On ne le dira jamais assez, la théâtralisation continue de plus belle au Togo et dans tous les domaines. Les dernières mises en scène qui alimentent les débats touchent la santé et les télécommunications principalement. Lundi 22 août 2022 à Lomé, le Président de la République, Monsieur Faure Gnassingbé affiche encore au grand public un autre trophée de guerre obtenu, sans doute après d’intenses conciliabules et guerres diplomatiques. Lomé abrite la 72ème session du Comité régional OMS Afrique. Tous les directeurs régionaux de l’organisation mondiale sont présents. Le Directeur Général de l’OMS Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus et sa Directrice Régionale de l’OMS pour l’Afrique, Dr Moeti Matshidiso, seront mises en exergue. La santé de l’Afrique a rendez-vous avec le Togo. Les décideurs des questions de santé et les experts en la matière tablent sur l’amélioration de la santé sur le continent pour 2022-2030. Il faut des stratégies pour un accès équitable des populations aux soins de santé. La rencontre parle d’une action contre les crises multidimensionnelles, dont la complexité et la persistance menacent la survie même de l’humanité. C’est alors au Président de la République de recevoir une distinction honorifique à la cérémonie d’ouverture de cette 72e session du comité régional de l’OMS pour l’Afrique. Félicitation monsieur le Président. Le Togo a, semble-t-il éliminé la dracunculose, la filariose lymphatique, la trypanosomiase humaine africaine et la trachome : voici quatre maladies tropicaux négligées.
La rencontre est de taille, l’enjeu en valait la chandelle, plus de 400 participants sont venus d’Afrique et d’ailleurs pour 4 jours. Le président a énuméré, entre autres, la création d’un ministère délégué chargé de l’accès universel aux soins, l’adoption de la loi instituant l’assurance maladie universelle, un programme d’accompagnement de la femme enceinte et du nouveau-né et l’assistance médicale dédiée aux élèves du primaire et du secondaire. Dans son discours, le chef de l’Etat touche un sujet sensible : « En Afrique, comme partout ailleurs, nous devons tenir compte des enjeux de l’heure, et surtout agir : agir pour garantir l’accès à des soins de qualité pour tous, partout et en tout temps ; agir pour offrir une protection sociale et une couverture sanitaire universelle à nos concitoyens ; agir pour éradiquer le phénomène des médicaments contrefaits et de mauvaise qualité ». «…agir pour éradiquer le phénomène des médicaments contrefaits et de mauvaise qualité », le mot est lâché, cet aspect du discours nous intéresse, il fera l’objet de nos colonnes, en effet. Le chef de l’Etat a rappelé l’Initiative de Lomé lancée le 18 janvier 2020 relative aux « médicaments de qualité inférieure et falsifiés ». Le Togo plaide depuis un temps pour que les autres pays rejoignent l’initiative qu’il porte avec le Congo, le Ghana, le Niger, l’Ouganda et le Sénégal. Au Togo, ce ne sont pas les initiatives qui manquent, sauf que le miracle est impossible. Les 17 et 18 janvier 2020, la capitale togolaise recevait plusieurs chefs et anciens chefs d’Etat africains ainsi que le Directeur Général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Il est question à l’époque de lutter contre le trafic des médicaments falsifiés et de qualité inférieure sur le continent africain. Au Togo, tous les discours sont mis en place pour que les faux remèdes aient la vie difficile. Mais il faut de vrai dirigeants pour proposer de vrais remèdes, l’initiative quelque louable qu’il soit vient du Togo, elle a de fortes chance d’être une initiative mort-née.
Des rapports d’institutions et informations recoupées avancent que le Togo est un casse-tête dans la lutte contre les faux médicaments. Entre plusieurs rapports, celui de l’IFRI nous intéresse. L’Ifri est, en France, le principal centre indépendant de recherche, d’information et de débat sur les grandes questions internationales. Il est créé en 1979 par Thierry de Montbrial. C’est une association reconnue d’utilité publique par la loi de 1901. Elle publie en 2014, un rapport sur « le trafic de faux médicaments en Afrique de l’Ouest : filières d’approvisionnement et réseaux de distribution Nigéria, Bénin, Togo, Ghana ». A la lumière des termes de ce méticuleux rapport, de nos recherches et investigations, il est scandaleux que le Togo de Faure Gnassingbé prenne le devant de quelque initiative que ce soit dans la lutte contre le trafic de faux médicaments.
En définition, « Les contrefaçons sont des médicaments délibérément et frauduleusement étiquetés pour tromper sur leur identité et/ou sur leur origine. L’utilisation de ces médicaments peut entraîner des échecs thérapeutiques, voire la mort ». La Convention Médicrim du Conseil de l’Europe qualifie de contrefaçon « la présentation trompeuse de l’identité et/ou de la source »,
Ceci est à distinguer des malfaçons qui sont des médicaments dont la mauvaise qualité est due à une erreur involontaire dans le processus de fabrication, emballage, stockage ou transport. Les contrefaçons constituent donc, en fait, une autre sous-catégorie de « médicaments sous-standard », des médicaments de qualité inférieure. Créés de toutes pièces, ces médicaments non enregistrés, leur fabrication ou distribution est, en théorie, illégale dans tous les pays du monde, mais dans la pratique ces produits ont le vent en poupe dans certains environnements dont le Togo occupe une bonne place. Les faux médicaments sont parfois conditionnés dans de véritables emballages subtilisés au réseau officiel ou dans des imitations parfois de grande précision. Le trafic de médicaments contrefaits a ses grandes sources en Asie, et particulièrement en Inde et en Chine. « Ces deux pays ont développé une industrie pharmaceutique importante au moment de la reconnaissance légale des médicaments génériques dans les années 1970. À titre d’exemple, l’Inde compte aujourd’hui 20.000 producteurs de médicaments, la plupart de petite taille et spécialisés dans les génériques et environ 800.000 distributeurs ».
Investir dans les faux médicaments peut être de 10 à 25 fois plus rentable que le trafic d’héroïne, de cocaïne ou des cigarettes. Les conclusions d’autres études estiment que le seul secteur dans lequel le continent africain et principalement la sous-région ouest-africaine, a pu le mieux s’insérer dans la mondialisation est cette section illégale de la mondialisation dont l’activité touche particulièrement la contrefaçon d’antirétroviraux, d’antipaludéens et d’antituberculeux. Le fléau, s’il ne semble pas menacer directement la sécurité et la stabilité politique des pays touchés comme le font d’autres trafics, il représente une lourde menace pour la santé des populations. En 2013, une initiative d’Interpol, invitait à la toute première conférence africaine sur la criminalité pharmaceutique à Addis-Abeba, en Éthiopie. Sa déclaration finale affirme la volonté des 20 pays représentés de renforcer la lutte à l’égard de la contrefaçon de produits médicaux. Une étude récente compile des résultats de 21 pays subsahariens et tire la conclusion que « plus d’un tiers des médicaments collectés et analysés ne satisfaisait pas aux tests chimiques de qualité ou de conformité de l’emballage ». On estime à 1 million le nombre de décès annuels dans le monde dus directement ou indirectement à l’absorption de médicaments contrefaits. Le laxisme, la tolérance des autorités accusées de corruption, une série de dysfonctionnements des États sont des terres fertiles à ce crime, qui contrairement à celui des stupéfiants, est toléré.
En effet, la faiblesse des peines encourues et un système judiciaire peu efficace sur ces questions, le manque de cadre législatif protégeant la propriété intellectuelle, ou encore le manque de personnel et d’infrastructures adéquates pour la détection du trafic sont des atouts au crime. La corruption est donc un allié de taille facilitant la pénétration des faux médicaments dans les marchés locaux. Si elle concerne pour beaucoup les fonctionnaires du bas de l’échelle, elle est également très présente dans les sphères plus hautes de pouvoir. Pour assoir les réseaux, toutes les méthodes sont bonnes dans la pratique. La multiplication des points de transit. Ce sont des pratiques déjà courantes sur les lignes maritimes régulières, elles sont accentuées par les trafiquants de faux médicaments. L’utilisation des passages par la zone franches, tout est mis en œuvre pour que la traçabilité des produits soit purement et simplement impossible. Il est difficile de parler véritablement de « routes » du trafic, tant ces trajectoires sont mouvantes, multiples et en constante évolution. Tout évolue en fonction de la porosité des routes, des frontières, des ports d’attache, de la réaction des cordons douaniers et des saisies qu’ils opèrent.
Du moment où c’est le besoin qui crée l’organe, chinois et Indiens ont multiplié les terminaux portuaires. 14 des 20 premiers terminaux portuaires au monde sont situés en Asie, dont 9 en Chine à la lumières des informations de spécialistes du domaine. Les ports chinois représentent à eux seuls près de 52 % de la capacité totale d’accueil de conteneurs au monde. Les médicaments sont reconditionnés, parfois plusieurs fois. Durant ces opérations, les acteurs intermédiaires crapuleux n’hésitent pas à effacer les numéros de lots, modifier les informations essentielles du packaging, et dissimuler la provenance des médicaments, parfois dans la simple intention commerciale de faire disparaître les noms de potentiels concurrents. C’est ce que le jargon des trafiquants désigne par procédé de « neutralisation ». À force de passer de mains en mains, les importateurs et transitaires eux-mêmes perdent la trace du producteur et beaucoup n’ont aucun contact direct avec celui-ci. L’UNICRI (United Nations Interregional Crime and Justice Research Institute) estime après étude qu’ « un médicament pénétrant le marché parallèle peut être soumis à 20 voire 30 transactions intermédiaires avant d’atteindre sa destination finale».
Nos informations issues des investigations révèlent que les opérations de transbordement en mer est un terreau fertile pour effacer la traçabilité de ce grand crime. Ici intervient très bien le Togo. Les opérations de transbordement, c’est-à-dire, le transfert des conteneurs souvent d’un grand porteur à un nouveau moyen de transport, souvent de petits navires, donnent couramment lieu à l’établissement de nouveaux documents. Ces nouveaux documents ne mentionnent en général que la provenance et la destination, ainsi que le nom du transitaire, faisant disparaître l’origine initiale du produit et les possibilités de tracer le producteur. Le port de Lomé au Togo est le seul port en eaux profondes de la sous-région. Il est donc une plaque tournante particulière de réception des conteneurs asiatiques transportés par cargos et de distribution par voie terrestre vers les autres pays, et notamment les pays enclavés : Mali, Burkina Faso et Niger. Plusieurs de nos antécédentes livraisons vous parlent, depuis des années, de ce grand marché noir dans les eaux profondes du Togo, à 15 kilomètre des côtes togolaises. Ce marché existe toujours et malgré les multiples rapports et investigations qui en ont dénoncé l’activité. C’est un marché qui échappe même au contrôle du port autonome de Lomé mais bien huilé et sous le total contrôle des trafiquants togolais, internationaux et de leurs complices. Ce marché n’est pas seulement un marché noir pour la vente des 1/3 des produits pétroliers subtilisés dans les pipelines pétroliers du géant nigérian. Il est aussi une plateforme pour les centaines de milliers de contenaires dont seuls les propriétaires ont information du contenu. Vente de produits pétroliers volés aux receleurs, transbordement de conteneurs de faux médicaments, tout y passe. Une de nos dernières parutions vous parlait de plusieurs dizaines de tonnes de cocaïne saisie au PAL, ceci justifie-t-il cela ? L’un des nombreux rapports à notre possession parle de l’Opération Biyela. Mené en début avril 2013 par l’OMD avec le soutien de l’Institut de Recherche Anti-Contrefaçon de Médicaments (IRACM), cette opération a permis la saisie de 550 millions de doses de médicaments contrefaits dans 23 pays africains, pour une valeur de 275 millions de dollars. L’opération au Togo fut particulièrement fructueuse. Cela va sans dire, comme le stipulent toutes les enquêtes-rapport sérieux, le Togo a prêté et continue de prêter une partie de son territoire à un crime qui alimente, en faux médicament et en produits pétroliers, les premiers sont volés les second sont contrefaits et donc sous standard. Et c’est le président d’un tel pays qui se fait le pionnier d’une initiative africaine contre les faux médicaments. Les procès des trafiquants de faux médicaments au Bénin voisin sont réguliers depuis que les pays se sont entendus pour mener cette lutte. Mais jamais, nous n’avions connaissance au Togo d’un procès du genre. Et pourtant, ce ne sont pas les scandales qui manquent sur les terrains de ce crime médical. Il y a quelques années, le Togo a participé à une conférence sur le phénomène. De retour au bercail, la délégation a rendu compte de comment l’unanimité était faite sur le fait que Lomé et son port sont les premières portes d’entrée des faux médicaments. Du haut de son fauteuil de chef d’Etat face au phénomène, monsieur Faure y a fait diligenter des investigations. A peine les premières proses connue que l’ordre est donné de tout arrêté. Pourquoi, monsieur le président ? Le crime, quand il est en terre togolaise change-t-il de statut juridique ? Que dit l’Etat de ces importateurs qui ont de grands magasins partout à Lomé et qui continuent d’importer les faux médicaments du Nigéria, de la Chine ? Quel principe autorise les autorités togolaises à afficher un semblant de traque contre les petits distributeurs, notamment les femmes revendeuses et au même moment les grands grossistes qui approvisionnent les femmes sont méticuleusement couvert avec des entrées dans de grands départements d’Etat ? En aval, la police fait semblant d’arrêter les petits vendeurs, en amont les grands importateurs continuent leurs activités. Au Bénin, le phénomène a infiltré les pharmacies légalement installées et il est connu comme tel puis combattu. Au Togo, c’est le silence de cimetière. Et pourtant certaines pharmacies fonctionnent comme des stations d’essence. C’est-à-dire, dès qu’elles s’ouvrent, elles s’approvisionnent quelques temps dans le circuit officiel et après, elles changent de lieu d’approvisionnement, que vendent-t-elles dans les pharmacies au Togo ? Personne n’ouvre ce débat.
Au moins au Bénin, le débat est posé depuis que des rapports d’enquête ont affirmé que « des pharmacies béninoises achètent des produits contrefaits auprès des grossistes des pays voisins». Entre autres, les voisins du Bénin sont le Togo et le Nigeria. Une guerre est ouverte contre ces réseaux, mais au Togo, personne n’en parle. Il est vrai que les fabricants brouillent les pistes afin de ne pas être tracées. Le phénomène a le vent en poupe surtout en Afrique et l’OMS, estime que 42% des faux médicaments saisis depuis 2013 l’ont été sur le continent africain, où la faiblesse des systèmes de santé et la pauvreté ont favorisé, plus qu’ailleurs. Les médicaments contrefaits, c’est l’émergence d’un marché parallèle très lucratif. Partout, la lutte est effective et l’on suit tous les jours les dirigeants menés un combat réel contre le fléau. Des plaques tournantes du trafic sont démantelées, ici et là comme le célèbre marché Adjégounlè à Cotonou, l’une des principales portes d’entrée des faux médicaments en Afrique. Une saisie record de 200 tonnes de faux médicaments a aussi été réalisée mi-novembre à Abidjan par la gendarmerie ivoirienne et quatre suspects, dont un ressortissant chinois, ont été arrêtés. Le Togo est devant cette initiative dont l’objectif est de criminaliser le trafic et de le combattre comme tel. Et c’est pour donner le ton que les textes de lois ont été endurcis chez Faure Gnassingbé. Avant la dernière sortie sanitaire du Togo avec l’OMS, lors d’un autre sommet de Lomé, sept chefs d’Etats africains (Togo, Congo-Brazzaville, Ouganda, Niger, Sénégal, Ghana, Gambie) ont signé l’Initiative de Lomé. C’est un accord international criminalisant le trafic de faux médicaments. L’objectif de cette initiative, placée sous l’égide de la Fondation Brazzaville, une ONG indépendante basée à Londres, est d’inciter d’autres Etats à apporter une « réponse collective à cette crise panafricaine ». Mais, l’obstacle majeur, c’est quand le Nigeria, vaste marché de 200 millions d’habitants et première destination des produits contrefaits en Afrique ne rejoint pas l’initiative.
La lutte contre ce fléau restera anecdotique quand des pays comme le Togo donnent leur mer et leur port à l’activité d’échange de milliers de conteneurs qu’on n’ouvre pas pour telle ou telle autre raison de lois maritime et du commerce international. L’organisation mondiale des douanes affirme que les un tiers des 126 millions de médicaments falsifiés saisis dans 16 ports africains lors d’une opération de l’Organisation mondiale des douanes (OMD), en septembre 2016, était destiné au Nigeria qui alimente aussi le Togo. Ceci se fait à travers des grossistes, commerçant souvent étrangers, dont les magasins ne sont pas touchés par la police. On se demande même si certains de ces commerçants ne sont pas des sources de revenues à des activités politiques de notre immortelle dictature. 42% des médicaments en circulation en Afrique subsaharienne sont falsifiés, ce qui en fait la région du monde la plus touchée par ce trafic contrôlé par le crime organisé.
Moussa
Le Rendez-vous 361 du 10 september 2022
Source : 27Avril.com