire principal, pour ne pas dire unique. Pour cela, il lui fallait pousser l’ancienne classe politique à la retraite, récupérer la totalité des 83 sièges de l’Assemblée nationale, bref, avoir les coudées franches pour entamer ses réformes conservatrices.
Ses proches vous le diront mezza-voce : le président écoute peu. Il a par ailleurs une forte propension à avoir le dernier mot. L’ONU, l’Union africaine, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et le clergé béninois l’ont appelé, sans succès, à réintroduire l’opposition dans la compétition électorale. L’écrasante majorité des chefs d’institutions béninoises ont désapprouvé sa décision d’organiser des législatives non inclusives. Ils lui ont clairement fait part de leur extrême réserve, sinon de leur franche opposition, mi-avril, dans le huis clos d’une réunion de crise qui s’est tenue au palais présidentiel. Ils ont, disent-ils aujourd’hui, « rencontré un mur ».
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Un parti unique bicéphale
En organisant des élections législatives au seul profit d’un parti unique bicéphale à sa dévotion, en excluant du Parlement pour les quatre prochaines années toute voix dissidente, en repoussant les appels à la modération de la communauté internationale, Patrice Talon aura porté un coup rude au contrat social scellé par ses concitoyens lors de la conférence nationale de février 1990, à Cotonou. La sanction, immédiate, se passe de commentaires : seul un électeur sur quatre s’est rendu aux urnes. Ils étaient pratiquement trois sur quatre lors des précédentes législatives, en 2015.Lire aussi
Le « modèle » béninois qui a permis à Patrice Talon d’accéder à la tête de l’Etat en 2016 portait en lui la marque du consensus, du dialogue et des virages négociés en douceur, avec une ligne rouge que nul n’avait jusque-là osé franchir : le recours à la violence. A l’aune des émeutes urbaines de début mai, le compromis historique de 1990 semble consommé. On déplore plusieurs victimes civiles des suites de tirs à balles réelles – une information non démentie par les autorités –, des blessés, des arrestations, des déprédations…
Au-delà des élections législatives, la crise actuelle procède de l’expérience politique sibylline que connaît le Bénin depuis trois ans. Son premier magistrat est aussi la première fortune du pays et la quinzième d’Afrique francophone, à en croire un classement établi en novembre 2015 par le magazine Forbes Afrique. A partir du palais présidentiel de la Marina, le chef de l’Etat continue d’avoir un œil sur le développement de ses propres affaires, concédées subrepticement à des proches pour ne pas donner prise à une accusation de conflit d’intérêts. Profitant du jeu normal des nominations de nouveaux juges à la Cour constitutionnelle, il a fait main basse sur une institution qui fait office, entre autres, de juge des libertés et des élections. La cour est désormais présidée par son ex-ministre et ancien avocat personnel.
La peur est de retour
Il ne manquait plus qu’une OPA sur le Parlement monocaméral pour compléter le tableau de chasse. C’est chose faite depuis le 28 avril. Selon la légende, deux formations politiques se partageraient dorénavant les 83 sièges du Parlement. A la vérité, il ne s’agit nullement d’un bipartisme à la britannique, mais de l’instauration d’un parti unique bicéphale que les Béninois, qui n’ont pas perdu leur sens de l’humour, dépeignent comme un « parti siamois ».
Tout en étant depuis plusieurs décennies le grand manitou de l’économie nationale, Patrice Talon contrôle désormais la totalité des pouvoirs et contre-pouvoirs inscrits dans la Constitution : l’exécutif, le législatif et l’autorité judiciaire, sans oublier l’essentiel des médias locaux, étonnamment éthérisés depuis trois ans. Jamais, dans l’histoire récente du Bénin, on n’avait vu une telle concentration de pouvoirs entre les mains d’un seul homme !
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Du coup, le Bénin renoue avec les pages sombres des rapports d’Amnesty International. Le pionnier des conférences nationales africaines vient de rejoindre la liste peu flatteuse des pays où l’on peut délibérément tirer à balles réelles, en pleine ville, sur des manifestants. La peur est de retour sur les visages, comme au temps de la dictature marxiste-léniniste des années 1970 et 1980. Conséquence : le pays est en passe de redevenir un pourvoyeur de demandeurs d’asile. Ils sont de plus en plus nombreux, en effet, les Béninois, politiques et citoyens ordinaires, se bousculant depuis quelques mois aux portillons du Togo, du Nigeria, de la Côte d’Ivoire, du Ghana et, pour les plus fortunés, de la France.
Francis Kpatindé Avec LeMonde
Source : Togoweb.net