La sixième édition du grand rendez-vous du secteur privé africain, organisée cette année à Abidjan, était placée sous le signe des mutations entrepreneuriales. Retour sur un événement qui a tenu toutes ses promesses.
Qui l’eût cru il y a seulement cinq mois ? Emmerson Mnangagwa, le président du Zimbabwe, a été l’une des principales attractions de l’Africa CEO Forum (ACF), rendez-vous continental du secteur privé organisé les 26 et 27 mars par Jeune Afrique et Rainbow Unlimited à Abidjan. Rarement le bénéficiaire d’un coup d’État aura été applaudi par autant de chefs d’entreprise venus de plus de 60 pays, dont 43 africains.
Lors de la cérémonie d’ouverture, sur la scène du Palais des congrès, face aux 1 600 participants réunis, le nouveau président n’a pas ménagé ses efforts pour convaincre son auditoire que les choses pouvaient changer à Harare, à rebours des folies de son prédécesseur, Robert Mugabe. Il a non seulement annoncé le retour de la démocratie et de la transparence, mais aussi sa conversion au capitalisme. « Le Zimbabwe est ouvert au business », a-t-il martelé à intervalles réguliers devant un public forcément conquis.
Zone de libre-échange continentale
Emmerson Mnangagwa a égrené pendant vingt-cinq minutes les opportunités d’investissement, à commencer par l’agro-industrie et les mines. « Demandez-nous quels sont les minerais que nous n’avons pas dans notre sous-sol, plutôt que ceux que nous avons. Notre potentiel est immense », s’est-il félicité.
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Les organisateurs n’avaient pas manqué de vista en décidant des mois à l’avance de placer cette sixième édition sous le signe de la transformation et du changement. Cinq jours avant son lancement, 44 des présidents des États membres de l’Union africaine ont signé à Kigali un accord historique ouvrant la création d’une zone de libre-échange continentale (Zlec). Un immense marché dont les entreprises locales devraient être les premières bénéficiaires. Lors de l’ACF, l’excitation née en terre rwandaise n’avait pas disparu.
Il est très important de construire ce marché unique de plus d’un milliard de personnes, c’est-à-dire presque aussi grand que l’Inde
Les chefs d’État ivoirien, Alassane Ouattara, et ghanéen, Nana Akufo-Addo, dont la présence associée à celle de leur homologue zimbabwéen donnait un petit air de Davos à l’événement, ont profité de l’occasion pour insister sur les opportunités de développement offertes par cette avancée collective. « Cela montre la détermination des Africains à prendre leur destin en main », a insisté le président Akufo‑Addo. Les deux chefs d’État ont par ailleurs officialisé lors du forum la signature de la déclaration d’Abidjan, qui ouvre la voie à une étroite coopération au niveau de la filière cacaoyère, dont leurs pays mettent sur le marché 60 % de la production mondiale.
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Dans un contexte où quatre des cinq premières économies du continent (Afrique du Sud, Nigeria, Égypte et Algérie) sont dans des situations économiques difficiles, avec pour la plupart des taux de croissance inférieurs à 2 %, la création de la Zlec a alimenté l’optimisme des chefs d’entreprise.
« Être capable de créer les conditions d’une intégration économique de l’Afrique est l’une des raisons de notre existence. Il est très important de construire ce marché unique de plus d’un milliard de personnes, c’est-à-dire presque aussi grand que l’Inde. Maintenant, 44 ont signé, et 11 restent à convaincre. Mais réjouissons-nous du verre à moitié plein plutôt que de celui à moitié vide », estime Ade Ayeyemi, directeur général du groupe Ecobank.
« Pour les assureurs que nous sommes, c’est une ouverture importante parce que nos clients auront d’autres horizons de développement, avec de nouveaux marchés à conquérir, et cela accroîtra mécaniquement le volume de nos activités », anticipe déjà Richard Lowe, PDG du groupe Activa Assurances.
Foyer de partage
C’est une occasion unique de faire des rencontres
Au-delà des interventions présidentielles, le forum a été, cette année encore, un formidable foyer de partage d’expériences pour les 900 CEO présents et leurs proches collaborateurs. L’édition a notamment été marquée par l’intervention de Paul Polman, PDG d’Unilever, promoteur au plus haut niveau mondial de la responsabilité sociale des entreprises.
Au total, une trentaine de sessions réunissant entrepreneurs, États et investisseurs ont été organisées en marge des grandes conférences, dont quatre réunions consacrées aux opportunités d’affaires en Côte d’Ivoire, au Zimbabwe, au Ghana et au Bénin, ainsi qu’une session pendant laquelle cinq start-up sélectionnées ont pu présenter leur projet. L’ACF 2018 aura confirmé la montée en puissance des délégations d’Afrique anglophone, qui représentaient cette année 50 % des participants avec une forte présence nigériane et ghanéenne.
Dans les salons du Sofitel et du Palais des congrès d’Abidjan, ce sont des centaines de réunions improvisées qui se sont tenues. On a pu observer le patron des patrons algériens, Ali Haddad, en pleine conversation avec l’ancien Premier ministre tunisien Mehdi Jomâa, puis avec Valérie Levkov, vice-présidente Afrique et Moyen-Orient d’EDF. Zineb Abbad El Andaloussi, directrice générale de Helios Investment Partners, en a profité pour échanger avec Yasser Ezzedine, fondateur de la Compagnie de distribution de Côte d’Ivoire, tout comme Jim Ovia, président de Zenith Bank, avec Omar Hadi, président de Great Horn Investment Holding SAS, filiale du Port de Djibouti. Les dirigeants se sont aussi tenus informés des derniers accords encore confidentiels, comme la vente une semaine plus tôt par Olam à Wilmar de ses parts dans le groupe agro-industriel ivoirien Sifca.
« C’est une occasion unique de faire des rencontres », avoue le Tunisien Bassem Loukil, dont le conglomérat ambitionne de réaliser 40 % de son chiffre d’affaires en Afrique subsaharienne cette année. « En deux jours, nous avons eu des rendez-vous avec l’IFC, la BAD, Coris Bank, Amethis, Gulf Capital, Afreximbank, la Banque arabe pour le développement économique en Afrique, ainsi qu’avec des officiels du Niger et du Mali. Sans l’ACF, cela nous aurait pris au moins six mois », explique l’entrepreneur.
Women to board
Les hommes n’ont en général pas conscience du problème, et les femmes sont souvent trop exigeantes avec elles-mêmes
Si, dans toutes les conversations, on a pu entendre la même envie d’entreprendre, les patrons africains savent qu’ils doivent néanmoins encore accélérer la mutation de leurs sociétés pour pouvoir jouer les premiers rôles sur leurs terres. Seules 400 entreprises du continent ont un chiffre d’affaires qui dépasse un milliard de dollars (plus de 800 millions d’euros), et aucune n’apparaît dans le classement Fortune des 500 premières entreprises mondiales.
« Depuis 2006, le rythme de progression du nombre d’entreprises réalisant plus de 100 millions d’euros de revenus est d’environ 5 % par an. Largement insuffisant pour un continent en plein essor », a rappelé Amir Ben Yahmed, président de l’Africa CEO Forum (et directeur général de Jeune Afrique), lors de son discours inaugural. Pour être le catalyseur du développement continental, le secteur privé africain doit gagner en productivité, investir dans l’innovation, renforcer son dialogue avec la sphère publique et faire évoluer sa gouvernance.
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Cette démarche de transformation, l’ACF a voulu aussi la concrétiser au cours du forum en lançant l’initiative Women to board, qui vise à mettre en relation des dirigeantes de haut niveau avec des entreprises désireuses de féminiser leur conseil d’administration.
« Les hommes n’ont en général pas conscience du problème, et les femmes sont souvent trop exigeantes avec elles-mêmes pour prétendre à des postes à responsabilités », regrette Aïda Diarra, vice-présidente Afrique et Moyen-Orient de Western Union.
« Messieurs, n’ayez pas peur de travailler avec nous. Ensemble, je suis sûre que l’on réussira, mieux et plus vite, à construire cette Afrique dont on rêve tous, celle des champions », a lancé d’ailleurs à ses homologues masculins Nadia Fettah, directrice générale de Saham Finances, lorsqu’elle a reçu le prix du CEO de l’année.
Signe des temps, son discours a déclenché une salve d’applaudissements, et plusieurs hommes d’affaires, dont l’Égyptien Basil el-Baz, se sont engagés à prendre part à Women to board. Des promesses de changement dont on pourra peut-être mesurer les effets dès l’an prochain lors de la prochaine édition de l’Africa CEO Forum.
Jeune Afrique