Fin Avril, Vincent Bolloré propriétaire entre autres du Groupe Bolloré et Canal+ a été mis en examen en France pour des soupçons de corruption dans l’attribution à son groupe des concessions portuaires en Afrique de l’Ouest. Il s’agit du Port autonome de Lomé (Togo) et celui de Conakry (Guinée). L’homme d’affaires français n’a pas tardé pour réagir. Malgré son « amour» déclaré pour l’Afrique, il s’interroge aujourd’hui sur sa présence sur le continent. Dans les deux pays où l’acquisition des marchés publics est pointée du doigt, les autorités ont également réagi. Le point sur cette affaire qui risque de laisser des traces aussi bien en Afrique qu’en France.
« Corruption d’agent public étranger », « complicité d’abus de confiance » et « complicité de faux » sont les trois chefs d’accusation retenus par les juges financiers parisiens contre Vincent Bolloré et deux de ses collaborateurs en l’occurrence Gilles Alix, Directeur général du Groupe Bolloré et Jean-Philippe Dorent, responsable du pôle international d’Havas, filiale du Groupe Bolloré. Ce dernier est accusé « d’abus de confiance». Une affaire qui ne cesse de déferler la chronique en Afrique et en France.
Retour sur l’affaire…
Les magistrats Serge Tournaire et Aude Buresi, connus pour avoir poursuivi Nicolas Sarkozy dans l’affaire du financement libyen de sa campagne en 2007, tentent de déterminer si les dirigeants du groupe Bolloré ont utilisé les activités de conseil politique de Havas, une filiale, pour faciliter l’accession au pouvoir de dirigeants africains et obtenir en contrepartie des concessions portuaires. En effet, Bolloré Africa Logistics (ancienne SDV), une des filiales du groupe en Afrique, avait obtenu la gestion du port de Conakry quelques mois seulement après l’élection d’Alpha Condé fin 2010, et avait remporté la concession à Lomé peu avant la réélection en 2010 de Faure Gnassingbé. Tous les deux étaient effectivement conseillés par Havas. Pour ce faire, les magistrats pensent s’appuyer sur les documents retrouvés lors des perquisitions effectuées en 2016 au siège du groupe. Selon français «Le Monde», ils soupçonnent Havas d’avoir sous-facturé ses services rendus aux deux candidats victorieux pour obtenir, en contrepartie, la gestion de ces concessions portuaires.
Dans un communiqué, le Groupe Bolloré s’offusque contre cette procédure judiciaire lancée contre son PDG. Pour une affaire remontant à près de 10 ans sur des liens supposés entre des campagnes électorales menées par Euro RSCG au Togo et en Guinée, pour quelques centaines de milliers d’euros, et des concessions portuaires lancées et obtenues dans ces pays pour des centaines de millions d’euros, pourtant neuf ans avant les élections au Togo et un an avant l’élection en Guinée, M. Vincent Bolloré a été mis en examen par le juge (Serge)Tournaire », lit-on dans le communiqué. Et de préciser, « M. Vincent Bolloré, qui reste présumé innocent, pourra avoir enfin accès à ce dossier dont il n’a jamais eu connaissance et répondre à ces accusations infondées ». L’homme d’affaire français se dit prêt à coopérer avec la justice de son pays pour faire triompher la vérité. Mais au-delà des arguments non fragiles de ses avocats, il faut se demander si l’image Bolloré était vraiment sainte
Une publicité pas trop surprenante
Bolloré et l’Afrique a toujours été qualifié en polichinelle de relation vicieuse. Si jamais l’empire du breton n’a fait autant objet d’une affaire judiciaire si retentissante sur le continent, ce n’est point parce qu’elle est considérée comme la mère Thérèse sur le continent noir. Dans les couloirs politiques francophones Bolloré était un maillon important dans le dispositif France-Afrique. Le maillon qui obtenait à tour de bras tous les ports et les voies ferrées de Conakry à Douala en passant par Lomé, Cotonou etc… Il se souvient que quand en 2016 les journalistes lors de la formation organisée à leur endroit ont demandé à l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp) comment le port Autonome a été concédé à Bolloré pour 35 ans, l’Autorité de régulation des marchés publics s’est trouvée fort embarrassé par la question. En toute réponse, il a été servi aux journalistes qu’il s’agit là d’un contrat d’Etat qui est loin des domaines de compétence de l’Armp. Une réponse qui n’a étonné outre mesure ceux parmi les journalistes qui connaissait ce secret de polichinelle. Tout ceci ajouté au fait que déjà plusieurs fois en France, le magnat breton s’est montré réfractaire aux moindres critiques des journalistes au pont de leur coller des procès assorti d’amendes salées, le profil Bolloré était suffisamment antipathique dans l’opinion critique. Et les esprits que certaines chapelles soupçonnent d’être derrière les méandres judiciaires contre Bolloré n’ont trouvé que du grain à moudre à volonté.
La Guinée a réagi, le Togo aussi
ll y a quelques jours, le ministre guinéen de la Justice, Cheick Sako a affirmé que son pays va « collaborer avec la France ». Bien avant, le porte-parole du gouvernement guinéen avait soutenu que la concession du port de Conakry accordée au Groupe Bolloré était « strictement conforme à la loi ». D’ailleurs pour les autorités guinéennes, « Il n’y a jamais eu de contrat de communication entre Havas et Alpha Condé pour la campagne de 2010, ni d’ailleurs pour celle de 2015. Ce dernier avait sa propre équipe de campagne, et il s’est toujours montré rétif aux grandes agences de communication ». Comme expliqué plus haut, la justice française soupçonne des prestations fournies au candidat Alpha Condé par Havas Worldwide auraient pu être rétribuées en retour, une fois celui-ci élu président, par le sacrifice de Necotrans au profit de Bolloré.
Le Président guinéen a menacé de déballer tous les non-dits dans cette affaire si la justice française fait appel à l’Etat guinéen.
Egalement cité dans l’affaire, le gouvernement togolais est sorti de son silence. Gilbert Bawara, ministre de la fonction publique, du travail et de la réforme administrative qui fait office de porte-parole du gouvernement depuis plusieurs mois a livré la réaction du gouvernement sur une radio privée la semaine dernière. «C’est ridicule, scandaleux, voir même un peu condescendant d’imaginer qu’une agence en communication pourrait avoir une influence quelconque sur une élection présidentielle dans un Etat africain», s’insurge Gilbert Bawara, avant d’ajouter « pour le moment, nous avons des bribes d’information à travers les commentateurs et les journalistes. L’Etat togolais n’a aucun élément fiable du dossier ». Les autorités togolaises se disent également disposées à collaborer avec la justice française pour tirer cette affaire au claire.
Pourtant
Toutefois, le contrat liant Bolloré et l’Etat togolais reste un mystère. En 2016, le Chef de file de l’opposition, Jean-Pierre Fabre avait demandé à voir les termes de ce contrat mais il s’est heurté à un silence. Vraisemblablement, l’épilogue de cette affaire n’est pas pour demain. La procédure déclenchée par les deux juges va surement prendre quelques années.
Koffi Miboussomékpo
Source : Fraternité No.270 du 09 mai 2018
27Avril.com