Avec la mort brutale du maréchal président Idriss Déby, la France perd assurément l’une de ses pièces maîtresses dans la région Sahel-Libye et fait planer le doute sur l’avenir du G5 Sahel pour Paris.
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Si les circonstances de sa mort méritent d’être élucidées, on soulignera volontiers que jusqu’au début de l’année, le groupe rebelle tchadien, le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), à l’origine de la mort du maréchal Déby était l’un des soutiens militaires d’un autre maréchal, le Libyen Khalifa Haftar, lui aussi appuyé par la France dans son offensive contre les forces du Gouvernement d’union nationale (GNA) reconnu par l’ONU.
En clair, le Tchadien Idriss Déby aurait été tué par le maréchal Haftar, un autre allié de Paris… le comble ! C’est ainsi qu’en 2017, le FACT passe un accord avec Haftar et « bénéficie de sa générosité ».
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Deux ans plus tard, en mars 2019, les forces du maréchal se retirent à leur tour, en vue de préparer leur offensive au nord contre la capitale Tripoli, qui débute en avril de la même année. « Le FACT est alors avec Haftar » dans cette opération, à laquelle participent du reste d’autres mercenaires soudanais du Darfour et russes de la société Wagner.
Les rebelles tchadiens vont alors acquérir du matériel et une expérience militaire. C’est à ce moment que les hommes du FACT entrent vraiment en relation avec les formateurs russes de Wagner et bénéficient de leur soutien.
Les premiers affrontements d’envergure entre les combattants du FACT et les soldats tchadiens ont lieu le 17 avril, au nord de Mao, à plus de 300 kilomètres de N’Djaména.
Les autorités tchadiennes annoncent avoir tué 300 rebelles et fait 150 prisonniers. Le soir du 18 avril 2021, le chef du FACT, Mahamat Mahdi, reconnaît avoir perdu des hommes et opéré un repli stratégique plus au nord, en attendant de lancer de nouvelles offensives.
Mais, au même moment, plusieurs sources proches de l’opposition indiquent que les combats sont toujours en cours et que les pertes du côté de l’armée tchadienne sont importantes, y compris parmi les hauts gradés. Dans un communiqué du FACT, le président Déby est alors cité parmi les blessés.
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Or la France, qui navigue à vue dans la région, a rouvert en mars son ambassade à Tripoli. Cette dernière doit faire face à la présence de la Turquie et de la Russie, avec lesquelles Paris devra composer. Sans oublier la Chine, qui pourrait jouer un rôle plus important que la France dans la reconstruction du pays.
Paris a beau le déplorer – et c’est le signe d’une certaine impuissance –, personne ne pourra déloger les Turcs, bien partis pour s’enraciner durablement en Libye, où ils vont notamment conserver des bases militaires et où ils soutiennent les forces du GNA.
En l’occurrence « sur un plan strictement technique, tout relève d’une stratégie placide, séquencée, froide et imperturbable. Il y a un véritable plan, des moyens et des hommes déployés avec des vues très précises sur les atouts dont elle pourrait bénéficier sur ce terrain », souligne le chercheur Jahel Harchaoui.
La Turquie et la Russie à l’assaut de l’Afrique
La démarche d’Ankara tend à suivre un double objectif. Le premier consiste à écraser le maréchal Haftar par la force comme cela a été le cas le 4 juin 2020. Le second, à s’implanter dans le pays.
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« La Turquie dispose d’une base navale dans le port de Misrata, elle déploie des programmes de formation militaire, elle possède une base aérienne à l’aéroport de Mitiga [Tripoli] et a totalement réaménagé sa plus grande base militaire à al-Watiya, près de la frontière tunisienne. Les pistes ont notamment été rénovées et pourraient accueillir des avions de combat F-16 dès demain », précise le chercheur Jalel Harchaoui.
Pour Ankara, il ne s’agit pas seulement d’évincer Haftar et de rentrer, mais bien d’étendre son assise territoriale pour ses affaires, de raviver des contrats qui représentaient quelque 20 milliards d’euros avant la chute de Mouammar Kadhafi.
« Notre préoccupation est d’être en capacité́ d’influencer et d’être présents sur le flanc sud de l’OTAN » – Evgeny Korendyasov, Académie des sciences de Russie
Quid de la Russie ?
Evgeny Korendyasov, le responsable des études russo-africaines à l’Académie des sciences de Russie, l’affirme : « Il y aura une bataille pour l’Afrique. »
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Du temps de l’URSS, l’influence de Moscou en Afrique était à son apogée : des agents du KGB étaient envoyés sur le continent et des armes distribuées aux insurgés communistes dans les conflits indirects de la guerre froide. Mais l’effondrement de l’URSS a provoqué́ une baisse de cette influence dans les années 1990.
Aujourd’hui, la Russie de Vladimir Poutine a la ferme intention de se réinstaller en Afrique. Et c’est ainsi qu’elle noue de nouveaux partenariats qui ravivent les alliances de la guerre froide.
Dans la même veine, Andrei Kemarksy, directeur du département Afrique du ministère russe des Affaires estrangères, estime que les partenaires africains du Kremlin considèrent la coopération avec la Russie comme un moyen de « contrer la pression des pays occidentaux ».
« Notre préoccupation est d’être en capacité d’influencer et d’être présents sur le flanc sud de l’OTAN », poursuit Evgeny Korendyasov.
En République centrafricaine (RCS), pré carré de la France, dans lequel un quart de la population a dû fuir le conflit depuis 2013, les grandes puissances se livrent une rude lutte d’influence, exacerbée par l’arrivée de la Russie dans le pays.
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« La Centrafrique, c’est un échiquier géopolitique où chacun avance ses pions. Quand l’un bouge, les autres regardent et agissent en conséquence », estime Kenneth Gluck, le chef adjoint des forces de maintien de la paix de l’ONU dans le pays, en commentant la présence en RCA de pays comme la France, les États-Unis, la Chine et la Russie. »
Un axe d’influence Angola-Soudan
Les Russes veulent s’implanter en République centrafricaine pour développer un axe d’influence à travers le Soudan au nord et au sud en Angola.
« Si les Russes avancent leurs pions dans le sud de la Libye depuis deux ans, et pas seulement pour le pétrole, c’est bien parce que le Tchad est aussi en ligne de mire », poursuit Jalel Harchaoui.
La Libye comme le Tchad ont toute leur place dans ce contexte… « Si les Russes avancent leurs pions dans le sud de la Libye depuis deux ans, et pas seulement pour le pétrole, c’est bien parce que le Tchad est aussi en ligne de mire », renchérit Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe.
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Dès lors, comment ne pas s’étonner que les Français n’aient pas prévu des événements aussi importants que le coup d’État militaire au Mali en août 2020 ou la tentative de coup d’État à Bangui en décembre 2013, qui fera basculer la République centrafricaine ? Ce coup d’État avorté a d’ailleurs contraint Paris à lancer l’opération Sangaris.
Jacques Foccart, cette personnalité centrale de la Françafrique, a de quoi se retourner dans sa tombe ! Pour l’heure, « Paris peine à élaborer une stratégie qui allie de la cohérence avec des objectifs précis tournés vers des résultats tangibles. Après l’explosion au port de Beyrouth en août 2020, il y a eu certes une agitation diplomatique française mais elle n’a produit aucun résultat », relève Jalel Harchaoui.
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Olivier d’Auzon
Olivier d’Auzon est consultant juriste auprès des Nations unies, de l’Union européenne et de la Banque mondiale. Il a notamment publié : Piraterie maritime d’aujourd’hui (VA éditions), Et si l’Eurasie représentait « la nouvelle frontière » ?
Source : Togoweb.net