Assurances : la réforme qui fait trembler les assureurs

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La décision des autorités de régulation d’augmenter le capital minimum requis pour exercer en zone Cima pourrait changer le secteur en profondeur. Suscitera-t‑elle une révolution salutaire ou le chaos ?

«La décision a été prise sans aucune concertation avec les opérateurs. Le fait d’avoir légiféré en quelques mois entraîne le malaise que nous connaissons actuellement. » À la tribune de la 41e assemblée générale de la Fédération des sociétés d’assurances de droit national africaines (Fanaf), Mamadou Faye, administrateur-directeur général de la Sénégalaise de l’assurance-vie, n’a pas mâché ses mots.

Au cours de cette première édition depuis l’annonce en avril 2016 de l’augmentation du capital requis pour exercer en zone Cima (Conférence interafricaine des marchés d’assurances, regroupant 14 pays, du Sénégal au Cameroun), les 1 300 participants semblaient partager le même avis : la réforme était nécessaire pour nettoyer un secteur où trop de petits assureurs opèrent, mais son caractère indifférencié selon les pays ou le type d’activité est une erreur.

Sur 45 assureurs-vie, 38 n’ont ni les revenus ni la rentabilité nécessaires à la réforme, et 32 pourraient fermer

« Traiter les compagnies en Centrafrique comme celles opérant en Côte d’Ivoire est surprenant, estime le dirigeant d’un groupe régional. Tout comme le fait de mettre vie et non-vie dans le même panier. Mais je crois que les autorités l’ont compris et que la mise en application de la réforme sera amendée, notamment en donnant davantage de temps. »

Les petites entreprises d’assurance, premières victimes

Pour l’instant, le cap fixé est clair : passer à un minimum requis de 3 milliards de F CFA (4,5 millions d’euros) de capital en 2019, puis à 5 milliards en 2021. Le cabinet de conseil Finactu a chiffré les besoins en capitaux que cette réforme devrait générer dans la zone Cima si toutes les compagnies devaient subsister : 415 milliards de F CFA.

On voit mal d’où cette manne énorme pourrait venir, l’immense majorité des 125 assureurs de la zone étant détenue par des personnes physiques. « Les grands groupes n’auront pas de problème particulier si ce n’est que dans certains pays ils n’ont pas la taille critique justifiant un tel niveau de capital, expliquent Géraldine Mermoux et Denis Chemillier-Gendreau, directrice générale associée et président de Finactu.

Mais la situation est plus compliquée pour les tout petits acteurs, qui réalisent moins de 2 milliards de F CFA de revenus et représentent la moitié des opérateurs du marché, et la catégorie des assureurs intermédiaires, qui réalisent entre 3 et 5 milliards de F CFA de chiffre d’affaires et n’ont pas forcément la taille critique pour appliquer la réforme. Car si l’on veut attirer des capitaux pour atteindre les 5 milliards de F CFA, il faut offrir des rentabilités attractives et donc dégager du résultat en proportion. Il faudrait ainsi réaliser un chiffre d’affaires de 10 milliards de F CFA en non-vie et le double en vie. »

Des fusions en perspective

Certains assureurs pourraient donc disparaître, fusionner ou être rachetés par des plus gros. Outre les groupes marocains, ceux qui sont adossés à des institutions pourraient profiter de la situation pour réaliser des acquisitions, tout comme certains capital-investisseurs ou d’autres assureurs étrangers, par exemple les Tunisiens, de plus en plus présents (Comar s’est installé à Abidjan et Carte se tourne vers le Sénégal).

Les assureurs monopays perçoivent le projet comme une nouvelle mesure en faveur des groupes multipays

« L’exigence d’augmentation du capital pourrait créer des opportunités d’acquisition parmi ceux n’ayant pas les capacités financières ou la volonté de souscrire à cette obligation, notamment des groupes détenus par un actionnariat personnes physiques », confirme Hassan Kadiri, directeur de l’international du marocain Wafa Assurance, à l’affût de croissance externe dans la branche non-vie.

La fin des assurances en Centrafrique ?

Dans son étude détaillée, Finactu estime que, sur les 131 assureurs de son échantillon, 92 n’ont ni le chiffre d’affaires ni le résultat net suffisants pour convaincre des actionnaires de suivre leur besoin en capital social. Dans l’assurance-vie, dont la rentabilité est moindre, et sur les petits marchés, la situation pourrait être pire : selon Finactu, sur les 45 assureurs-vie de son échantillon, 38 n’ont ni les revenus ni la rentabilité nécessaires à la réforme, et 32 pourraient fermer.

Sur un marché vie de 5 milliards de F CFA en 2014, le Congo, par exemple, ne pourrait certainement pas maintenir l’existence de ses deux compagnies. Pour les petits marchés, le tableau est sombre : si la réforme ne changeait pas, celui de la Centrafrique serait trop petit pour justifier l’existence de la moindre compagnie, tandis que ceux du Tchad ou de la Guinée équatoriale se retrouveraient avec un seul opérateur.

Création de monoples

De manière surprenante et assez illogique, la réforme d’avril 2016 de la Cima n’a pas prévu d’agrément unique pour opérer dans la zone. « Cela aurait permis de régler le souci des petits pays en permettant à des assureurs agréés sur des grands marchés de créer des succursales sur les petits marchés, explique un assureur. Le sujet a été au cœur des débats du 3e forum des marchés de la Fanaf en octobre 2016 à Ouagadougou, mais il reste sensible : les autorités nationales n’y sont pas très favorables et les assureurs monopays perçoivent le projet comme une nouvelle mesure en faveur des groupes multipays. » L’adoption de l’agrément unique pourrait donc attendre…

Finactu estime nécessaire que tous les assureurs travaillent sur leur efficacité opérationnelle en réduisant des frais généraux souvent très élevés (environ 25 % des primes contre moins de 15 % en France), en développant l’informatisation et en passant à l’assurance sélective, différenciant bons et mauvais risques. Autant de chantiers qui n’empêchent pas les assureurs, même les plus grands, de pester contre la réforme du capital minimum.

Le fléau des assureurs défaillants

Ils estiment devoir payer pour ceux, trop nombreux, dont les pratiques – le non-remboursement des dégâts notamment – sont connues des autorités. Mais à qui, souvent faute de courage politique, on ne retire pas l’agrément. Cité en modèle dans le domaine des assurances, le Maroc avait pourtant fermé en 1995 les cinq compagnies d’assurances les plus défaillantes afin de provoquer une révolution dans le marché.

En zone Cima, Denis Chemillier-Gendreau estime que les « milliards nécessaires pour les recapitalisations ne sont pas disponibles et ne le seront pas. Les premiers qui réfléchiront à la meilleure solution auront les meilleurs partenariats ». Sondés lors de la Fanaf, certains de ses leaders locaux admettent étudier le problème. En attendant, les « prédateurs », comme les qualifient certains assureurs, rôdent.


BIENTÔT DES AGRÉMENTS EN RD CONGO

Alors que l’autorité de régulation des assurances se met en place en RD Congo, des agréments pourraient être délivrés au troisième trimestre. Mais Éric Mboma, dirigeant de l’institution et ancien patron local de Standard Bank, estime que moins de 10 sésames seront octroyés, pour ce qui pourrait devenir le quatrième marché du continent

Jeune Afrique