Affaire DSK : triste show

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La journaliste française Tristane Banon a maintenu au journal télévisé français du 30 septembre son accusation contre Dominique Strauss-Kahn pour tentative de viol. Retour sur les propos prononcés par ce dernier quelques jours plus tôt, le 18 septembre sur le même plateau. Il s’expliquait quant à lui sur les poursuites pénales engagées contre lui, pour viol, dans l’affaire Nafissatou Diallo.

Du travail d’orfèvre calibré au millimètre. Dominique Strauss-Kahn préparait minutieusement son affaire depuis l’abandon par le procureur de New York, fin août, des poursuites pénales engagées contre lui dans l’affaire Nafissatou Diallo. Avec l’indéfectible soutien d’Anne Sinclair, son épouse, les conseils avisés des communicants d’Euro RSCG et la connivence de la journaliste Claire Chazal – une amie de sa femme. En un sens, il n’a pas raté son coup : l’interview qu’il a accordée, le 18 septembre, au journal de 20 heures sur TF1 a été suivie par plus de 13 millions de téléspectateurs en moyenne. Soit 47 % de part d’audience.

Tout, l’argumentation, le choix des termes, la gestuelle, le costume (noir, bien sûr), le débit, les intonations et jusqu’aux silences, était pensé, répété avec application et joué sans subtilité excessive, mais avec efficacité. Ce n’était pas tout à fait du théâtre, l’acteur principal ayant quand même beaucoup perdu dans cette piteuse aventure – son poste au FMI, sa position de favori pour l’élection présidentielle de 2012, son statut de chef de file du Parti socialiste et d’icône de la gauche moderne, réaliste et gestionnaire –, mais cela y ressemblait quand même beaucoup. A-t-il pour autant convaincu ? C’est une autre histoire. Kenneth Thompson, l’avocat de Nafissatou Diallo, ne veut voir dans sa prestation qu’un « coup publicitaire » et une « blague ». Il fait son métier ? Bien sûr, mais les réactions du monde ­politico-médiatique français, si l’on excepte les déclarations énamourées d’une poignée de groupies, sont elles aussi globalement négatives.

Tout a commencé par un acte de contrition dans la grande tradition non pas française, mais américaine. Depuis Bill Clinton confessant les menues incongruités commises sur la personne de Monica Lewinsky, ça n’arrête pas. DSK a donc eu, il l’admet, une relation « inappropriée » – qui nous éclairera sur le sens de ce mot en français ? –, en tout cas brève (neuf minutes) et, selon lui, consentie, avec une femme de chambre guinéenne de l’hôtel Sofitel, à New York. Conscient d’avoir commis plus qu’une erreur dont il portera longtemps le poids, une « faute morale », il s’en excuse auprès de son admirable épouse, de sa famille, de ses amis et de l’humanité entière – enfin presque.

Vertige de l’amour?

Question : de quel vertige Nafissatou Diallo (32 ans) a-t-elle pu être saisie pour succomber dans l’instant – et gratuitement, puisque la relation n’était, paraît-il, pas tarifée – au faune vieillissant et à demi nu de la suite 2806 ? Celui de l’amour ? Le charme de l’ancien député-maire de Sarcelles est connu. Mais l’hypothèse est quand même peu vraisemblable. DSK n’avait donc pas le choix : il lui fallait évoquer à l’antenne, avec la circonspection requise (« c’est possible, on verra »), la thèse guère plus plausible du piège ou du complot. Monté par qui, et pourquoi ? La direction du Sofitel ? Allons donc ! Quelque barbouze élyséenne ? Prenons le pari : on ne verra rien du tout. Mais l’essentiel était d’en laisser planer le spectre.

Sur le plateau de TF1, Strauss-Kahn avait pris soin de se munir du rapport de Cyrus Vance justifiant l’abandon des poursuites. Il l’a brandi devant les caméras et cité à une dizaine de reprises : « Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le procureur. » L’ennui est qu’il lui fait dire ce qu’il ne dit pas tout à fait. Le rapport, par exemple, n’affirme à aucun moment qu’il n’a pas agressé sexuellement Nafissatou Diallo, mais que les enquêteurs n’ont pas été en mesure d’en établir la preuve au-delà de tout « doute raisonnable ». Est-ce la même chose ?

Capacité de nuisance

Il va de soi que DSK n’a plus le choix : il doit faire une croix sur sa carrière politique, au moins à court et moyen termes. Les sondages sont formels, une majorité de Français le souhaite. Pendant les primaires du Parti socialiste pour l’élection présidentielle de 2012 (les 9 et 16 octobre), il va donc se ressourcer auprès des siens et méditer sur la coupable « légèreté », c’est son mot, dont il a toujours fait preuve avec les femmes. Mais il conserve, pour quelque temps encore, une belle capacité de nuisance. Ses camarades-­candidats, au premier rang desquels Martine Aubry, s’en sont aperçus.

DSK a manifestement ressenti comme une trahison les distances tardivement prises avec lui par la première secrétaire. Inquiète de l’effet dévastateur dans l’électorat féminin des frasques sexuelles à répétition de son allié, celle-ci a fini par reconnaître publiquement l’existence du problème. Rancunier, Strauss-Kahn a donc fait sur TF1 ce qu’elle ne voulait surtout pas qu’il fît : son éloge. « Nous avions en effet un pacte. Martine Aubry est une amie ; pendant toute cette période, elle a été très présente. Mais je ne veux pas m’immiscer dans la primaire… »

Conclu en 2008 à Marrakech, en présence de Laurent Fabius, le pacte en question prévoyait que, avant la primaire, le moins bien placé dans les sondages s’effacerait devant l’autre. La popularité de DSK étant ce qu’elle était à l’époque, les chances de « Martine » d’être candidate semblaient minces. D’où l’empressement de François Hollande, son grand rival, à la présenter aujourd’hui – c’est de bonne guerre – comme une candidate « de substitution ».

Pendant ce temps-là, dans le Bronx, une émigrée guinéenne nommée Nafissatou Diallo soigne, à en croire son avocat, une sévère dépression et n’a pas encore repris son travail au Sofitel de Manhattan. Mais qui s’en soucie ? 

Jeune Afrique