BAC II 2017 : Un réseau de tricherie démasqué au centre d’écrit de Kouvahey

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BAC II 2017 : Un réseau de tricherie démasqué au centre d’écrit de Kouvahey

Des élèves en salle d’examen: image illustrative

150 000 FCFA pour accéder à des épreuves corrigées sur whatsapp L’éducation togolaise est en danger, c’est une évidence que personne ne peut plus nier aujourd’hui. Cela se traduit d’une part par le peu d’intérêt que les dirigeants accordent à ce secteur capital dans la vie de la nation, et d’autre part, par la qualité de l’enseignement et le niveau très faible des apprenants. La situation est devenue un sujet de débats dans le pays. Mais comment faire pour sortir de ce piège ? On n’a pas encore trouvé une solution à la situation que d’autres phénomènes plus graves pointent leur nez dans ce secteur.

Des élèves ou plutôt des candidats qui trichent lors des épreuves écrites à l’examen, on en a connu. Mais des enseignants en bande organisée qui décident de mettre les corrigés de sujets proposés à l’examen à la disposition des candidats via whatsapp sur leur téléphone portable en plein examen, il faut dire que l’éducation est véritablement en danger. Il est donné de constater qu’aujourd’hui, certains enseignants forment plus les élèves à la tricherie. Ces derniers, à leur tour, travaillent en comptant sur ce vice pour réussir à l’examen. Le Baccalauréat 2e partie de l’année 2017 dont les épreuves écrites se sont déroulées du 10 au 14 juillet dernier, a dévoilé dans certains centres d’écrit dont le lycée Kouvahey, des réseaux d’enseignants qui ont pris de l’argent chez des candidats à qui ils ont promis les corrigés des épreuves.

Mardi 11 juillet au lycée Kouvahey, deuxième jour des épreuves écrites donc. Un candidat a été surpris en train de recopier le corrigé de l’épreuve de français qui se trouvait dans son téléphone portable. A en croire un enseignant qui surveillait dans cette salle, le candidat, pendant plus d’une heure après la distribution de l’épreuve, ne faisait que promener ses yeux dans la salle, comme s’il attendait quelque chose. Un comportement qui a éveillé la curiosité des autres surveillants qui, à un moment donné, l’ont revu, tête baissée, en train de recopier. Ce candidat qui composait dans la salle 1 avec pour numéro de table 21528, a été tout simplement exclu par le président du jury 212. Ce dernier croyait le problème résolu. Mais c’est sans compter avec l’ampleur du réseau qui s’étend dans tout le centre.

Un autre candidat, dans le même centre, a été arrêté avec la même procédure de tricherie (téléphone portable). Le vendredi 14 juillet, dernier jour de l’examen, une délégation de l’Office du BAC a fait une descente inopinée dans ce centre d’écrit. Sans surprise, la délégation a mis la main sur un candidat en Série D qui recopiait à partir de son portable, le corrigé de l’épreuve de Science de la Vie et de la Terre (SVT). Il a voulu même tenir tête aux surveillants lorsqu’on lui demandait d’arrêter son « crime ». Finalement, le portable lui a été retiré, mais il a continué la composition. Il n’a pas été exclu de la salle, au grand étonnement de certains surveillants qui trouvaient son comportement anormal. Ce qui est surprenant dans cette histoire de tricherie organisée dans ce centre d’écrit, c’est l’attitude de certains enseignants qui menacent leurs collègues qui dénonçaient les candidats fautifs.

Un réseau d’enseignants organisés sur whatsapp qui forment des élèves à la tricherie

C’est tout de même incroyable, ce qu’on a découvert au cours de nos investigations. Quelques minutes avant l’épreuve de français mardi, un enseignant souffle dans l’oreille de son collègue venu pour la surveillance : « J’ai mon cousin dans la salle où tu vas surveiller. S’il te plait, il faut l’aider ». Constatant l’indifférence de celui à qui il demandait cet « incroyable service » (puisque sûrement n’appartenant pas au réseau), il a pris la peine de formuler la même demande auprès d’un autre enseignant qui se trouve être le chef de salle. Là, la mayonnaise a bien pris apparemment. En réalité, les candidats qui ont été pris la main dans le sac (et d’autres peut-être dont les manèges n’ont pas été découverts) sont des élèves appartenant au réseau de ces enseignants véreux. C’est pourquoi ces derniers prenaient le vilain plaisir de menacer leurs collègues honnêtes qui n’ont pas voulu participer à la décadence du niveau des enfants.

Comment se passent alors les choses dans ce réseau?

Le moyen utilisé par ce réseau reste un forum de discussion sur whatsapp. Ces enseignants à la solde du gain facile ont donc créé un groupe whatsapp dans lequel se retrouvent des élèves adeptes de la tricherie pour réussir. La stratégie consiste à prendre de l’argent chez ces candidats (150 000 à 300 000 FCFA, selon nos informations). Ensuite, ces élèves sont introduits dans ce groupe dans lequel circuleront les corrigés des épreuves le jour de l’examen. Ces enseignants veillent, par tous les moyens, à ce que ces « candidats privilégiés » entrent dans les salles d’examen avec leur téléphone portable, à l’instar du candidat surpris mardi dernier recopiant sur son android, le corrigé de l’introduction, la conclusion et le plan détaillé du développement de l’épreuve du français, Série A. Ce corrigé a été envoyé dans le groupe par un enseignant qui n’est pas surveillant dans le centre, mais qui est resté quelque part pour traiter les sujets et les envoyer dans le groupe pour servir ces candidats qui ont payé. Cela s’est passé dans les autres matières aussi. En témoigne le second candidat arrêté par la délégation de l’Office du BAC vendredi, dernier jour des épreuves. Il est fort probable que des candidats dans d’autres salles d’examen ou centres d’écrits aient également bénéficié de cette tricherie organisée, mais n’aient pas été découverts. Et dire qu’ils seront aussi bientôt proclamés admis à cet examen, deviendront des étudiants avec leurs lacunes, et plus tard des cadres.

La complaisance de l’Office du BAC

On constate malheureusement aujourd’hui que l’organisation même de l’examen du BAC II crée des conditions propices qui amènent des candidats à la tricherie. L’on ne comprend pas que lors de cet examen qui ouvre la porte à l’université, des candidats d’un même établissement scolaire se retrouvent dans une même salle d’examen. Ce qui crée une solidarité entre eux et favorise cette situation de tricherie. « Même des candidats n’appartenant pas à ce groupe d’élèves venant d’un même établissement, finissent par intégrer cet ensemble qui se rejoint pour faire des devoirs communs. C’est triste et aberrant, ce que nous vivons au cours de ces examens », nous confie un enseignant.

A en croire ce dernier, il serait bon que l’Office du BAC pense à réorganiser cet examen. Il pourrait veiller à ce que les candidats d’un même établissement ne se retrouvent pas dans la même salle d’examen et mener des enquêtes pour découvrir et démanteler ce réseau d’enseignants véreux qui forment les élèves à la tricherie. Quand des élèves se retrouvent dans leur propre établissement scolaire qui est transformé en centre d’écrit, avec leurs enseignants qui les ont tenus au cours de l’année scolaire, il est évident que des scènes pareilles se passent. D’après nos investigations, c’est celui qui est le chef centre lors du BAC I au collège de Kouvahey qui se trouve être le cerveau de ce réseau. On peut d’ores et déjà imaginer ce qui s’est passé dans ces salles lors du Probatoire.

La responsabilité des fondateurs des écoles privées

Cette situation est consécutive aux traitements réservés aux enseignants, surtout dans les écoles privées au Togo. Loin de dédouaner ces enseignants qui se comportent comme des gangsters (parce que sacrifiant le niveau et l’avenir de ces enfants), il est important de relever également les agissements de ces fondateurs et responsables des écoles privées qui se muent en colons derrière leurs employés. Pour un enseignant qui a eu la maîtrise, mais qui, recruté dans ces écoles, est payé à 50 000 FCFA le mois, comment peut-il se retenir devant un élève qui lui propose 200 000 FCFA pour l’aider à tricher lors de son examen ? Autrement, les périodes des examens sont des moments propices pour ces enseignants de « faire des affaires » et arrondir les angles. Mais ils le font sans penser aux graves dangers que cela peut représenter aux candidats. Un enseignant mieux payé serait capable de dire non à la corruption, donner de bons exemples à ses élèves et leur inculquer la rigueur et l’amour du travail, seuls piliers qui conduisent à la réussite dont on serait fier. D’ailleurs, l’enseignant qui fait réussir son élève par ces genres de manèges, ne serait jamais heureux d’un travail accompli, même s’il a la poche remplie.

Quand la tête est pourrie, c’est tout le corps qui en ressent les effets. Ce n’est un secret pour personne que les dirigeants togolais n’ont pas une véritable politique pour l’éducation. Lorsqu’on refuse d’améliorer les conditions de vie et de travail des enseignants dans un pays où le taux de chômage a atteint le point culminant, on ne peut qu’assister à la déchéance dans l’enseignement, avec ce qu’on voit lors des examens. Toute chose qui amène à dire que l’avenir de ce pays est en danger.

Kokou Mitimi

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