Ce qui s’est passé samedi dernier à Sokodé n’est du tout un fait divers. Lorsque, malgré toute la sensibilité qui entoure la question, la population Tem se lève et crie ouvertement qu’elle ne veut de chef Kabyè sur son territoire, il faut le dire, la tension intercommunautaire dans cette affaire a pris une allure qui devrait inquiéter et interpeller.
Les populations Tem accusent, le Colonel Matéindou Monpion, préfet de la Tchaoudjo de vouloir leur imposer un chef Canton de son ethnie Kabyè, dans la localité de Lama-Tessi. Lama-Tessi est une localité située entre Sotouboa et Sokodé, où les Tem disent être les autochtones. La localité renferme aussi des communautés allogènes, dont les Kabyè. C’est justement un membre de cette communauté que les tem soupçonnent le préfet de Tchaoudjo de vouloir imposer à tout le canton.
Selon les informations, les chefs coutumiers de la région Centrale ont déjà désigné celui qui devrait succéder à feu Lamekodjo Gomina, précédent chef canton de la localité. Un courrier aurait même été transmis par la préfecture au ministre en charge de l’Administration territoriale. C’est aux lendemains de cette correspondance que « le préfet de Tchaoudjo, le Colonel Matéindou Monpion entre en scène pour jouer en eau trouble. D’abord en intimant l’ordre au Conseil des Chefs traditionnel de Tchaoudjo d’adopter le mode de désignation du chef canton de Lama-Tessi. Le Conseil refuse d’obtempérer, mais c’est sans compter avec la détermination du préfet », a expliqué à nos confrère de Liberté un notable d’un chef canton de la localité.
On apprend que le mercredi mars dernier, le préfet a convoqué les chefs cantons et leur a demandé, suivant une certaine instruction du ministre en charge de l’Administration territoriale, Payadowa Boukpessi, de se dessaisir dudit dossier. Et pour parfaire le coup de force, aucun chef canton n’a eu le droit de placer le moindre commentaire. Mais tous ont fulminé au sortir du bureau du préfet-colonel. « L’heure est grave », murmure-t-on dans la région. Et c’est pendant que les uns et les autres continuent de digérer cette humiliation à laquelle les responsables traditionnels ont été soumis qu’ils apprennent que le ministre Payadowa s’apprêterait à venir installer « son chef kabyè » ce lundi. La réaction a donc été la manifestation de samedi pour désapprouver la démarche.
Au-delà de l’issue de ce bras de fer, il faut déjà noter que c’est un foyer de tension de plus qui vient d’être créé en deux communautés co-habitantes et en même temps voisines. Entre les Tem et les allogènes Kabyè, les tensions ne datent pas de la succession au trone du chef canton de Lama-Tessi. Mais plus au Sud à Sotouboua, et au Nord vers Kara, la cohabitation n’est pas toujours dépourvue de méfiance. Les Tem estimant que leurs voisins ou hôtes s’appuient sur leur pouvoir politique pour grignoter sur leur territoire et en plus pour s’imposer à eux. Cette dernière réaction peut bien faire déborder le vase.
Il faut dire que la question de cohabitation entre les communautés autochtones et allogènes au Togo ne devrait pas être délicate si certains allogènes n’usent pas de leur influence politique pour tenter de s’imposer à ceux qui ont eu l’amabilité de les accueillir chez eux. Particulièrement, et ce n’est trahir un secret que de le dire, les allogènes qui ont légitimement migré vers plusieurs endroits du territoire togolais ont bien souvent des relations délicates avec les autres communautés. Dans la Centrale, sur plusieurs fronts de tensions communautaires, on trouve les mêmes personnes. Inutile de revenir sur le cas des Plateaux où on se rappelle des cas de violences des années 1990 dans le Grand Kloto. Même dans la Maritime, notamment dans le Zio, on apprend que la même communauté se dispute les terres avec les autochtones.
Il est une évidence que les peuples qui occupent le territoire togolais que nous avons en partage ne sont pas forcément xénophobe ou réfractaires à l’accueil d’autres communautés chez eux. Cependant les manipulations politiciennes sur fond d’injustices sociales exacerbent dangereusement les tensions entre les peuples. Nul ne doit pouvoir peut être chef dominer partout. C’est ainsi que nul ne doit pouvoir être seul sur « son territoire ». Mais ce à quoi on assiste depuis des années dans notre pays ressemble à conférer à un droit de domination sur tout et partout à quelques-uns ; ce qui provoque naturellement des irritations auprès des autres communautés.
Alors qu’on investit des milliards dans un processus dit de réconciliation, le bon sens voudrait que l’on s’abstienne de créer de nouvelles situations qui mettent à mal le vivre ensemble au Togo. Le Togo est un patrimoine commun et nul ne devrait se sentir plus propriétaire que l’autre, que cette personne vienne du Sud, du Nord, de l’Est ou de l’Ouest. La tendance actuelle est pourtant à l’inverse de ce qui devrait être le cas.
Ailleurs, la situation n’a pas atteint le niveau de dégradation actuel avant que cela ne provoque de graves crises. Il est encore temps que l’on prévienne des escalades regrettables que nous voyons pourtant tous venir. On a assez joué sur la corde tribale à des fins politiciennes au Togo, opposant telle communauté à telle autre. Et il est aussi temps que les communautés elles-mêmes se gardent de se laisser manipuler par un groupuscule de personnes avides de pouvoir et cherchant constamment à diviser le peuple pour asseoir leur règne.
Source : L’Alternative No.606 du 11 avril 2017
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