Aimé Gogué : « Nous ne devons pas accepter l’élection présidentielle du 22 février comme un fait accompli »

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La prestation de serment de Faure Gnassingbé ce dimanche 03 mai 2020 ne doit pas siffler la fin de l’engagement des Togolais pour une alternance au sommet de l’Etat. C’est en substance ce à quoi appelle le président de l’Alliance des démocrates pour le développement intégral (ADDI), Prof Aimé Gogué dans cette tribune.

NOUS NE DEVONS PAS ACCEPTER L’ELECTION DU 22 FEVRIER 2020 COMME UN FAIT ACCOMPLI

Il y a soixante ans que la nation togolaise naissait grâce au courage et aux sacrifices parfois suprêmes de ses filles et fils, promettant ainsi un lendemain meilleur sur la terre de nos aïeux. L’espoir né de la victoire héroïque du 27 avril 1958 a progressivement laissé place au désenchantement, à la panique et la confusion, à la recherche des coupables, pour aboutir à la punition des innocents et innocentes. Les coups d’Etat militaires, les coups de force électoraux, ainsi que les violations massives des droits de l’homme ont fait le lit des crises socio-politiques récurrentes au Togo.

Ils sont nombreux ces Togolais qui ont cru que l’élection présidentielle du 22 février 2020 allait favoriser le début de la résolution de la crise. Ils étaient nombreux ces Togolais qui sont allés voter, en dépit d’un cadre électoral qui ne garantissait ni la transparence, ni l’équité de cette consultation électorale. Par cet acte civique, ces citoyens pensaient participer ainsi à une résolution pacifique de la crise jamais résolue. Malheureusement cet acte citoyen s’est soldé par une déception immense et un désarroi de la population togolaise qui n’aura plus du tout confiance aux élections comme processus permettant un libre choix de ses gouvernants. La fixation par la Cour constitutionnelle du 3 mai 2020 comme date de prestation de serment du supposé vainqueur du simulacre d’élection du 22 février 2020, au lieu de clore le processus électoral ouvre plutôt la porte à une nouvelle crise politique.

Cette crise tire ses origines immédiates et lointaines de l’histoire atypique et singulière du pays, du fait que l’administration publique et les forces de défense et de sécurité (FDS) restent inféodées au régime en place au mépris des principes élémentaires de neutralité des services publics. Elle tire aussi ses racines du refus des groupes organisés (associations patronales, syndicales et professionnelles) à prendre explicitement position face aux multiples abus du régime. Elle tire également son fondement du comportement de Togolais insatisfaits acculés à l’exil « silencieux » intérieur et au réfugiés extérieurs qui, soit par leur indifférence constituent aux yeux de plusieurs personnes un soutien à l’arbitraire, ou soit par des invectives et des discours discourtois enveniment toutes les tentatives endogènes de faire parler les deux camps politiques aux logiques diamétralement opposées. Elle tire enfin et surtout ses fondements de l’insatisfaction du citoyen face à la gestion patrimoniale et chaotique de la chose publique.

En effet, contrairement au fait qu’il soit généralement énoncé que de par leur mission, les forces de défense et de sécurité doivent être neutres et apolitiques, car, « en tant qu’émanation du peuple, elles ne peuvent s’accaparer du pouvoir par la force pour renverser les dirigeants démocratiquement élus », les FDS sont loin d’être neutres dans la vie politique et le processus électoral au Togo.

Le déploiement massif des FDS avant, pendant et après les élections, ainsi que les violences qui ont souvent occasionné des morts d’hommes exacerbent les rapports entre le peuple et les FDS. Une majorité de Togolais (56%) ne font que « juste un peu » ou pas du tout confiance à l’armée togolaise ; 28% seulement pensent que l’armée travaillent « souvent » ou « toujours » avec professionnalisme et respectent les droits de tous les citoyens ; une majorité (58%) de togolais affirment craindre au moins « un peu » d’être victimes des actes d’intimidation ou de violence politique pendant les campagnes électorales.

Soixante ans après l’indépendance, notre pays souffre toujours de l’instrumentalisation de la justice. La justice togolaise, très passive dans des affaires de meurtres, de violations des droits de l’homme et de crimes économiques se trouve une vigueur excessive lorsqu’il s’agit de poursuivre les acteurs politiques de l’opposition, d’écarter un concurrent politique ou aider le régime en place à réduire au silence tout adversaire. L’illustration nous est encore faite le 22 avril dernier. C’est dans un contexte de contestation post-électorale qu’un des candidats, monsieur Messan Agbéyomé Kodjo et ses soutiens au sein de la Dynamique Kpodzro sont placés sous contrôle judiciaire et interdits de faire des déclarations tendant à remettre en cause les résultats de l’élection présidentielle du 22 février 2020, démontrant à suffisance que la justice togolaise se subordonne à l’exécutif. Les Togolais auraient bien voulu savoir ce que fait la justice des affaires des incendies des marchés de Lomé et de Kara, des détournements des fonds, de l’assassinat des élèves à Dapaong en 2013 et de bien d’autres personnes.

Soixante ans après l’indépendance, les crises socio-politiques sont récurrentes au Togo, la paix sociale est toujours menacée. En 2019, le Togo se situait à la 108ème place de l’Indice Global de Paix sur 163 pays évalués. Ramené au niveau sous-régional, le Togo n’est mieux classé que quatre pays seulement : le Niger, le Nigeria, le Mali et la Guinée Bissau confrontés à l’extrémisme violent, à l’activité de groupes djihadistes et au nacro-trafic.

Tirant leçon de cette vie commune depuis l’indépendance, une constante se dégage : le pays ne peut pas continuer à être géré comme il l’a été jusqu’à présent. Aujourd’hui, il est plus qu’une obligation de sortir le Togo des conjonctures critiques et éviter que le pays sombre dans une situation que les inconscients sont loin d’imaginer. Le pays vie dans un contexte particulièrement difficile marqué par : la crise liée au COVID 19, l’approfondissement de la pauvreté, la vulnérabilité d’un nombre important de ménages, avec une généralisation parmi la jeunesse de la volonté du gain facile, résultat de plusieurs décennies de l’impunité des actes de corruption notamment, une crise morale profonde révélée au grand jour le 22 février. En outre, les tensions politiques, l’inquiétude, le désespoir, les frustrations et la souffrance sociale sont immenses. Il est donc urgent que les Togolaises et les Togolais prennent la mesure de ces différents maux.

C’est pourquoi nous ne devons pas accepter l’élection présidentielle du 22 février comme un fait accompli.

Joignant notre voix à l’appel patriotique du Front citoyen Togo-Debout, nous appelons solennellement le peuple togolais à œuvre pour trouver une solution politique à la présente énième crise post-électorale. Cette solution devrait favoriser la refondation de la Nation Togolaise, préoccupée par un meilleur vivre ensemble, la tolérance et l’acceptation mutuelle de ses citoyens. Nous exprimons ce vœu car convaincu que la quasi-totalité des Togolais veulent vivre dans un Togo réconcilié avec lui-même, uni démocratique et prospère.

En cette journée du 3 mai, nous souhaitons à toute la corporation des médias au Togo, une bonne commémoration de la journée internationale de la liberté de la presse. Nous leur souhaitons du courage et de l’abnégation dans cette quête permanente de la liberté de la presse face à des dirigeants qui ne manquent pas d’occasion pour restreindre encore le peu de liberté qui existe, ne facilitant pas du tout son aboutissement.

Tchabouré Aimé GOGUE-

Source : icilome.com