Un an après son élection, la santé mentale de Donald Trump est toujours en question. Vingt-sept éminents psychiatres estiment qu’il est de leur devoir de prévenir le public de sa dangerosité, quitte à se mettre à dos une partie de la profession.
Des comptoirs de cafés aux plateaux télévisés, en passant par les réunions de famille, tout le monde a quelque chose à dire sur la santé mentale de Donald Trump, installé à la Maison Blanche depuis déjà un an. En octobre, 27 éminents psychiatres et psychologues ont franchi un cap supplémentaire en publiant un ouvrage collectif sur la question. Depuis, « The Dangerous Case of Donald Trump » (« Le dangereux cas de Donald Trump »), connaît un tel succès aux États-Unis que son éditeur a du mal à suivre la demande. C’est qu’il prend une position claire : le 45e président américain montre des signes d’instabilité mentale, ce qui le rend dangereux pour la sécurité nationale et internationale, estiment les auteurs, jugeant qu’il est de leur « devoir de prévenir » le public.
« Lorsqu’une personne montre des signes de danger pour elle-même, pour les autres ou pour le public, nous considérons cela comme une urgence, indique Bandy Lee, la professeure de psychiatrie légale de l’université de Yale, qui a coordonné l’ouvrage. Les 50 États américains nous donnent l’autorité légale, parfois l’obligation, d’agir. » Or, ce président a « largement dépassé notre limite habituelle pour hospitaliser une personne dans le but d’évaluer ses signes de danger », assure-t-elle à France 24. Parmi ces signes, repérés dans diverses apparitions publiques mais aussi dans les tweets de Donald Trump, les auteurs citent « l’agression verbale » (une indication selon eux que l’agression physique n’est pas loin), une « histoire de violence sexuelle », l' »incitation à la violence », l' »attirance pour la violence et les armes » ainsi que la « provocation des nations ennemies avec l’arme nucléaire ».
L’ouvrage liste aussi les traits de caractère observés chez l’ex-star de télé-réalité, comme « l’impulsivité », « l’imprudence » ou « la paranoïa, qui lui fait voir des menaces là où il n’y en a pas ». Le président américain montre également un « manque d’empathie, ce qui veut dire que la destruction d’autres personnes n’a pas d’importance pour lui » et un « sentiment de nullité » « qui ressort dans sa façon de se projeter comme le meilleur dans tous les domaines ». Or, « lorsqu’un besoin d’adulation n’est pas assouvi, alors la violence est un moyen rapide de provoquer la peur, sinon le respect », prévient Bandy Lee. Donald Trump affiche enfin un « besoin constant de faire état de son pouvoir ».
« Danger imminent »
Réunis, ces traits de caractère peuvent « interférer dans sa capacité à penser rationnellement », s’inquiète la professionnelle, qui ne mâche pas ses mots : « Les forces de dissuasion que sont le massacre nucléaire ou même la destruction de la race humaine ne vont probablement pas décourager une personne comme Donald Trump, trop occupée à répondre à ses besoins intérieurs ».
Pire, tous ces éléments, lorsqu’ils sont mis à l’épreuve d’un grand stress comme l’enquête du procureur spécial Robert Mueller sur l’affaire russe, peuvent aggraver la situation et provoquer un « danger imminent ». Donald Trump « a montré des signes de déficience et de handicap mental lors de circonstances ordinaires, en étant difficilement capable de supporter les critiques ou les nouvelles peu flatteuses. Des facteurs de stress supplémentaires comme une inculpation vont assurément empirer son état », prévient Bandy Lee, n’excluant pas une guerre ou l’usage de la force nucléaire.
La sortie de « The Dangerous Case of Donald Trump » s’est accompagnée d’une polémique : le livre relance en effet le débat sur l’application d’une règle propre à la psychiatrie américaine. La « Goldwater Rule », établie par l’Association des psychiatres américains (APA) en 1973, considère en effet comme un manquement à l’éthique le fait de dresser le diagnostic d’une personnalité publique à distance et sans son autorisation. Pourtant, les auteurs de cet ouvrage alarmant, qui n’ont jamais rencontré Donald Trump en personne, assurent qu’ils respectent bien la « Goldwater Rule ». En effet, détaille Bandy Lee, ces spécialistes de la santé mentale n’établissent pas de diagnostic mais ils mesurent la dangerosité d’un individu dans une certaine situation.
« Pression politique »
De plus, assure Bandy Lee, la « Goldwater Rule » a été dévoyée depuis l’élection du milliardaire. La règle originale indiquait effectivement que si l’on demande son avis à un psychiatre au sujet d’un individu connu, ce dernier peut « partager son expertise sur les questions psychiatriques en général ». Au lieu de cela, accuse Bandy Lee, deux mois après l’investiture de Donald Trump, l’APA a « dramatiquement modifié son interprétation de la ‘Goldwater Rule' », affirmant que les psychiatres ne devaient en aucune circonstance s’exprimer au sujet des célébrités. Et ce « même lorsqu’il s’agit d’une urgence », regrette-t-elle, dénonçant « un changement des règles éthiques dans un contexte de pression politique ».
Effrayés, de nombreux membres du Congrès – tous démocrates « pour l’instant », admet la professeure – se sont tournés vers elle ces dernières semaines pour des consultations. Face au « danger imminent », les conclusions de l’ouvrage ont d’ailleurs été envoyées à tous les élus du Capitole et des rendez-vous à Washington ont été demandés par les psychiatres inquiets. Objectif : réclamer une évaluation mentale d’urgence – forcée s’il le faut – du président. Et au-delà, militer pour la mise en place d’une évaluation systématique de l’habilité à servir de tous les futurs présidents, comme c’est le cas pour les militaires ou certains civils au service de l’État.
Une profession plutôt à gauche
Si ce livre est un succès et que ses observations parlent au lecteur car elles résonnent avec les menaces du président envers la Corée du Nord, ou encore avec ses appels à la violence envers les médias, certains dans le métier sont réservés. « La majorité des professionnels de la santé mentale tendent à être de gauche », note la psychologue Jennifer Contarino Panning auprès du Washington Post. Mais Bandy Lee assure que la plupart de ses confrères – qu’ils soient démocrates, républicains ou indépendants – sont d’accord avec elle : « Jamais dans l’Histoire américaine, autant de professionnels de la santé mentale n’ont partagé nos inquiétudes ».
Avant de lancer « The Dangerous Case of Donald Trump », la professeure avait organisé une conférence à Yale sur le sujet, de laquelle l’université s’était rapidement désolidarisée pour des raisons politiques, selon elle. « Quand j’ai tenu la conférence, avec quelques-uns des professionnels les plus renommés de ma discipline, peu de gens sont venus. Par la suite, près d’un millier de professionnels m’ont contactée, partageant leurs inquiétudes mais incapables d’en parler au grand jour. En privé, ils m’ont confié que ce n’était pas tant un problème d’éthique pour eux que la peur d’être ciblés par le président ou ses partisans. » Or la psychiatre n’en démord pas : « Quand le danger devient trop grand, il est naturel pour l’esprit humain d’être dans le déni. Les experts en santé mentale sont là pour dire que cela n’est pas le moment de détourner le regard ».
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