«Trop d´Africains que les circonstances ont mis aux commandes n´ont été ni assez dévoués à l´intérêt général ni assez compétents. Ils n´ont pas assez donné d´eux-mêmes ni surtout fait preuve de la nécessaire austérité. Ils se sont servis avant de servir l´État et ils ont oublié le peuple dont ils sont issus.»
Ces quelques phrases tirées de l´avant-propos du livre «Ce que je crois», première partie, du journaliste tunisien, ancien PDG de Jeune Afrique, Béchir Ben Yahmed, (décédé le 3 mai 2021), furent écrites en 1989, donc depuis 34 ans. Ces lignes qui rappellent le drame du continent africain pourraient avoir été écrites il y a quelques jours, tant elles retracent textionnellement les échecs actuels d´une grande partie des dirigeants africains dans la construction des états, et partant, du bonheur de leurs peuples après le départ du colonisateur. Ces drames, rendus possibles par des régimes autoritaires et prédateurs ici et là sur le continent, ne laissèrent aucune chance aux populations qui végètent dans la pauvreté la plus abjecte. Nous Togolais aussi, hélas! vivons notre drame depuis plus d´un demi-siècle. Et le bout du tunnel n´est pas près de se faire apercevoir, comme le montre le énième scandale d´état autour de la gestions des fonds du COVID.
Pour la première fois une institution d´état, la Cour des Comptes, reste digne et courageuse en publiant un rapport accablant pour les preneurs d´otages du peuple togolais. Habitué à voler et à tuer en toute impunité, seul maître à bord depuis longtemps sur le bateau à scandales, le régime togolais est surpris qu´une institution mise sur pied par ses soins, ait cette audace, ce culot de dire la vérité, là où plusieurs autres, au lieu de servir le peuple, rampent devant le dictateur. Bien que le libellé du rapport fût clair comme l´eau de source, du côté du régime de Faure Gnassingbé, on gesticule dans tous les sens pour tordre le cou à la vérité, on cheche à cacher le soleil par la main; comme tout régime de dictature qui se respecte, allergique à toute contradiction, on cherche à prouver l´improuvable, même s´il faut pour cela se rendre ridicule. Pourtant en levant un coin du voile sur le rapport de la Cour des Comptes, on remarquera que si nous étions dans un pays normal, où les dirigeants respectent leurs compatriotes, la suite du travail devrait revenir à la justice, et non aux gesticulations désordonnées des uns et des autres au sein du gouvernement. «Des achats sans lettre de commande ; – Dans un ministère, une seule personne signe la commande en lieu ou place de deux ou trois personnes ; – Des prestataires ne disposant pas de carte d’opérateur économique ; – Des dépenses sans pièces justificatives ; – Des achats sans bon de commande ; – Des livraisons sans procès-verbal de réception – Des factures non certifiées ; – Des gratifications payées sans base juridique ; – Des marchés passés sans description technique du produit – Des transferts NOVISSI à des personnes non qualifiées et le non-reversement du reliquat des transferts dans les caisses de l’Etat etc.
Qui a commandé le rapport à la Cour des Comptes? Le gouvernement togolais? Comme il l´affirme lui-même? Ou la pression serait-elle venue des donateurs, dont la BAD (Banque Africaine de Développement)? Cette question ou sa réponse n´a plus aucune importance, un scandale reste un scandale. Et comme l´affirmait le député Abass Kaboua, représentant d´une petite formation politique à l´Assemblée Nationale togolaise, le MRC (Mouvement des Républicains Centristes), le travail de la Cour des Comptes mérite d´être salué. Et le bouillant député n´avait pas manqué de souligner que la corruption dans notre pays ne serait pas devenue un tel cancer incurable, si cette institution avait fait son son travail aussi courageusement depuis longtemps. Abass Kaboua, encore lui, depuis son lit d´hôpital n´a pas été du tout tendre avec ses collègues du parlement togolais qui se sont encore laissé instrumentaliser par le gouvernement dont l´Assemblée Nationale ne serait en aucun cas, selon le député, le prolongement. En effet, le 21 février dernier, une session extraordinaire eut lieu dans un hémicycle clairsemé pour que des ministres du gouvernement togolais eussent la possibilité de battre en brèche, par des arguments fantaisistes, le rapport de la Cour des Comptes. Décidément ce rapport aura été à l´origine des nuits sans sommeil chez Faure Gnassingbé et ses amis. Pour le député Abass Kaboua, ce serait tout simplement ridicule que des supposés représentants du peuple se laissent ainsi utiliser au détriment des intérêts de ce peuple.
Depuis que la Cour des Comptes a publié son rapport de 86 pages qui retrace des anomalies et irrégularités pour une somme totale de 39.357.949.757 F CFA, c´est l´indignation et la consternation totales au Togo et dans la diaspora. Les Togolais sont certes habitués aux scandales de toutes sortes qui jalonnent le règne des Gnassingbé depuis plus d´un demi-siècle; mais que ceux qui prétendent diriger aux destinées de notre pays, continuent à avoir ce dégré de négation du peuple pour se livrer aussi honteusement à de tels détournements de fonds à ciel ouvert, dépasse tout entendement. Maintenant que faire? Le révoltant rapport est là devant tout le monde. Nous eumes droit à quelques déclarations de colère et d´indignation ici et là; mais la colère et l´indignation seules ne suffisent pas. Aucune opposition organisée et sérieuse digne de ce nom, pour véritablement donner le change au régime de dictature qui adopte la formule «le chien aboie, la caravane passe», pour tenter de nier l´évidence. Une insulte de plus à l´intelligence des Togolais.
Depuis la publication de son rapport dont le courage est salué par la majorité des citoyens, depuis que la consternation, la colère et l´indignation se sont emparées de l´ensemble du pays, à l´intérieur comme à l´extérueur, et surtout depuis que le gouvernement de Faure Gnassingbé se démène comme un beau diable pour tenter de justifier l´injustifiable, personne n´a plus entendu parler de la Cour des Comptes qui est restée muette comme une carpe. N´est-il pas temps que cette institution s´arme du même courage qui l´avait animée au moment de la rédaction du rapport pour jouer une sorte d´arbitre et taper du poing sur la table pour mettre fin à la pagaille organisée par le gouvernement togolais? Il y va de sa crédibilité.
Samari Tchadjobo
Allemagne
Source : Icilome
Source : Togoweb.net