Aného, les deux faces d’un éventuel drame

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Aného, les deux faces d’un éventuel drame

Le 11 juin dernier, la mer s’est déchaînée à Aného. Toujours dans le courant de la même semaine, la couleur de la pierre sacrée de l’édition de cette année est déjà annoncée. Le prêtre « déchu » Nii Mantché fait encore parler de lui. Il ne digère pas d’avoir été écarté des cérémonies, en prélude aux festivités d’Epé-Ekpé. Deux réalités qui tendent à rayer de la carte la ville séculaire et ses richesses culturelles.

Les populations riveraines ont connu un week-end très agité. La furie de la mer s’est transportée jusque dans les chambres. Les habitants se sont réveillés le dimanche dernier les pieds dans l’eau. A certains endroits, les vagues ont envahi la principale route, la Nationale Lomé-Aného. Parallèlement, les intermittents conflits qui délitent les murs du sanctuaire de Glidji-Kpodji se font d’ores et déjà sentir. Le prêtre « déchu », Nii Mantché, est mécontent de n’avoir pas été associé aux rites qui précèdent la prise de la pierre sacrée.

Les divinités et les hommes

Ce qui se passe à Aného donne à penser que la « guerre » qui divise les clans se joue quelque part et les dépasse. Aucun des protagonistes ne veut visiblement entendre la voie de la sagesse. Chaque camp se cramponne sur sa décision. Difficile pour les deux parties d’enterrer la hache de guerre. La pierre sacrée ne s’est jamais invitée dans les médias comme ces dernières années. Dans ce combat pour le monopole du sanctuaire, deux noms reviennent incessamment : Nii Mantché et le chef suprême des divinités guins, Guin Fio gan. Or selon certains adeptes, le conflit aurait une allure d’une mésentente entre les divinités Mama Koley et Sakouma. Et c’est au tour d’elles que se cristallisent les tensions.

« Avant, les deux divinités s’accordaient pour la prise de la pierre. Mais aujourd’hui, chaque prêtre fait ses cérémonies à part », nous a confié une source. Plus exactement, notre informateur nous a fait observer ce qui s’est passé lors de la précédente cérémonie. En effet, il y eut deux prises de pierres. L’une s’est déroulée le matin, l’autre dans l’après-midi. Toutes les deux manifestations se sont déroulées sous la surveillance des forces de l’ordre, mais cela n’a pas empêché des heurts.

Les adeptes de la divinité Sakouma étaient les premiers à annoncer la couleur de la pierre. Quelques heures plus tard, malgré les tensions, ceux de Mama Koley ont livré le message des leur. Après ce « sacrilège », les esprits se sont calmés et ont semblé fumer le calumet de la paix. Selon des sources, Nii Mantché aurait fait profil bas auprès du chef suprême des Guins. Mais, les démons de la division ont resurgi avec les deniers événements de la semaine dernière. Tout semble dire que la cérémonie séculaire est dans une reculade irréversible. Car, visiblement, chaque camp ne veut concéder un minimum de sacrifice en ramenant la paix. De plus, les rites traditionnels n’emballent plus la nouvelle génération. La sauvegarde du patrimoine culturel vacille.

Pendant ce temps, la mer se fait entendre. De la manière la plus effroyable. Des habitations entières sont dans le ventre de l’océan qui montre un appétit vorace. Les populations sont engluées dans des querelles qui lézardent au jour le jour le sanctuaire. La mer ne digère pas le fait qu’elle soit ignorée, dit-on. Et pour manifester son courroux, elle agite ses vagues puissantes devant lesquelles des bras restent impuissants. Des ouvrages réalisés par les autorités pour freiner l’avancée inexorable de la mer cèdent face à ses mugissements. La durabilité des infrastructures est mise à l’épreuve. Et ce sont les populations riveraines qui en paient le prix. Leurs cris de désespoir semblent étouffés par les échos des voix divergentes du sanctuaire de Glidji-Kpodji.

Professeur Blim Adotevi Blivi, la voix ignorée

Nul n’est prophète chez soi. Cet adage colle bien à l’océanographe togolais, Prof Blim Adotevi Blivi. Il aurait été un expert blanc qu’il aurait été déjà entendu. Mais, ses nombreux cris d’alerte tombent dans de sourdes oreilles. Ses approches de solutions ne sont même pas prises en compte. « Il faut recharger la plage. D’autres pays le font et cela permet de limiter la position de la mer », avait-il proposé en juillet 2015, à l’occasion de la première journée africaine des mers et des océans. « Le niveau de progression autour d’Aného dans les casiers, nous avons 2 à 4 mètres. Vous-mêmes vous avez vu nos constats de 2013 et 2015. Dans les casiers, il y a un recul de 3 à 4 mètres; ailleurs, c’est 12 à 16 mètres par an. Le résultat global d’ici 10 ans, 15 ans, si on reste dans la logique de l’Union Africaine 2050, dans 35 ans, beaucoup de parties de cette ville vont partir », a t-il expliqué. Mais c’est sans doute un prêche dans le désert.

Pendant ce temps, la mer efface toute trace humaine sur son passage. Elle grossit. Faute peut-être d’un rituel pour l’apaiser, l’océan a décidé de chercher seul sa proie. Et ce sont des pans entiers de villages qui en pâtissent. La première capitale du Togo est-elle sur le pas de connaître le mauvais sort de l’Atlantide ?

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