Affaire Madjoulba: un an après, les avocats montent au créneau

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L’assassinat de l’ex-commandant du 1er Bataillon d’intervention rapide (BIR), Colonel Toussaint Bitala Madjoulba, a eu lieu il y a un an. En marge de la commémoration de ce drame dont les circonstances sont toujours restées inconnues, les avocats de la famille, Mes Raphaël Kpandé Adzaré, Songue Balouki et Alexis Ihou se sont prononcéssur l’affaire dans l’émission Face à l’Actu de First Afrique TV.

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Que se passe-t-il dans l’affaire de l’assassinat du Colonel Toussaint Madjoulba ? C’est la question que tout le monde se pose puisque depuis plus d’un an, la lumière tarde à se faire sur ce dossier qui constitue, à n’en point douter, une arête dans la gorge de Faure Gnassingbé. Dans l’émission à laquelle ils ont participé, les avocats des proches de la victime n’ont pas hésité à dénoncer le surplace manifeste de la justice togolaise. La justice piétine, ont-ils martelé. « Jusqu’à présent, il n’y a aucune lueur à notre niveau qui puisse nous permettre d’élucider les circonstances exactes de l’assassinat crapuleux du Colonel Toussaint Bitala Madjoulba », a indiqué Me Raphaël Kpandé-Adzaré.

Pour lui, il est constaté une désinvolture politique dans ce dossier. « Tous les acteurs politiques qui devraient œuvrer pour la manifestation de la vérité n’ont pas la pleine volonté de le faire. La seconde désinvolture est liée à la faiblesse ou la lenteur de l’appareil judiciaire. Nous savons de coutume que dans des affaires pareilles, la justice n’a pas les coudées franches pour conduire l’instruction comme il le faut. Nous ne devons pas nous y fier, mais l’en exhorter pour que la vérité puisse se manifester», s’est-il plaint.

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Dans son analyse, l’ancien président de la Ligue togolaise des droits de l’Homme (LTDH) s’est appesanti sur les déclarations des autorités judiciaires togolaises. Il a souligné que le communiqué rendu public le 13 novembre 2020 par le Procureur de la République, Essolissam Poyodi, devrait donner un grain d’espoir que la justice allait évoluer. En effet, dans ce communiqué, le Procureur de la République déclarait qu’« eu égard à la gravité des faits, des moyens humains et matériels importants ont été mobilisés et la coopération internationale sollicitée pour des opérations d’expertise nécessitant des technologies avancées et des compétences spécifiques ».

« Face à tout ce qui est dit par le procureur, normalement le dossier devrait évoluer, des personnes devraient être arrêtées et on devrait être à même de savoir qui a tiré sur le Col Madjoulba et pourquoi il l’a fait. Malheureusement un an après, l’enquête piétine toujours. La question qui se pose est à qui profite l’assassinat du Col Madjoulba ? », s’est-il demandé.

Même son de cloche chez ses collègues. Pour Me Alexis Ihou, ces interrogations interviennent parce que le Togo est un pays atypique où les trois principaux pouvoirs qui s’exercent sont fusionnés. « Le Procureur dit des choses tout en n’y croyant pas du tout et on s’étonne aujourd’hui que tout est resté à cette déclaration- là », a-t-il déclaré. La justice, a-t-il déploré, ne dit plus rien alors qu’après l’affaire Madjoulba, il y a eu d’autres qui n’ont pas la même importance, mais qui ont été jugées et les gens ont été condamnés.

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« Sur ce dossier, on ne veut pas avancer. Le corps du Colonel est toujours à la morgue, un an après son assassinat. Je n’ai jamais vu ça nulle part. Un corps appartient toujours à la famille quel que soit le rang de la personne. On n’a pas besoin d’une année pour faire une autopsie », a déploré Me Ihou. « Ça fait un an qu’on nous ballade. Après la mort du Colonel, Faure Gnassingbé a mis en place une commission d’enquête dirigée par Général Yark Damehame. Cette commission n’a pas rendu son rapport. Si le Togo était un Etat de droit, l’Assemblée nationale aurait dû mettre en place sa commission d’enquête », a renchéri Me Songue Balouki.

Pour la porte-parole du collectif d’avocats, en plus de la lenteur de la justice, de nombreux doutes planent sur la véracité des actes posés par les autorités togolaises pour faire la lumière sur cette affaire. Elle a indiqué que ce n’est pas parce qu’une expertise dit que le Colonel a été tué par sa propre arme qu’il faut prendre cette déclaration pour une parole d’évangile. « Il faut se poser des questions sur les conditions dans lesquelles les scellés ont été constitués.

On ne sait pas comment ils ont été transmis. On ne sait rien sur cette expertise. On peut prendre des armes, une balle qui n’est pas celle sortie du corps et on les envoie à la justice française qui ne peut se prononcer que sur les éléments à sa disposition », a observé l’avocate qui poursuit : « Nous exprimons des doutes sérieux. Rien ne nous dit que la balle expertisée sort du corps parce que nous ne sommes pas en possession des procès-verbaux ».

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La volonté manifeste du régime de ne pas faire la lumière sur ce dossier, Me Kpandé-Adzaré l’a démontré à travers les sorties du Procureur de la République. Cet avocat au barreau de Lomé a rappelé qu’il y a plein de contradictions dans le comportement des autorités judiciaires. Il dit s’étonner du fait que l’arme du crime et la trajectoire du tir mortel sont connues, mais qu’aucune interpellation n’ait eu lieu. « C’est ce qui nous dit qu’il y a une volonté manifeste de ne pas faire justice au Colonel Madjoulba », a-t-il dit.

Pour le collectif d’avocats, tout le monde est soupçonné dans cette affaire, même Faure Gnassingbé. « Le fait que Faure Gnassingbé ait vite nommé un remplaçant nous interpelle. Le Colonel Madjoulba avait un adjoint. Est-ce que c’était préparé ? Où est l’urgence ? On peut soupçonner tout le monde, même le chef de l’Etat parce qu’au Togo, il n’y a pas de démocratie », a affirmé Me Songue Balouki.

Les avocats ont aussi exprimé la nécessité de rompre avec cette manie du pouvoir prompt à emprisonner les opposants et à assurer l’impunité à ceux qui sont du régime. « Nous n’invitons pas le chef de l’Etat à s’immiscer dans les affaires judiciaires, mais nous l’invitons à laisser la liberté à la justice pour qu’il puisse faire son travail. Au Togo, la justice qui devrait être une institution substrat de la paix sociale est devenue le bras armé du pouvoir en place.

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Depuis 1963, nous ne connaissons pas les auteurs de l’assassinat du président Sylvanus Olympio. Tavio Amorin a été assassiné et les policiers ont laissé leurs cartes d’identité sur le lieu du crime. Les événements de la lagune de Bè, les massacres de 2005, l’assassinat des enfants et l’incendie des marchés sont restés sans suite », a rappelé Me Kpandé-Adzaré. Mais, a-t-il enchaîné, « quand il s’agit des opposants qui organisent des manifestations, on a vite fait de les arrêter. Si la justice doit être si rapide à interpeller les opposants politiques et les défenseurs des droits de l’homme, que cette justice soit aussi plus diligente pour savoir ce qui s’est passé dans les autres dossiers ».

Que dire du silence de l’ambassadeur Calixte Madjoulba, frère de la victime ? Les avocats ont révélé n’avoir eu aucun contact avec le diplomate togolais. « Nous estimons que puisqu’il est en première ligne, s’il veut faire quelque chose, il n’a pas de conseils à recevoir de nous. C’est son frère qui a été assassiné. Nous ne sommes que des avocats qui défendons l’intérêt d’un membre de la famille. L’ambassadeur Calixte Madjoulba est dans la même logique de silence que Faure Gnassingbé et tout le reste », s’est indigné Me Alexis Ihou.

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Malgré toutes les péripéties qu’ils vivent, les avocats ne perdent pas espoir. « La justice va triompher et tous ceux qui sont impliqués dans cette affaire vont répondre de leurs actes. Les langues vont finir par se délier. C’est à ce travail que nous allons œuvrer. Nous ne désespérons pas. Quand Thomas Sankara est mort, c’est 34 ans après qu’on vient d’annoncer le procès du présumé coupable. Dans ces genres d’histoires, c’est le temps et on y arrivera », ont-ils conclu.

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Source : Togoweb.net