Le Togo est, et on peut s’en réjouir parce que cela n’arrive pas souvent, l’un des premiers pays ouest-africains à recevoir des vaccins contre la covid-19. Avec l’aide de l’ambassade de France, l’acheminement a été rapide et plusieurs régions du pays ont été approvisionnées. Ce pays est aussi l’un des rares à avoir géré de façon assez structurée la pandémie dans son ensemble. Pour moi qui ai beaucoup voyagé ces dernières semaines dans la sous-région, contrairement au Sénégal, au Niger, au Burkina Faso et la Côte d’Ivoire où des réseaux de faux tests de dépistage ont pris le dessus du système mis en place par l’Etat, il est impossible, compte tenu de la minutieuse informatisation de la procédure, de produire un test manipulé au Togo.
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Pour un pays qui nous a habitués aux pétrins et aux crises régulières et persistantes dans tous les domaines, la gestion de la pandémie paraît efficace. C’est pour tous ces facteurs positifs que la sortie du ministre Majesté Ihou Watéba, l’un des responsables de la coordination de la lutte contre le coronavirus, est vite apparue agaçante sinon maladroite et méprisante. Malheureusement, le membre de gouvernement n’était pas seul, d’autres médecins se sont, sur le plateau de la télévision du service publique, ce weekend, livrés à l’arrogante invective et aux menaces contre ceux qui ne se feraient point vacciner. Une attitude à la fois irresponsable et contre-productive dans un pays où, depuis des décennies et à raison, les populations peinent à faire confiance aux dirigeants. Et ce d’autant que l’unique type de vaccin disponible dans le pays est l’Astra Zeneca, incriminé dans une quinzaine de pays occidentaux et suspendu partiellement ou totalement dans au moins trois pays européens.
Comprendre la méfiance des populations
Il aurait été, dans une telle situation de grande méfiance assombrie par les théories conspirationnistes les plus absurdes, ingénieux de la part d’un ministre doublé d’un médecin qu’on disait de renom, que la méthodologie soit impeccable. A défaut de pouvoir pousser les Togolais à se faire vacciner massivement, le Prof Majesté Ihou Watéba devrait au moins les comprendre et se forcer à les convaincre du bien fondé de l’inoculation. Il est tout autant honteux qu’insupportable de voir, sur une chaîne de télévision que je crois câblée et donc internationalement suivie, ministre et médecins venir se livrer à un ring de peur, de sommation et de menaces. Je reviens du Togo. Les populations pensent en grande majorité que la maladie a été inventée pour les empêcher de jouir de leurs droits du quotidien. Cela d’autant que l’apparition de la covid-19 a donné cours à de strictes restrictions de libertés publiques. Dans une telle situation, il est périlleux d’user d’un moyen de persuasion autre que la concertation, l’appréhension des craintes et doutes et la discussion. Malheureusement, l’illusion habituelle de la force et de la puissance et l’ivresse de l’invulnérabilité qui le suit rend chaque “protégé” du régime aussi sûr de lui pour que ce funeste trio de ministre et médecins en arrivent là. Publiquement ! Comme si chaque once de pouvoir éloigne de la raison toute humanité et délicatesse. La scène est d’autant triste qu’elle est la parfaite illustration du quotidien d’un peuple à qui le hasard a imposé chefs et roitelets.
La menace est la méthodologie de basse échelle
Je l’ai déjà dit, je me ferais vacciner aussitôt qu’il serait possible pour moi de le faire, en France comme au Togo. Il en sera de même de mes enfants mineurs. Je reviens de chez mes parents des profondeurs du Bénin et les ai exhortés à se faire vacciner sans délais. A titre personnel, je crois que le risque de coagulation de sang ou d’embolie, effroyable mot à la prosodie morbide, est moins que celui auquel m’expose la pandémie. J’ai été choqué par des appels à suspendre le vaccin ou à le boycotter. Mais ces initiatives à l’intelligence si peu scientifique sont prévisibles d’autant que pendant de longues années, les togolais ont eu l’impression, et des personnes comme Majesté Ihou le leur rappellent à volonté, que leur pays n’est pas dirigé. Que la mission première de la puissance publique n’a jamais été de les protéger. Qu’ils sont les derniers soucis de politiciens qui se bornent depuis un demi-siècle à des calculs égoïstes qui ont altéré si ce n’est détruit, tout sens d’intérêt général. Comment voulez-vous qu’il en soit autrement quand, pour leur répondre, ils n’ont que des ministres aussi imbus d’eux-mêmes que “ce” Majesté? Et des médecins qui, à la place de l’explication et de la persuasion, bombent les biceps pour des affrontements dont aucun togolais n’a besoin. Si, malgré vos supposés grades et diplômes, vous n’êtes pas capables de convaincre des populations de l’importance du vaccin sans vous livrer à de viles colères, vous avez un véritable problème. Un médecin, un vrai, explique et convainc. On ne soigne, nulle part sur terre, un malade contre son gré.
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Imposer le vaccin panique les populations
Il faut absolument faire la part des choses malgré l’urgence de protéger les populations et de se sortir de crise. Le vaccin contre la Covid-19 reste “libre” et pas obligatoire. C’est le cas partout dans le monde pour l’instant. Pour le rendre obligatoire, il faut absolument ouvrir un débat et obtenir un vote de l’assemblée nationale. Le fait de menacer des patients non vaccinés d’un remboursement de soins en cas de contamination est une atteinte à leur dignité et une obsession toute aussi pathologique de l’infantilisation de la masse qui a toujours court dans le pays. Dire dans un pays de 9 millions d’habitants où le revenu moyen est de 50 € par mois que toute personne qui aura refusé le vaccin fera face à ses frais de soins qui sont, à en croire le ministre Majesté Ihou, de 750€/par jour, c’est créer la fausse et indigne impression que la vaccin est obligatoire. Il ne l’est pas et il faut, pour des raisons de liberté et d’éthique, garder la marge du droit de dire non, ce qui suppose que toute personne malade du coronavirus ait droit aux mêmes soins sans discrimination. C’est pourquoi, même si le vaccin montre une forte efficacité, l’idée d’imposer un passeport Covid pour les voyageurs est insupportable. Si quelqu’un s’oppose au vaccin, il aura le choix entre faire des tests covid ou ne pas pouvoir aller dans tous les pays du monde. Ce choix est le prix du droit de dire non.
MAX-SAVI Carmel
Journaliste
Source : Togoweb.net