Employée dans une société de pari sportif, la jeune femme a été interpellée le 26 janvier 2019 à Yaoundé. Son crime, elle portait un vêtement que n’aiment pas ses bourreaux.
Prison centrale de Kondengui, quartier des femmes. Ce jeudi est jour de visite et dans le petit espace où les femmes détenues ont la possibilité de rencontrer leurs proches l’ambiance est très détendue. On en vient même, après un certain temps, à oublier qu’on se trouve en prison.
Ce matin, la plupart des détenues qui occupent l’espace sont « les Kamto », comme on les appelle ici. Ici s’agit des personnes qui ont été interpellées en même temps que le président national du Mrc ou dans le cadre des marches organisées par ce parti politique le 26 janvier 2019 dans diverses villes du Cameroun.
Elles sont de tous les âges, ont bonne mine et racontent toutes, volontiers, l’histoire de leur arrestation. Alors que nous échangeons avec l’une d’elles, on signale la fin des visites. Mais notre interlocutrice ne veut pas s’arrêter. Elle tient à partager avec nous et avec les Camerounais l’histoire rocambolesque qu’elle vit depuis plus de deux mois.
Jeune et engagée
Malgré les journées difficiles passées depuis qu’elle a été jetée à la prison centrale de Kondengui, Agnès Flore Tchuiya est restée la même. Pas brisée du tout et sûre de se retrouver en prison pour rien. La jeune femme a été interpellée le 26 janvier 2019 à Yaoundé.
Ce jour-là, on le sait bien, le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (Mrc) organisait les marches blanches pour dénoncer un ensemble de tares. Pour appeler à la fin du hold-up perpétré depuis un moment par le parti au pouvoir, pour demander des comptes pour l’incapacité du Cameroun à organiser la coupe d’Afrique des nations de 2019, etc.
Agnès Flore Tchuiya faisait partie du Mrc depuis quelques mois seulement. Et ce samedi-là, pour se rendre à son travail (elle gérait un kiosque de paris sportifs), elle a arboré le tee-shirt du Mrc. Mal lui en a pris, pense-t-elle. Elle en effet convaincue qu’aucune autre raison que le fait qu’elle arborait ce tee-shirt est la cause de ses malheurs. La marche du Mrc avait déjà été dispersée brutalement par la police.
Certains des participants ont été arrêtés à l’occasion. Agnès Flore Tchuiya l’a été un peu plus tard, alors qu’elle se trouvait dans son kiosque, à la montée Camtel, tout près de la poste centrale de Yaoundé. Son crime, rappelle-t-elle, est d’avoir été vêtue du tee-shirt du Mrc. Car c’est ce qu’on a passé le temps à lui rappeler.
« C’est eux que nous cherchons »
A Douala, ce samedi-là, Me Ndoki avait été blessée alors qu’elle participait à une marche du Mrc. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. Et les policiers qui vont arrêter Agnès Flore Tchuiya ne vont pas manquer de l’associer à l’avocate de Douala. «Elle est avec les Me Ndoki, c’est eux que nous cherchons! », vont-ils lancer lorsqu’ils l’aperçoivent.
La jeune femme sera conduite au commissariat central n°1 de la ville de Yaoundé. On lui demande sa carte nationale d’identité et son téléphone. « Le monsieur qui m’interrogeait, lorsqu’il a pris mon téléphone, il a écrit cas spécial ». Son tee-shirt semble déjà être le problème.
Alain Fogue, le trésorier national du Mrc, qui la rejoindra peu de temps après au commissariat, lui demande de ne pas enlever le tee-shirt qu’on semble lui reprocher d’avoir arboré. Entre-temps, son téléphone est passé au crible. Pendant 4 heures de temps, soit de 12h à 16h. On n’y trouvera rien de spécial.
Le T-shirt à problème
Et on revient à sa tenue vestimentaire. «Pourquoi avez-vous mis ce teeshirt ? », lui demande-t-on. «Il n’y a pas de jour prévu pour que je mette mon teeshirt », répond-elle. Et elle se souvient que certains des policiers qui l’interrogeaient arboraient, à l’intérieur de leurs uniformes, des teeshirts du Rdpc, le parti au pouvoir.
Elle le leur fait remarquer en leur renvoyant la question qu’ils lui ont posée. Ils lui font remarquer que c’est eux qui posent les questions. Et justement, ils vont directement lui en poser une autre. Celle de savoir si elle a déjà fait la prison. « Non », répond-elle. «Tu vas donc faire la cellule », lui rétorque-t-on. Elle se retrouvera donc en cellule et plus tard en prison.
Lorsqu’elle est présentée au tribunal quelques jours plus tard, on lui repose la question de savoir ce qu’elle faisait avec le fameux tee-shirt du Mrc. Au juge qui lui pose cette question, elle répond à nouveau qu’en démocratie, on est libre de mettre le vêtement de son choix. «Le principal objet de mon arrestation c’est le tee-shirt que je portais », lance-t-elle encore, quand elle refait le film de cette folle journée du 26 janvier 2019.
Secrétaire d’unité
Mais il ne faut surtout pas penser qu’Agnès Flore Tchuiya regrette d’avoir mis ce jour-là le tee-shirt du parti de Maurice Kamto. Elle ne l’avait pas par hasard et elle assume pleinement son appartenance au parti qu’elle a rejoint en 2018. Et elle ne s’est pas contentée de rejoindre les rangs du parti, elle était pleinement engagée à jouer un rôle important pour son développement dans l’arrondissement de Yaoundé II où elle résidait.
Ainsi avait-elle décidé d’y créer une unité du Mrc. Et les choses se présentaient plutôt bien. «J’ai adhéré au Mrc en 2018 dans l’arrondissement de Yaoundé II. Cette année, je m’étais engagée à créer mon unité. Le 25 janvier 2019, j’ai reçu de la hiérarchie de mon parti la fiche pour être secrétaire d’unité. Or, le lendemain, le 26 janvier, je me suis faite arrêter », explique-t-elle.
24 mois de prison
Comme Agnès Flore Tchuiya n’a cessé de le rappeler, dès son interpellation, ses bourreaux l’on considérée comme l’une des leaders de la manifestation organisée par le Mrc le 26 janvier à Yaoundé. La façon dont elle a été traitée tout au long de la procédure, entre le commissariat et la prison l’ont confortée dans cette posture. Et la peine de 24 mois de prison à laquelle elle a été condamnée a fini de la convaincre. Sans l’abattre.
Née le 27 février 1987 à Ndoungue dans le département du Moungo, région du Littoral, Agnès Flore Tchuiya Njiowouo est célibataire est mère de trois enfants. Elle dit s’être engagée en politique pour contribuer au changement au Cameroun. «Ma première motivation pour militer au Mrc c’est lé changement », dit-elle. Elle ajoute qu’elle a été également séduite par l’idéologie du parti de Maurice Kamto. «Je rêve d’un Cameroun uni, ensuite j’ai apprécié le projet de société du Mrc qui envisage une renaissance pour le Cameroun ».
Source : www.cameroonweb.com