J’ai suivi un cinéaste congolais rapportant un fait colonial qui a beaucoup marqué mon esprit. Il semble que du temps de l’administration coloniale au Congo belge, l’administrateur des colonies avait éprouvé le besoin d’acquérir des terres, en vue de construire des bâtiments pour l’administration.
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Alors il sollicita le procureur de l’époque, un certain monsieur Roux qui l’accompagna chez le chef traditionnel d’une communauté en vue de négocier l’achat de ces terres.
Ensemble, assis dans le palais royal, ils passèrent le message de leur désir d’achat de terres pour la cause ainsi évoquée. Le chef qui était confortable dans son trône, les regarda fixement, et demanda à nouveau de lui expliquer avec plus de précision, le genre de terres qu’ils voulaient concrètement.
Ils reprirent le message en se disant naïvement que très certainement, le chef n’avait pas bien écouté leur exposé. A la fin, la réponse du chef fut catégorie, sinon péremptoire:
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“Nous n’avons pas de terres à vendre, ces terres que vous voyez et convoitez, ne nous appartiennent pas, nous n’en sommes que les gardiens. Elles appartiennent à ceux qui viendront après nous, donc nous n’avons aucun pouvoir de les vendre ni aujourd’hui ni demain”, leur dit-il, très sincèrement et sans état d’âme.
Confus, l’administrateur des colonies et le procureur n’eurent point de choix que de quitter le chef, plutôt désemparés par cette éconduite subtile que venait de leur infliger le chef d’une si minuscule communauté .
Rapportons un peu ces faits dans la réalité actuelle de nos pays, ou plutôt de notre Togo. Il est clair que cette occasion aurait été considérée comme une vraie aubaine dont allaient se saisir ce chef et sa communauté pour brader les terres dont ils disposent.
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Pourtant, la réponse ainsi donnée par le chef sollicité n’était pas aussi irréfléchie que l’on puisse le penser.Elle traduit en effet, le principe de redevabilité que nous devons tous cultiver non pas seulement vis-à-vis des générations présentes mais aussi de celles à venir.
A l’époque en effet, le fait de penser à autrui, de se soucier de sa vie et de ses besoins était naturel dans la vie des communautés qui avaient ainsi une pleine conscience de leurs devoirs vis-à-vis des autres et de leurs progénitures.
Comment aujourd’hui, il se trouve que la vente des terres aux étrangers soit devenue une vraie mode en Afrique et principalement au Togo sans que les dirigeants, garants du patrimoine commun, ne se rendent compte du grave danger qui profile à l’horizon?
Mes recherches m’ont indiqué que durant les 20 dernières années, l’Afrique a vendu environ 56 millions d’hectares de terres pour un montant cumulé de 100 milliards de dollars aux multinationales étrangères.
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Le phénomène est devenu quasi endémique un peu partout en Afrique et notamment dans notre pays. Il est d’ailleurs devenu la cause principale des conflits les plus graves dans les communautés, les familles et entre individus. Comment en sommes-nous arrivés là au point de donner le sentiment qu’après nous, la vie arrêterait brusquement son cours ?
Où et de quoi vivrons donc dans les années à venir, les générations qui ne sont pas encore nées ? La terre en effet, devrait servir à se bâtir un cadre de vie et à être exploitée en vue de garantir de quoi vivre à toutes les familles. Que l’on la cède par générosité à une tierce personne dans le but exclusif de lui donner l’occasion de l’exploiter pour cette même fin, peut aisément se comprendre et se tolérer.
Mais qu’elle soit totalement vendue à des étrangers qui en font un usage destructeur, est un vrai sacrilège et même une vraie trahison qui donne le sentiment que nos sociétés vivent plutôt à reculons, contrairement au principe de l’évolution qui devrait les caractériser.
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L’État ne devrait ni se taire, ni se rendre complice d’un tel phénomène aussi dramatique pour nos sociétés d’aujourd’hui et celles de demain.
Après nous, la vie continue, absolument et inexorablement son cours. Inscrire cette évidence dans notre conscience et dans notre vie de tous les jours, est un acte d’intelligence qui rend un énorme service à ceux qui viendront après nous.
L’argent ne devrait pas être une fin en soi qui téléguide nos vies au point de nous rendre insensibles à celles d’autrui et de celui qui, nécessairement viendra demain, après notre départ de ce monde des vivants. Il faut par conséquent travailler, dès maintenant, pour stopper net ce drame avant qu’il ne soit totalement tard. La vie du pays lui-même et de ses générations à venir en dépend.
Luc Abaki
Source : Togoweb.net