Des associations béninoises et françaises ont relancé le débat sur la restitution d’œuvres d’art amassées pendant la colonisation du Royaume de Dahomey, en publiant une lettre ouverte au président de la république française, pour appuyer le Bénin dans ce dossier diplomatique épineux.
Ces «trésors coloniaux», «emportés par les armées» lors de la conquête du royaume de Dahomey (des «trônes royaux, des récades (sceptres royaux), les portes sacrées du Palais d’Abomey, des statues anthropomorphes…», listés dans la lettre appartiennent désormais au patrimoine français, et pour certains, sont exposés dans des musées français dont celui du quai Branly.
Mais «ils ont, pour le peuple béninois, une valeur patrimoniale et spirituelle exceptionnelle», affirment dans cette lettre le Collectif représentatif des associations noires (Cran), mais aussi la Ligue des droits de l’homme (LDH), SOS Racisme, des députés français et béninois ainsi que des souverains locaux.
Entre 4.500 et 6.000 objets seraient concernés en France
L’ensemble des œuvres n’a jamais été exactement recensé, mais l’ambassadeur de la délégation du Bénin pour l’UNESCO, Irénée Zevounou, estime que «4.500 à 6.000 objets sont en France, y compris dans les collections privées».
L’accaparement des trésors du Royaume du Dahomey s’est fait lors des batailles coloniales entre 1892 et 1894, mais aussi par les missionnaires qui ont «dépossédé les populations de ce qu’ils considéraient comme des fétiches», explique M. Zevounou, soulignant que «les négociations sont à double sens avec l’État français et avec l’Église en France».
Pour le président Patrice Talon, qui a notamment fait campagne contre l’influence de la France dans son ancienne colonie, le rapatriement de ces œuvres permettra de «mieux faire connaître à nos populations la valeur de nos biens culturels et historiques», ainsi que «faire du tourisme, un pilier majeur de l’économie béninoise».
Le Bénin n’a pas encore établi la liste des objets qu’il souhaite récupérer
«Nous n’avons pas de pétrole, nous n’avons pas d’or, mais nous avons ces trésors qui ne sont pas capitalisés ici. Par rapport à la mémoire du continent, à la mémoire du pays, c’est capital», confie à l’AFP Orden Alladatin, député béninois, signataire de la lettre.
Après une annonce fracassante en juillet 2016, le Bénin a fait une demande officielle en septembre au Quai d’Orsay. Mi-mars, les ministres des Affaires étrangères et de la Culture se sont rendus à Paris et une prochaine délégation devrait leur emboîter le pas.
Dans sa lettre ouverte, le CRAN demande au président Hollande de profiter de ses dernières semaines à la tête du pays, pour accomplir «un geste pour l’Histoire, un geste pour l’avenir, un geste pour l’amitié entre les peuples». Sauf que le Bénin n’a pas encore établi la liste des objets qu’il souhaite récupérer. Et surtout, le point d’achoppement majeur reste la pure légalité de l’acte.
Lors du conseil des ministres du 8 mars dernier, le gouvernement béninois a affirmé pouvoir s’appuyer sur «la vision de l’UNESCO pour le transfert des biens culturels à leurs pays d’origine ou pour leur restitution en cas d’appropriation illégale.» Or, la convention de l’UNESCO de 1970, dont la France et le Bénin sont tous deux signataires, n’est pas rétroactive: elle ne s’applique que pour les transferts d’objets après 1970.
Inaliénabilité des collections publiques
C’est ce que fait valoir un représentant du Quai d’Orsay, répondant par «les principes juridiques d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité (…) des collections publiques», dans un mail adressé à l’AFP.
«Dès lors que les œuvres sont dans les collections muséales depuis plus d’un siècle parfois, elles sont inaliénables», explique maître Yves-Bernard Debie, avocat spécialisé en droit du commerce de l’Art.
«L’autre problème juridique qui est soulevé ici, c’est l’origine même des objets. Le Royaume de Dahomey s’étendait sur ce qui est à la fois le Bénin et le Nigeria aujourd’hui. Est-ce que le Bénin est fondé à faire cette demande?», interroge l’avocat. «À titre personnel, je comprends (…). C’est une question douloureuse et sensible en Afrique. Mais légalement, il n’y a rien», tranche Maître Debie.
Le seul recours pour le Bénin est donc la voie diplomatique: la même voie que tente de faire valoir son voisin nigérian pour la restitution de bronzes dérobés par les colons britanniques à la même période. «Les négociations sont en cours et n’ont jamais été rompues», explique-t-on à la délégation béninoise de l’UNESCO. «Ce sera peut-être un peu long, car les modalités sont difficiles», conclut M. Zevounou. «Mais en diplomatie, on finit toujours par trouver un terrain d’entente.»
LE FIGARO
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